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Full text of "Le messianisme dans l'hétérodoxie musulmane"

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LE MESSIANISME 



DANS 



LHÈTÊRODOXIE MUSULMANE 



PAR 



E. BLOGHEÏ 




PARIS 

LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE 

J. MAISONNEUVE, Éditeur 

6, rue de Méziôres et rue Madame, 26 (VI*) 

1903 

i98,B^^'-Gerrnain.PAI;lS(V|C, 



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pagné de notes explicatives et précédé d'une introduction à 
l'étude de l'Avesta et de la religion mazdéenne, par C. db Ha.rlez, 
professeur à l'Université de Louvain. D<*uxième édition, revue, 
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Paris, 1886, in-ia br., xx-91 et 169 pp 10 fr. 

Berge (A.). — Dictionnaire persan-français avec une table alpha- 
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bleau comparatif des années de l'ère mahométane et de l'ère 
Chrétienne, in-ia cart., 674 PP. Leipzig et Paris, 1868... 10 fr. 

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manuscrits orientaux conservés à la Bibliothèque Nationale. 
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beau volume in-12 br., de 44^ pp - 3 fr. 5o 

Gasartelli (L.-C). — La philosophie religieuse du mazdéisme 
sous les Sassanides. Paris, 1884, in-8« br /^Ît.So 

Gaspari (C.-P.). — Grammaire arabe, traduite de la quatrième 
édition allemande et en partie remaniée par E. Urigoechea. 
Paris, 1881, un beau vol. gr. in-8'» de vii-532 pp., cartonné. 

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édition augmentée de textes inédits et d'un glossaire. Paris, 
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Goran. — Le Koran analysé d'après la traduction de M. Kazi- 
mirski et les observations de plusieurs savants orientalistes, par 
!• La Beaumb, Paris, 1876, un vol. gr. in-8® br,, xxiii-800 pp. 

20 fr. 




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LE MESSIANISME 



DANS 



L'HÉTÉRODOXIE MUSULMAlNE 



LE MESSIANISME 



DANS 



m ^^ m 



L'HETERODOXIE MUSULMANE 



PAR 



E. BLOCHET 




PARIS 
LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE 

J. MAISONNEUVE, Éditeur 

6, rue de Méziôres et rue Madame. 26 (VI«) 

1903 

NOUVELLE ADRESSE 
196, B** S'-Germain, PAhlS (Vil») 



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LIBRARY 



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A Madame M. DJEULAFOY 



PRÉFACE 



L'étude de Vinfluence de VIranisme sur les cwilisa- 
dons et sur les formes religieuses des contrées qui furent 
les voisines de la Perse ne sera probablement jamais 
entreprise dans son ensemble : elle soulèçe trop de ques- 
tions historiques qui resteront éternellement sans réponse ^ 
elle suppose la connaissance de trop de monuments dis- 
parus dans le lointain du passé, pour qu'il soit possible 
de tracer un tableau complet et fidèle de l'expansion 
d'une des civilisations les plus puissantes qui aient vécu 
dans l'ancien monde. 

Les rapports des peuples qui habitèrent le pays d'Iran 
avec leurs voisins de l'Est et du Nord resteront toujours 
à peu près inconnus : pas plus que l'Inde, la Perse n'a 
d'historien de ses périodes antiques, et la légende royale, 
telle qu'on la connaît par les aocuments pehlvis et par 
le Livre des Rois n'est évidemment qu'une fraction bien 
minime de l'histoire ancienne de VIran. 

Les peuples qui vécurent sur les frontières de la Perse 
et dans les vastes contrées qui la bordent au Nord comme 
à l'Est, Jusqu'aux frontières de l'Empire du Milieu, ne 
nous ont laissé aucun monument historique et l'on est 
réduit à déchiffrer péniblement leurs noms dans les 
chroniques chinoises et à rechercher dans quelques his- 
toriens arabes de vagues renseignements sur leur compte. 

Les rapports de l'iranisme avec le monde de l'Occident 
sont plus clairs, car si les docizments persans sont tout 
aussi rares, les Byzantins et les Arabes qui ont été en 
relations constantes avec la Perse, nous ont laissé sur 
la civilisation des Sassanides des renseignements assez 
précis pour que l'on ait moins à regretter le silence des 
historiens iraniens contemporains des Ardéchir et des 



Sapor, ou la perte de leurs œuvres 
L'influence de la civilisation pe\ 



persane sur V Islamisme 



V PRÉFACE 

?rimitif est Vun des faits les plus extraordinaires de 
histoire du monde oriental : cest aussi Vune de celles 
dont on a le plus parlée un peu par mode, beaucoup pour 
ne pas prendre la peine d'expliquer des faits qui semblent 
inexplicables ou dont on ignore les raisons historiques. 
Quand un point paraît gênant, ou étrange, dans les 
dogmes de V Islamisme, ou dans sa philosophie, quand 
un fait semble en contradiction açec le tour d'esprit que 
Von suppose aux peuples sémitiques, on tranche la dif- 
ficulté en admettant sans plus de recherches, qu'il j' faut 
çoir une influence éçidente et forcée de Vlranisme. LFest 
ainsi que tout ce qui dans la philosophie arabe n'est pas 
néo-platonicien est déclaré d'origine iranienne, alors que 
l'on ne connaît pas un seul philosophe de l'époque sas- 
sanide et qu'il n'y a pas daçantage de philosophes 
persans; les auteurs qui séparent de cetitren' ayant JamcUs 
fait que traduire dans leur langue les œuçres de la phi- 
losophie arabe et d'ailleurs, leurs liçres n'ont pour ainsi 
dire jamais été lus, encore bien moins publiés. 

On admet également, açec une aisance aussi grande, 
que le Soufisme, qu'il vaudrait mieux nommer Esoté» 
risme, est un système purement iranien, alors qu'on ne 
•^^ possède dans la littérature pehlçie aucun document mjrs- 
^ tique eif que ce que l'on connaît du Mazdéisme sassanide 
soit à peu près aussi loin des doctrines ascétiques du 
Soufisme, que le Protestantisme l'est du Fétichisme, Le 
grand dogme du Mazdéisme est qu'il faut Jouir pleine- 
ment de la çie qui n'est que trop courte, que l'homme qui 
mange son saoul vaut mieux que celui qui jeûne ; que celui 
qui a de l'argent est après tout, plus heureux^ que l'homme 
qui ne possède rien et que l'individu qui s'est donné 
charste d'âmes est plus estimable que celui qui a fait vœu 
de chasteté. Cette doctrine un peu terre-à-terre ne res- 
semble pas précisément à celle des grands Soufis qui 
vivaient de privations incroyables, qui avaient le plus 
profond mépris qui se puisse concevoir pour les biens de 
ce monde et les joies de la famille. 

Si encore les philosophes et les Soufis étaient des 
Persans qui eussent écrit en persan, ces affirmations 
catégoriques se comprendraient Jusqu'à un certain point, 
mais les livres de philosophie, de Soufisme et plus géné- 
ralement d'Esotérisme, n'apparaissent dans l Iran qu'à 
une époque très basse, alors qu'il existait déjà toute une 
littérature mystique dans le monde arabe; déplus, tous 



PRÉFACE III 

les livres persans traitant de philosophie ou d'Esotérisme 
qui en Orient, se séparent bien difficilement, ne sont que 
des traductions ou des adaptations de V arabe. 

Les grands philosophes et les grands ésotéristes, 
Ghazali, Sohraverdi, Koshaïri, el-Kashani, el-Shadili, 
eUMottaki, el-DJildaki, ont tous écrit en arabe, et c'est 
bien plus tard, alors que la connaissance de la langue du 
Koranfut devenue chose rare dans le pays d'Iran^ que 
Von traduisit et que Von commenta leurs œuvres en per- 
san. Parmi ces Sheïkhs qui ont écrit en arabe, beaucoup, 
et non des moindres, sont loin d'être des Iraniens; ce 
furent, s.oit des Maghrébins comme le fameux Mohyi 
ed-Din ibn elrArabi, ou des Egiyptiens comme Omar ibn 
el'Faridh. dont le Divan avec les Foutouhat et les Hikem 
de Mohyi ed-Din, sont le monument le plus important 
de VEsotérisme. 

Les maîtres de la poésie mystique de VIran, Djélal 
ed-Din Roumi, Djami, Férid ed-Din Attar ne font que 
se référer aux textes arabes et commenter, pour ainsi 
dire, souvent en les citant, les Foutouhat d'Ibn el-Arabi 
ou les poésies abstruses d'Omar, fils d'el-Faridh. 

Ce n est pas à dire que Vinfluence de VIran soit nulle 
dans V Islamisme et que Von n'en trouve aucune trace dans 
VEsotérisme, mais on voit que la question est loin d'être 
aussi simple que Von le croirait à première vue; ilj^ a en 
géométrie des vérités plus évidentes qu^on prend la peine 
de démontrer. 

L'un des dogmes fondamentaux de la doctrine soufie 
et de VEsotérisme, est la croyance à la venue prochaine 
d'un être messianique ^ui n'est autre que le Mahdi des 
sectes shiites et des Fatimites. Il est étrangle de retrouver 
dans le Soufisme dont beaucoup de chefs prétendaient 
n'avoir jamais eu d'accointance avec le Shîisme et repré- 
senter Vorthodoxie sunnite, une doctrine qui ne se 
comprend guère que chez les Fatimites ou Alides et 
leurs partisans. Je ne crois pas utile d'entrer ici dans 
V explication détaillée de ce fait qui a été constaté par 
les meilleurs historiens de l'Islamisme, car cela m en- 
traînerait beaucoup trop loin. 

Cette théorie du Mahdi fatimite est bien Vune des 
choses les plus étranges de VIslamisme hétérodoxe et 
des moins claires, quoique Von s'explique aisément 
comment elle s'est formée. 



IV PRÉFACE 

Ce qui a toujours le plus gêné les sectes hétérodoxes de 
VIslam ou, pour plus d'exactitude, tous les gens qui en 
adoptant la foi musulmane, n'avaient pas cru renoncer 
par cela même au droit de raisonner, c est que Mahomet 
ait proclamé aussi haut et qu'il ne se soit pas lassé de 
répéter, qui il était le Sceau de la Prophétie, et que la 
Mission était terminée avec lui. Il y eut bien des gens au 
lendemain de l'hégire et de la mort de Mahomet qui 
furent moins optimistes, et qui jugèrent que l'ordre du 
monde n'était point si point si parfait qu'un nouveau 
Prophète n'eût rien à jy changer, si Allah daignait 
l'envoyer dans ce bas monde ou, quoique l'on fasse et 

? rue l'on dise pour s'illusionner, la somme du mal et de 
a souffrance est supérieure, et de beaucoup, à celle du 
bien et de la Jouissance. 

La péninsule arabique mise à part, on peut dire que 
les doctrines messianiques du Mahdisme se répandirent 
également, et aussi vite, en Syrie et en Egypte qu'en 
Perse et qu'au Maghreb : la raison en est bien simple. 

Ce serait se tromper étrangement que de croire que 
les Musulmans oui habitèrent les diverses provinces de 
l'empire des Khalifes au moment de sa plus grande 
extension, étaient des Arabes descendants de ceux qui 
étaient partis avec le fils d'Abd-Allah à la conquête du 
monde. En réalité, les hommes qui formèrent les pre- 
mières armées du Prophète furent en nombre extrême- 
ment minime comme on le voit par le dénombrement des 
troupes qui prirentpart aux batailles de Bedr et d'Ohod; 
si les armées de l'islamisme purent dans la suite riva- 
liser avec celles que leur opposèrent les Chosroès et les 
Césars, c'est qu'il était venu s'y fondre une quantité de 
gens qui n'avaient rien d'arabe, et qui appartenaient aux 
races anciennes de la Syrie et de l'Egypte. 

A eux seuls, les Arabes n'auraient jamais été assez 
nombreux pour peupler les immenses territoires qui 
formèrent le Khalifat, et, pour le faire, même s ils 
avaient eu le nombre, il leur aurait fallu massacrer et 
anéantir les populations qu'ils avaient soumises. 

En réalité, la Perse resta peuplée par des Persans, 
c'est-à-dire par des Mazdéens, la Sjyrie par des Syriens, 
l'Egypte par des Coptes et des Byzantins, autrement dit 
par des Chrétiens. Les Berbers de l'Afrique du Nord, 
qui Jouèrent un rôle si important dans les révoltes mes- 
sianiques dp. VIslam, avaient eux aussi, au même titre que 



PRÉFACE V 

les Syriens et les E((rptiens^ connu à la fois la civilisation 
byzantine et la foi chrétienne. 

C'était donc à des peuples de tendances franchement 
messianiques, les Chrétiens et les Mazdéens, les Mazdéens 
surtout, que VIslam venait sHmposer avec ses normes 
inflexibles et indéformables, en leur ordonnant de laiS" 
ser en y entrant la seule espérance de leur vie, celle de 
voir des aurores moins sombres se lever pour V humanité. 

On ne s'est jamais étonné de la facilité avec laquelle 
les Musulmans entrèrent dans laphilosophiealexandrine, 
ni comment il se fait qu'ils aient f>u aussi rapidement 
s'approprier des théories métaphysiques d'une complica- 
tion extrême, sur laquelle ils devaient encore renchérir. 

Il j' a là cependant, quand on y réfléchit, un fait 
assez étrange et qui ne s'explique pas aussi facilement 
qu'il se constate. On comprend mal, ou plutôt l'on ne voit 
pas du tout, comment les doctrines subtiles de Plotin, 
dePhilon et des philosophes de l'école néo-platonicienne, 
ont pu charmer des hommes aussi farouches et aussi 
peu spéculatifs aue les Bédouins qui, suivant leurs 
alliances de famille, furent les soldats ou les adversaires 
de Mahomet. Tout comme aujourd'hui, car la vaste 
péninsule arabique n'a guère changé au cours des âges, 
les pasteurs du grand désert étaient des êtres à l'âme 
simple, peu enclins aux spéculations métaphysiques qui 
charmaient le snobisme des intellectuels d'Alexandrie; 
les chansons de geste où l'on narre les exploits des héros 
et des vaillants guerriers, et les Moallakas répondaient 
beaucoup mieux à leur état d'esprit, et le Bédouin cher- 
chait à deviner dans Vimmensite des sables les restes du 
foyer autour duquel avait campé la tribu de sa bien- 
aimée plutôt qu'à imaginer une théorie nouvelle des inteU 
ligibles. 

Dans la réalité, ces hommes qui en Syrie, en Egypte, 
dansl'Ifrikiyya et dans les deux Maghrebs, adoptèrent 
laphilosophie néo-platonicienne n'étaient pas des Arabes, 
mais bien les descendants immédiats des Byzantins qui 
avaient vécu dans la partie asiatique et africaine du 
monde hellénique et pour lesquels VAlexandrinisme avait 
été la philosophie nationale. Entre le monde byzantin 
d'Héraclius et le monde arabe de Mamoun ou d'Haroun 
al'Rashid, il n'jy a pas Vhiatus que Von suppose : les 
conquérants furent trop heureux d'adopter âans toutes 



PliéFAGB VII 

des révolutions qui durant quatorze siècles n'ont cessé de 
bouleçerser l Islamisme; on peut ajuste titre regarder 
Mosaïlima comme le précurseur de ces Prophètes ^ qui 
crurent, et non sans raison, qu'il ne manquait pas, 
même après la mission du fils d^Amina, de choses à 
améliorer dans ce bas monde. 

Si les tribus arabes dont V idéal religieux n'açait jamais 
été bien élevé, se montrèrent aussi rebelles aux doctrines 
antUmessianiques de Mahomet, on pense comment ces 
théories furent accueillies chez les Persans, chez les 
Chrétiens et les Juif s qui par force plièrent le col sous 
le joug musulman. Comme il leur était à peu près impos- 
sible, dès qu'ils l'eurent reçue, de sortir d'une confession 
oiiy depuis quatorze siècles, T apostasie est un fait à peu 
près inconnu, ils se mirent à Venvi à la modifier pour y 
faire entrer leur théorie messianique, si bien que le 
dogme musulman fut complètement transformé et que 
les Prophètes se succédèrent avec une rapidité incroyable 
dans un monde où Mahomet avait eu la prétention d'être 
le dernier envoyé céleste. 

Il n'est pas sans intérêt de rechercher à quelle civilisa- 
tion l'Islamisme naissant est allé emprunter sa théorie 
messianique. Dans une Conférence dont il a publié le 
texte en j885 sous le titre de « Le Mahdi depuis les ori- 

S'nes de rislam jusqu'à nos jours (i) », mon maître James 
armesteter a déjà indiqué les grandes lignes de la 
question et il a montré que le Mahdismefut un emprunt 
a la Perse sassanide. Le cadre forcément restreint dans 
lequel il était obligé de se tenir ne lui a pas laissé la 
liberté de traiter ce problème avec tous les développe^ 
ments nécessaires et la mort l'a empêché de reprendre 
cette étude, l'une des plus importantes de celles qui 
touchent à l'histoire religieuse de l'Iran. 

J'ai été amené, en étudiant les doctrines ésotériqaes des 
Mystiques de VIslam, à m'occuper à mon tour de cette 
question du Mahdisme : bien qu'elle forme l'un des 
points essentiels des croyances des Soufis, on n'en trouve 
qu'assez peu de traces dans les ouvrages d'Ésotérisme, au 
moins dans ceux qui sont arrivés jusqu'à nous. En réa- 
lité^ les Soufis qui tenaient à rester, au moins d'une façon 

(i) Conférence du aSf écrier i885, faite d la Sorbonne devant 
l'Association scientifique de France; Paris, Leroux. 



VI PRÉFACE 

les possessions de Byzance^ une administration et un 
système ^'ou^ernemental qu'ils se sentaient bien inca- 
pables d'inventer ou même de modifier autrement qu'en 
mal. La civilisation byzantine affleure sous la civilisa- 
tion musulmane des premiers siècles de Vhégire, et si les 
Chrétiens de Syrie et d Egypte s'étaient ralliés à la nou* 
celle formule religieuse, ils n'en continuèrent pas moins 
à penser comme avant, surtout en philosophie» On ne 
peut donc pas dire qu'il j^ eut traduction ou, si Von veut, 
transposition de la philosophie grecque : le seul change- 
ment qui se produisit fut celui de la langue. Au lieu de 
penser et d écrire en arabe, les philosophes qui sont les 
gloires de la littérature musulmane et qui vécurent sur 
les bords du Nil ou dans laDamascène, auraient écrit en 
grec les œuvres qui aujourd'hui nous semblent des tra- 
ductions voulues des œuvres de l'Hellénisme. 

Si l'Islamisme eut tant de peine à s'imposer aux 
Arabes qui cependant étaient mûrs pour une réforme 
religieuse, si l'hostilité pour le Prophète fut telle que sa 
mission ne réussit que par un vrai miracle, il faut en 
grande partie attribuer ce fait à ce que Mahomet voulut 
enfermer ses adeptes dans des formules qui ne leur lais- 
saient apercevoir aucun horizon et dans une religion à 
la porte de laquelle il fallait laisser toute espérance. 

La fureur des Koreîshites contre Mahomet venait 
beaucoup moins de leur attachement à leur foi ancienne 
que de l impatience qu'ils éprouvaient à voir un de leurs 
compatriotes, et l'un des moindres, se proclamer supérieur 
aux grands Prophètes de leur race et déclarer sans une 
hésitation que la mission prophétique était définitivement 
close avec lui. 

Les prétentions de Mahomet avaient tellement révolté 
les tribus arabes que Mosaïlima n'eut qu'à se présenter 
et à proclamer que lui aussi était doué de la Prophétie, 
pour voir immédiatement se grouper autour de lui une 
foule d'ennemis de Mahomet. Aide de sa femme Sedjah 
qui avait vécu dans le Bahreïn, l'un des foyers les plus 
intenses de l'influence iranienne dans la péninsule, Mosaï- 
lima provoqua contre V Islamisme une formidable insur- 
rection qui, durant trente années mit en péril son exis- 
tence même. En réalité, l'hérésie mahdiste esta quelques 
années près, contemporaine de l'hégire; la doctrine que 
Mahomet venait prêcher à ses compatriotes était grosse 



PllÉFACB VII 

des révolutions qui durant quatorze siècles n'ont cessé de 
bouleçerser VIstamisme; on peut ajuste titre regarder 
Mosaïlima comme le précurseur de ces Prophètes^ qui 
crurent, et non sans raison, qu'il ne manquait pas, 
même après la mission du fils d'Amina, de choses à 
améliorer dans ce bas monde. 

Si les tribus arabes dont Vidéal religieux n'açait jamais 
été bien élevé, se montrèrent aussi rebelles aux doctrines 
anti'messianiques de Mahomet, on pense comment ces 
théories furent accueillies chez les Persans, chez les 
Chrétiens elles Juifs qui par force plièrent le col sous 
le joug musulman. Comme il leur était à peu près impos- 
sible, dès qu'ils V eurent reçue, de sortir ctune confession 
oity depuis quatorze siècles, T apostasie est un fait à peu 
près inconnu, ils se mirent à Venvi à la modifier pour y 
faire entrer leur théorie messianique, si bien que le 
dogme musulman fut complètement transformé et que 
les Prophètes se succédèrent avec une rapidité incroyable 
dans un monde où Mahomet avait eu la prétention d'être 
le dernier envoyé céleste. 

Il n'est pas sans intérêt de rechercher à quelle civilisa- 
tion rislamisme naissant est allé emprunter sa théorie 
messianique. Dans une Conférence dont il a publié le 
texte en j885 sous le titre de « Le Mahdi depuis les ori- 

S'nes de Tlslam jascju'à nos jours (i) », mon maître James 
armesteter a déjà indiqué les grandes lignes de la 
question et il a montré que le Mahdismefut un emprunt 
a la Perse sassanide. Le cadre forcément restreint dans 
lequel il était obligé de se tenir ne lui a pas laissé la 
liberté de traiter ce problème avec tous les développe^ 
ments nécessaires et la mort Va empêché de reprendre 
cette étude, Vune des plus importantes de celles qui 
touchent à l'histoire religieuse de l'Iran. 

Tai été amené, en étudiant les doctrines ésotériqaes des 
Mystiques de l Islam, à m'occuper à mon tour de cette 
question du Mahdisme : bien qu'elle forme l'un des 
points essentiels des croyances des Soufis,on n'en trouve 
qu'assez peu de traces dans les ouvrages d'Ésotérisme, au 
moins dans ceux qui sont arrivés jusqu'à nous. En réa- 
lité^ les Soujis qui tenaient à rester, au moins d'une façon 

(i) Conférence du aSf écrier i885, faite à la Sorbonne devant 
VAsaociation scientifique de France; Paris, Leroux. 



X PRÉFACE 

Le temps que Von passe à étudier ces théories ^ auprès 
desquelles les doctrines du Kantisme sont d'une simpli- 
cité enfantine et que les abstracteurs de quintessence de 
Rabelais n'auraient jamais rêçéesy n'est point si perdu 
que certains esprits veulent se le fi^rer. Il est eçident 
que considérées pour leurçaleur intrinsèque, ces théories, 
malgré leur admirable construction, reïeçent souvent de 
la pathologie cérébrale; mais n'est-ce pas là le cas de 
presque tous les systèmes enfantés par les philosophes 
pour expliquer Vinexulicable, le mystère de ta çie et des 
destinées humaines r Mais ces doctrines que l'on taxe 
trop volontiers de folies et d'aberrations mentales, ont 
une importance primordiale en ce sens que seules elles 
permettent d'étudier l'épolution de l'Islamisme et de 
' remonter aux sources d'oà dériçe sa métaphysique. Si 
l'on ne trouve presque rien d'original dans la philoso- 
phie et dans VÉsotérisme de l'Islam, c'est déjà un grand 
point de constater d'une façon certaine que ces œuvres 
où Von sent encore passer le souffle de VHellénisme, 
sont la continuation historique de celles qui virent le 
jour sous le ciel de VAttique, 

Ces doctrines abstruses et souvent plus qu'à demi 
incompréhensibles prennent une singulière importance 
quand Von pense que le Mojyen-Age occidental et jusqu'à 
un certain point le monde de la ttenaissance, ont fait à 
V astrologie et aux pratiques divinatoires une place réel- 
lement exagérée dans la nomenclature de leurs sciences. 
L'occultisme de ces époques, comme une grande partie de 
leur philosophie, n'avait pas d'autre origine que les traités 
arabes qui furent traduits ou interprétés en hébreu dans 
les pays où V Islamisme et le Judaïsme se trouvèrent en 
contact. (Test ainsi que Von retrouve chez Spinoza et 
chez les philosophes qui ont adopté ses doctrines de 
nombreuses traces des théories qui ont été inventées par 
les Musulmans. 

Saint-MickeUeri'GrèQef Mars igoa. 



connaître en même temps la langue arabe Je craindrais de 

perdre le sens si f allais m.*abimer dans l'étude de certaines classes 
de ces mots, dans la terminologie alambiquée des Soufis par 
exemple. C*est une tâche que je laisse volontiers à d'autres, » Je ne 
sais au juste ce que Von penserait de Vauteur d'un dictionnaire 
allemand qui déclarerait qu'il a omis le vocabulaire philosophique 
de Kant et de Hegel de peur de finir aux Petites-Maisons. 



LE MESSIANISME 



Quand Mohammed mourut, le treizième jour du pre- 
mier mois de la onzième année de F hégire, après un 
apostolat de vingt ans qui n'avait connu ni trêve ni repos, 
les Musulmans furent très embarrassés pour lui donner 
un successeur. Le Prophète ne laissait point de testament 
écrit; il s'était borné à déclarer devant Abou-Bekr que le 
peu de biens qu'il possédait devait retourner à la commu- 
nauté musulmane et que ses femmes n'avaient point le 
droit d'en hériter; on ne sait s'il avait désigné, à Tinsu du 
peuple, celui qui devait lui succéder (i); il est bien invrai- 
semblable qu'il Tait fait, car il n'avait aucun intérêt à agir 
ainsi, et celui sur lequel se serait porté le choix de Mo- 
hammed n'aurait pas manqué de s'en prévaloir bien haut 
au lendemain de sa mort. Il est très difficile de savoir 
quelle idée le Prophète se faisait de la transmission du 
pouvoir qu'il prétendait tenir d'Allah, et comment il en 
considérait la succession ; ce pouvoir n'était point seule- 
ment spirituel, puisque non content de révéler aux 
hommes le culte du vrai Dieu, il avait toujours eu pour 
but de les grouper autour de lui et d'en faire une seule et 

(i) Makrizi raconte que du temps d*Ali parut Abd- Allah, iils de 
Wahhab et surnommé el-Saba, qui enseigna que Mahomet avait 
légué Vimamat à Ali» ûls d*Abou-Taleb (De Sacy, Exposé de la 
Religion des DruzeSy Introd,, p. XIV); il est presque certain que 
cet individu prétendait cela pour se faire bien venir d*Ali; il 
ajoutait qu'Ali et Mahomet reviendraient après leur mort. 11 
parait que c'est à ce personnage que remonte l'origine du dogme 
de la disparition de Tlmam, c'est-à-dire du Mahdisme, tel qu'il 
était enseigné par les missionnaires des Fatimites. 



immense nation (i); la partie temporelle du pouvoir qu'il 
exerçait ainsi pouvait évidemment se transmettre à un suc- 
cesseur quelconque, mais en était-il de même pour sa 
partie spirituelle, de beaucoup la plus importante et sans 
laquelle l'autre n'aurait pas existé un seul instant? La 
légitimité de la transmission de son double pouvoir spi- 
rituel et temporel n'aurait guère été contestable, si l'un 
de ses cinq fils (2) avait vécu pour le recueillir, tandis 
que des contestations étaient inévitables entre ses collaté- 
raux. Les historiens arabes des premiers temps de l'hé- 
gire ne font peut-être pas un récit bien exact de ce qui se 
passa immédiatement après la mort de Mohammed, et il 
semble qu'ils ont fait volontairement le silence sur des 
scènes de violence dont Médine l'illuminée fut alors le 
théâtre, et qui n'honorent en rien les premières heures de 
l'Islamisme, Les contestations durent être assez vives, 
car beaucoup de Musulmans, doutant de l'avenir de leur 
religion, se montraient déjà disposés à retourner à leurs 
anciennes croyances. Deux hommes se trouvaient en 
présence, qui avaient des droits incontestables, mais iné- 
gaux, à l'imamat (3) : Ali, fils d'Abou-Talib, qui avait 

(i) Malgré cela, le pouvoir des quatre premiers khalifes, des 
khalifes orthodoxes, comme les appellent les historiens musul- 
mans, fut beaucoup plus spirituel que temporel ; il est certain que 
dans de telles conditions, l'Islam n'aurait pas tardé à se dislo- 
quer et à se diviser en petites unités de races ou plutôt géogra- 
phiques. Ce n'est qu'avec l'avènement du premier khalife omey- 
yade, Moaviyya, lils d'Abou-Sofian, que cet empire théocratique 
revêt une forme politique et militaire qu'il ne perdra plus. 

(2) Quatre d'entre, eux eurent pour mère sa femme Khadidja, ila 
s'appelaient Easem, Tayyib, Taher et Abd-Allah ; un autre nommé 
Ibrahim naquit de Marie la Copte, qui avait d'abord été sa concu- 
bine et qu'il épousa plus tard. Peut-être est-ce par suite de la dou- 
leur que lui causait la perte de ses cinq fils que le Prophète ne 
voulut point choisir son héritier parmi les membres de sa famille 
qui avaient chance de lui survivre, laissant aux Musulmans le soin 
de faire ce choix; en tout cas ce fut de sa part une très grave 
imprudence. 

(3) Vimamat est la dignité d'îmam. Tous les khalifes portent le 
titre d'imam qui signifie c celui qui marche à la tête d'une troupe 



épousé Fatima, la fille chérie du Prophète, et Abou-Bekr(i) 
son beau-père. Tous les deux avaient rendu les plus grands 
services à Tlslam qui, sans leur concours, n'aurait pu vivre 
un instant, mais il est certain que les mérites dufilsd'Abou- 
Taleb l'emportaient de beaucoup sur ceux dont Abou-Bekr 
pouvait se prévaloir. Si Mohammed avait été la tête de 
l'Islam, Ali en avait été le bras durant de longues années, . 
et il aurait été juste qu'il en fût récompensé par le pouvoir 
suprême. Ces considérations n'arrêtèrent longtemps, ni 
les Musulmans, ni Abou-Bekr, qui se déclara le succes- 
seur de Mohammed et qui prit le titre de khalifa résout 
Allah : « vicaire du Prophète d'Allah ». . 

Ali ne devait arriver au Khalifat que vingt-neuf ans 
après ces événements, en l'année 655 de l'ère chrétienne, 
et son règne de quatre ans ne fut qu'une série de cala- 
mités; il fut assassiné à Koufa en 66i par un partisan 
des Omeyyades, laissant le trône à son fils Hasanqui périt 
misérablement, huit années plus tard, empoisonné par 
l'une de ses femmes. 

Le Khalifat orthodoxe avait vécu et l'omeyyade 
Moaviyya, fils d'Abou-Sofian, monta sur le trône à 
Damas, fondant ainsi l'une des dynasties les plus glo- 
rieuses qui aient jamais régné sur les Musulmans. 

La famille d'Ali et les nombreux partisans qu'elle 
comptait dans l'Irak et en Perse ne crurent pas que leur 

d*hommes » ; il s'en suit qu'au point de vue politique comme au 
point de vue religieux, khalifat et imamat sont deux synonymes. Ce 
terme d'imam a iini par perdre beaucoup de sa valeur, il désigne 
celui qui fait la prière du Vendredi et qui prononce la khotba ou 
prône, puis tout personnage dont les occupations et les travaux 
portent sur la religion et qui s'est distingué par son savoir et l'aus- 
térité de ses mœurs. 

(i) Abou-Bekr s'appelait primitivement Abd-el-Kaab^ « le seiv 
viteur d'Aphrodite »; quand il se convertit à l'Islamisme, très peu 
de temps après Khadidja et Ali, il changea ce nom païen en celui 
d'Abd-Allah a serviteur d'AUah », et quand il eut donné sa iiile 
Alsha à Mohammed, il prit le titre d'Abou-Bekr, « le père de la 
vierge », nom sous lequel il est universellement désigné par tous 
les historiens et hagiographes musulmans. 



- 4 - 

rôle fût désormais fini dans Tlslam. et ils firent tout ce qui 
était en leur pouvoir pour renverser les Omeyyades; mais 
ils n'arrivèrent pas à triompher d'un parti aussi puissam- 
ment organisé que celui des khalifes de Damas, et il 
semble que les Musulmans de TOuest considéraient déjà 
les Alides comme le parti de l'étranger, presque comme 
des hétérodoxes. On va voir qu'ils n'avaient point tout 
à fait tort et que certainement, il y avait dans le parti alide 
un élément anti-musulman dont on ne saurait nier l'im- 
portance. 

C'est ainsi que 29 ans après la mort du Prophète, l'Islam 
se trouva brisé en deux tronçons qui ne devaient jamais 
se rejoindre : le Shïisme alide qui se réfugia en Perse, le 
pays le plus intellectuel de toute l'Asie, et le Sunnisme 
des Omeyyades et des Abbasides. L'histoire des luttes de 
ces deux grandes fractions de l'Islam n'est en définitive 
que celle de la rivalité du génie iranien et de l'esprit 
sémitique, mis en présence par la bataille de Nihavend 
dans les dernières années de la dynastie sassanidc. 

Les Alides et leurs partisans n'essayèrent point de fonder 
un Khalifat indépendant de celui de Damas ; c'était une 
entreprise trop hasardeuse à une époque où tout le monde 
musulman était encore réuni sous un même sceptre, et où 
la disloyalty qui devait être si fréquente plus tard, était 
encore inconnue, ou à peu près. Malgré leur remarquable 
organisation politique et la propagande effrénée qu'ils ne 
cessèrent de faire dans tout l'Islam, les Alides s'aperçurent 
bien vite que la tâche était au-dessus de leurs forces ; la 
Perse d'où venait l'essence de leur doctrine ne pouvait 
encore leur donner asile, car la conquête avait été trop 
brutale pour qu'elle pût se ressaisir avant quelques siècles, 
et les dynasties qui allaient se succéder dans l'Iran jus- 
qu'aux Deîlémites furent, au moins en apparence, les plus 
fermes soutiens du Khalifat abbasside de Bagdad. 

Ce ne fut que bien longtemps après ces événements, 
quand des siècles eurent passé sur le tragique souvenir de 
Koufa et de Kerbéla, que les Shïites fondèrent en Egypte 
un puissant empire qui mit en péril l'existence du Khalifat 



— 5 — 

sunnite des Abbassides et qui ne tomba qu'au milieu des 
troubles et des révolutions provoqués en Orient par la 
première Croisade. Quant à la Perse, il lui fallut attendre 
le règne du sultan mongol Euldjaïtou pour que le Shïisme 
devint sa religion nationale. 

Il serait très curieux d'étudier la vie intime et l'organi- 
sation politique des communautés, on oserait presque dire 
des comités alides, en Perse et dans tout le monde de 
rislam, où ils n'ont cessé pendant près de quatorze siècles 
de fomenter des révolutions en soudoyant tous les mécon- 
tents. Il ne l'est pas moins d'étudier comme nous allons le 
faire dans les pages suivantes, l'étrange fiction religieuse 
de Vimamat shîite dont les origines sont mazdéennes, et 
de rattacher toutes les sectes de l'hétérodoxie musulmane 
à la théorie de l'imam caché des Alidês, c'est-à-dire en fin 
de compte, au Messie des adorateurs du feu, prototype du 
Messie du Judaïsme. 



II 



Presque toutes les sectes l^hïites, même celles dont la doc- 
trine et les prétentions sont le plus avancées, reconnais- 
sent qne Fimamat passa de Hose'in à son fils, le quatrième 
imam, Ali-Zeïn-el- A.bidin ; il n'y a guère, comme on le verra 
dans la suite, qu'une secte qui fasse exception à cette règle. 
Or, la mère d' Ali-Zeïn-el- Abidin, épouse d'Hoseïn, fils 
d'Ali, était au témoignage de tous les historiens musul- 
mans, une princesse de la famille des Sassanides, la pro- 
pre fille de l'infortuné Yezdégerd. La mère du huitième 
imam, Ali-er-Ridha, fut également une persane, mais c'est 
un fait qui n'a aucune importance pour les sectes difieren- 
tes de r « Jmamisme aux douze imams » ; rien ne dit d'ail- 
leurs qu'elle fut apparentée à la famille royale qui gou- 
verna la Perse pendant quatre siècles ; de plus, cet imam 
étant postérieur à Djaafer-es-Sadik, n'est reconnu comme 
légitime, ni par les Ismaïliens, ni par beaucoup d'autres 
sectes moins importantes. De ces deux faits, le seul qui ait 
une réelle importance est le premier ; on sait qu'il a toujours 
été dans la politique des princes orientaux qui étaient 
appelés à monter sur le trône, non par une succession 
légitime, maispar suite d'une conquête, d'épouser une prin- 
cesse de la dynastie déchue ou de la donner en mariage à leur 
héritier présomptif. Ce procédé qui serait presque impos- 
sible en Europe est très pratique en Asie où la polygamie 
permettrait, le cas échéant, d'épouser toute une série de 
princesses, dernières représentantes de leur dynastie, et 
par conséquent d'acquérir tous leurs droits royaux. 

Que le conquérant fût le souverain d'un autre état ou 
que, sorti des rangs les plus infimes de la société, il se soit 
élevé au pouvoir impérial, son union avec la fille du prince 
détrôné, seule ou presque seule héritière de la monarchie, 
en faisait immédiatement le souverain légitime des états 



sur lesquels les ancêtres de son épouse avaient régné. En 
faisant épouser à son fils Hoseîn la fille de Yezdégerd, 
le khalife Ali n'eut pas d'autre intention que de faire de 
ses petits-fils les descendants incontestables des Sassa- 
nides, et de leur réserver ainsi le moyen de réclamer le 
trône de Perse et l'empire du monde comme héritiers 
légitimes du vaincu de Nihavend. C'est en invoquant le 
même principe politique, 'ju'à l'aube du xx« siècle, les 
grands princes de Moscou, devenus successivement tsars 
de Moscou et autocrates de toute la terre russe, se consi- 
dèrent comme les héritiers des Césars de Byzance (i), 
parce (Jue le grand prince Vladimir Monomaque (ioi5) 
épousa Anna, sœur des deux empereurs Basile et Cons- 
tantin Porphyrogénète et qu'en 1472, Ivan III se maria 
avec Sophie, fille de l'empereur Thomas Paléologue (a). 
Les Shïites persans appartiennent à la secte desimamis 
appelés en arabe Ethna 'ashari, « les Duodécimains i>, 
parce qu'ils reconnaissent douze imams, dont les trois 
premiers sont Ali, Hasan, Hoseîn (3) et le quatrième Ali, 

(i) a Sa prétention (à la Russie) dès les temps les plus anciens, 
fut de réunir à elle tous les peuples qui avaient sa croyance, ou 
d'hériter du pouvoir religieux de Constantinople et de rétablir 
l'empire d'Orient au profit des tsars de Moscou. ^ 

Pierre le Grand ne possédait encore qu'un état sauvage, sans 
ports, sans armées, sans finances; il avait devant lui la Suède, 
la Pologne, la Turquie, qui interdisaient à la Russie la vie euro- 
péenne ; enfin il n'avait pas encore un pouce de terre sur les 
bords du Pont-Euxin, qu'il intriguait déjà par toute la Grèce, 
remuant les peuples de race slave, combattant sourdement Tin- 
fluence de la France sur les chrétiens orientaux, minant l'empire 
ottoman ». (Lavallée, Histoire de Turquie), 

(a) C'est à partir de cette époque que les tsars ont adopté comme 
armoiries l'aigle byzantine à deux]tête8 que l'on retrouve encore sous 
sa forme archaïque au Granoifitaîa Palata, au Kremlin de Moscou. 
Le petit-fils divan III, Ivan IV Vassiliévitch le Terrible, prit en 
i547 le titre de tsar comme héritier de l'empire de Byzance qui 
venait d'être détruit par les Turcs osmanlys. 

(3) J'emprunte ces quelques détails sur les Imams à la célèbre chro- 
nique de Mirkhond intitulée Rauzet-el-Séfa ; ils ne forment qu'un 
très bref résumé de leur histoire que l'on pourrait considérable- 
ment étendre à l'aide des traités spéciaux écrits soit en arabe, soit 



— 8 — 

fils d'Hoseïn, surnommé Zeïn-el-Abidiu(i); il se nom- 
mait Abou-Mohammed, Abou'-l-Hasan, Abou'-l-Kasem et 
Abou-Bekr et portait les titres de Seyyid-el-Abidin (a) ou 
deZeïn-el-Abidin; samèreShehrbanou, ousuivantd^autres 
Shehrbanouyèh (3), était, comme on vient de le voir, la 
fille de Yezdégerd, le dernier souverain sassanide. L'auteur 
du livre intitulé la « Prairie verdqxante des hommes 
pieux (J^) », raconte que le khalife Ali avait envoyé Haris, 
fils de Djaaber-el-Hanéfipour gouverner quelques-unes des 
provinces de l'Orient et que ce général en ramena la fille 
de Yezdégeini qu'il offrit comme esclave à son maître. 
Celui ci la donna à son fils Hoseïn; une autre fille de Yez- 
dégerd, nommée Kiyanbanou (5) fut également ramenée 

en persan ; mais je doute que cela en vaille la peine ; de plus je n'ai 
point Tintention de faire ici l'histoire complète de l'imamat alide 
Dans tous les historiens musulmans, ces personnages ne sont que 
des ombres qui vivent parallèlement, comme des doublures, au 
Khalifat omeyyade et abbasside, sans influer en rien sur son évo- 
lution et sans rien apporter à la vie de llslam ; il est très possi- 
ble que cet elTacement et cette ténuité des imams alides ne soient 
qu'un mirage causé par la lecture d'écrivains qui ont tout fait 
pour décapiter leur histoire ; cela est même probable, mais comme 
nous n'avons de renseignements que par eux, ces personnages ne 
sortiront jamais de la pénombre dans laquelle nous les voyons 
s'agiter confusément. Je me suis servi d'un manuscrit du tome III 
de Mirkhond, conservé à la Bibliothèque Nationale sous le n^ i52 c. 

(i) V <r ornement des adorateurs d'Allah ». 

(s) Le <r prince des adorateurs d'Allah ». 

(3) Le premier élément de ce nom propre est certainement le 
même que celui qui se trouve dans Shehrzade, nom de la célèbre 
conteuse des Mille et Une Nuits, autrement dit Cithra; banou en 
persan signifie dame, princesse. 

(4) Ou (T Printemps des Gens i)ieux », nébi-el-ébrar ; c'est un 
traité arabe bien connu écrit par le célèbre Djar-AlIah-el-Za- 
makhshari; il contient des anecdotes sur toutes sortes de sujets. 

(3 Kiyanbanott est composé des deux mots kiyan et banou; on 
vient de voir (note 3) que banou signifie princesse; quanta kijran 
ou kajran, c'est l'ethnique de kat qui désigne un des souverains de 
la seconde dynastie légendaire de la Perse, les Kéanides; Kiyan- 
banou signifie donc « la princesse Kéanide » ou simplement a la 
princesse royale, la fille de Perse» comme on disait la fille de France. 



— 9 — 

par Haris et donnée par Ali à Mohammed, ûls d*Abou- 
Bekr-el-Siddik, cousin de Zeîn-el-Abidin. 

Les historiens musulmans ne sont point d'accord sur 
Tépoque à laquelle naquit Timam Ali-Zeïn-el-Abidin ; elle 
Tarie du i5 Djoumada second de Tan 38 ou 3g au 9 Shaaban 
de l'an 33 de Thégire. 

La reconnaissance d'AIi-Zeïn-el-Abidin comme imam 
n'alla point toute seule; son oncle Mohammed, fils de la 
Hancfitc (et fils d'Ali), cherchait depuis longtemps à s'ap- 
proprier l'imamat aux dépens de Hoseïn et de ses descen- 
dants ; on va voir que la secte qui s'était formée autour de 
lui avait rapidement pris une certaine consistance et 
qu'elle aurait pu mettre en danger l'existence de l'imamat 
des Hoseînides. Ce n'est pas ici l'endroit d'examiner les 
causes multiples qui firent échouer les projets du fils de 
la Hanéfite; il suffira de dire qu'un jour, Zeïn-el-Abidin 
eut à la Mecque une discussion avec son oncle. Ce dernier 
prétendait qu'il était le plus digne d'être revêtu de la 
dignité de successeur du Prophète, parce qu'il était le fils 
d'Ali. Zeîn-el-Abidin lui répondit que ces paroles étaient 
une offense à Allah, car tous ceux qui étaient destinés à 
l'imamat étaient désignés par la Pierre Noire de la Kaaba. 
On voit que malgré tout ce que le Prophète avait fait pour 
anéantir la croyance aux idoles, la Pierre Noire était restée 
un de ces bétyles mystérieux qui furent les premières divi- 
nités, les Elohim (i) des Sémites, comme elles le furent 
pour les Hellènes (2), au même titre que chez les sauvages 
de l'Afrique centrale. 

(i) Il existe à la Kaaba une échelle ou plutôt un escalier, qui mène 
au ciel et un autre qui sert aux Anges à descendre sur la terre ; cette 
échelle rappelle singulièrement celle dont il est question au cha- 
pitre XXVIII de la Genèse. Il y est raconté que Jacob se rendant 
à Harran arriva dans une localité où il vit en songe une échelle 
posée sur la terre, et dont le sommet touchait au ciel, il érigea une 
pierre dans cet endroit qu'il appela Beth-El, «maison de Dieu». 

(a) Il est très probable que la civilisation de la portion de la 
côte de TAsie-Mineure qui est située juste en face de l'Europe, ne 
devait pas à Tépoque antéhomérique différer sensiblement de celle 
de la iîrèce continentale; or il est certain que les populations des 



— lO — 

A cette époque, la Pierre Noire était encore une divi- 
nité que Ton consultait comme les anciens oracles de la 
Hellade. On conçoit pourquoi, en 819 de Thégire, les 
Karmathes enlevèrent de la Mecque cet énorme bloc de 
pierre (i) : c'est qu'il était le palladium de l'Islam et qu'en 
même temps que lui, ils emportaient sa vie (2). 

Mirkhond raconte que Zeïn-el-Abidin dit à Mohammed, 

premières villes qui furent exhumées par Schliemann sur la colline 
d'Hissarlik» qu'on y veuille reconnaître les Troyens ou tout autre 
groupe ethnique, adoraient des idoles de pierre à peine taillées, 
sans bras ni jambes, et présentant tout juste le contour apparent 
du buste d'un être humain. 

(i) Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni raconte dans le DJihan- 
Kusha (ms. supp. persan 2o5, fol. 167 verso) que les souverains 
musulmans offrirent 100 000 dinars ou pièces d'or aux Karma- 
thes pour qu'ils rendissent la Pierre Noire, mais qu'ils refusèrent 
absolument d'accepter cette transaction. Vingt-cinq années après 
l'avoir enlevée, ils rapportèrent la Pierre Noire à Koufa et la jetè- 
rent dans la mosquée, après y avoir attaché une feuille de papier 
sur laquelle étaient tracées ces lignes : « Nous l'avons emportée 
par ordre, c'est par ordre que nous la rapportons. » La Pierre 
Noire d'ailleurs n'a jamais eu de chance avec les Shïites ; Aboù'-l- 
Mahasen raconte dans son Histoire d'Egypte (ms. ar. 1777, fol. 
i85 V») qu'en l'année 4i3, sous le règne du khalife fatimite el- 
Thâher-li-izâzi-dîn-Iilah, un individu qui était partisan des théo- 
ries insensées du khalife el-Hakem-bi-amr-Allah, s'étant rendu à 
la Mecque, frappa la Kaaba d'un coup de sa masse d'armes en 
pleine cérémonie de pèlerinage, ce qui en détacha un fragment. 
Cela provoqua une émeute au cours de laquelle la caravane 
d'Egypte fut assaillie, de telle sorte que beaucoup de pèlerins de 
cette contrée périrent sous les coups des Mekkois. 

(a) Aujourd'hui encore, le sultan de Constantinople, successeur 
des khalifes et vicaire des deux sanctuaires, envoie a la Mecque un 
rideau d'étoffe précieuse brochée d'or dont on i*evét la Kaaba. On 
peut arriver à déterminer les attributs de la divinité qu'elle 
représentait avant l'Islamisme; c'était une divinité féminine 
comme l'indique suflisamment la forme du mot kaaba. J'avais 
l'intention de donner sur ce point quelques détails en appendice; 
mais cette question, fort importante pour l'histoire religieuse de 
l'Arabie antéislamique, mérite d'être traitée à part. En consé- 
quence, on trouvera ce mémoire dans les deux premiers fasci- 
cules de Tannée 1902 de la Revue de Philologie et de Linguistique 
dirigée par M. Vinson et éditée par la librairie J. Maisonneuve. 



— II — 

fils de la Hanéfite, d'interroger la Pierre Noire, et que 
celui-ci l'ayant fait, elle ne lui répondit point; Zeïn-el- 
Abidin dit alors : a O Pierre Noire! par la vertu des 
pactes des Prophètes qui ont été conclus sur toi et qui 
t'ont yalu un tel degré de noblesse, je te conjure de me 
dire en bon arabe qui sera l'imam après la mort d'Hoseïn, 
fils d'Ali I » La Pierre Noire s'agita immédiatement comme 
si elle voulait tomber et une voix répondit que l'imamat 
revenait à Ali, fils d'Hoseïn. Ce miracle fit que Moham- 
med, fils de la Hanéfite, reconnut le titre d'imam à Ali. 

Il est probable que les choses ne furent point si simples 
que le raconte l'historien persan et que Zeïn-el-Abidin 
avait des arguments plus tangibles à faire valoir. Mir- 
khond rapporte d'après un nommé Zahr, qui vivait à 
cette époque, que Zeïn-el-Abidin fut en butte à la haine 
du khalife Abd-el-Méiik, fils de Mervan, qui le fit charger 
de chaînes et jeter en prison. « Je demandai, dit Zahr, la 
permission de le visiter et ses gardiens m'y ayant auto- 
risé, j'entrai dans la cellule où il se trouvait ; l'ayant vu 
dans cet état, je fondis en larmes. — Pourquoi, m'écriai-je, 
ne puis-je prendre ta place pour que tu sois en liberté! — 
Tu te figures, Zahr, me répondit l'imam, que je souf&e 
d'être ainsi chargé de chaînes ; mais toutes les fois que je 
le veux, mes liens tombent ». Un jour les gardiens ne le 
trouvèrent plus dans sa prison et ils n'aperçurent que 
ses chaînes, sans qu'il leur fut possible de s'expliquer com- 
ment il avait pu disparaître puisqu'ils n'avaient pas cessé 
de faire bonne garde. 

Le khalife Abd-el-Mélik-ibn-Mervan raconta qu'à l'heure 
même où il était disparu de sa prison, l'imam s'était pré- 
senté devant lui et lui avait demandé pour quelle raison 
il l'avait ainsi traité ; le khalife l'ayant prié de reconnsdtre 
sa suprématie religieuse, Zeïn-el-Abidin n'y voulut point 
consentir et disparut. 

Il mourut le dix-huitième jour du mois de Moharrem 
de l'année 94 ou g5 de l'hégire, sous le khalifat d'el-Wélid, 
fils d' Abd-el-Mélik, fils de Mervan, et il eut pour successeur 
son fils, le cinquième imam, Mohammed, fils d'Ali, gêné- 



— 12 — 

ralement connu sous le nom de Mohammed-Baker, qui 
naquit à Médine en l'an 5o de Thégire, le Vendredi j^remier 
jour du mois de Redjeb ou, suivant d'autres, le trois du 
mois de Safer ; sa mère se nommait Oumm-Abd- Allah et 
elle était la fille du khalife Hasan, fils d'Ali. Cet imam fai- 
sait des miracles qui se rapprochent beaucoup plus de ceux 
du Christ que de ceux de Mohammed. Un certain Abou- 
Basir, qui était frappé de cécité, raconte qu'il dit un jour 
à l'imam Mohammed-Baker : « Vous êtes le descendant du 
Prophète? — Certainement, me répondit-il.— Je continuai : 
Le Prophète avait hérité de la science de tous les Pro- 
phètes antérieurs ? — Oui, me dit l'imam. — Et vous avez 
hérité de toutes les sciences du Prophète ? — Par la grâce 
du Dieu très haut, j'en ai en effet hérité, me répondit-il. 

— Vous avez alors la puissance de ressusciter les morts, 
de rendre la vue aux aveugles et la santé aux lépreux ? 

— Certainement, par la permission d'Allah. — Il ajouta : 
Approche-toi de moi, Abou-Basir ». — Quand je fus tout 
près de lui, il me mit la main sur les yeux en disant : 
« O Dieu parfait ! »; il retira alors sa main et mes yeux 
devinrent clairvoyants ; il plaça une seconde fois sa main 
sur mes yeux qui se retrouvèrent dans leur premier état. » 
L'imam offrit ensuite à l'aveugle de lui rendre définitive- 
ment la vue à la condition de laisser son sort à la décision 
de Dieu, tandis que s'il gardait son infirmité, il serait sûr 
d'aller au Paradis. Abou-Basir choisit la seconde de ces 
deux alternatives. 

L'imam Mohammed-Baker mourut en l'an io4 à l'âge de 
cinquante-sept ans. 

Le sixième imam est le célèbre Djaafer-el-Sadik, fils de 
Mohammed, fils d'Ali, fils d'Hose'in. Ce personnage est le 
plus célèbre de tous les imams alides ; il passe dans tout l'Is- 
lam pour avoir inventé plusieurs méthodes de divination 
qui sont répandues même dans les pays sunnites. Il s'appe- 
lait Abou-Abd-AUah et sa mère se nommait Oumm-Fer- 
dèh ; elle était fille de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-el-Sid- 
dik. Djaafer-el-Sadik naquit à Médine en Fan 3o ou 33 de 



— i3 — 

l'hégire (i). Cet imam était très versé dans les différentes 
sciences et il se distinguait par Texcellence 4e ses mœurs. 
Le khalife abbasside Abou-Djaafer-el-Mansour ordonna 
un jour qu on lui amenât Fimam et quand il fut présent, il 
lui dit que comme il savait qu'il méditait de le faire tuer 
et de s'emparer de son empire, il serait obligé de le faire 
condamner à mort; Djaafer-el-Sadikne dut qu'à son esprit 
de se tirer de ce mauvais pas ; il n'était d'ailleurs pas assez 
téméraire pour avoir un tel dessein. Il composa un traité 
de sciences plus ou moins magiques qui a une grande célé- 
brité en Orient et qui est connu sous le nom de Kitab el- 
djefr\ Ali-Murtida, fils de Fimam M ousa-el-Ridha, disait 
que l'on pouvait connaître à l'aide de ce livre tous les évé- 
nements depuis la création jusqu'au jour de la résurrection ; 
il y avait deux sortes de djefr ou livre de divination, le 
djefr rouge et le djefr blanc. Un nommé Abou'-l-Kliattab 
afiirma que non seulement Djaafer-ei-Sadik était Fimam, 
mais qu'il était également Dieu. Djaal'er, qui avait plus de 
scrupules que n'en eut plus tard le Fatiraite el-Hakem-bi- 
amr-AUah et les Soufis repoussa cette assertion avec hor- 
reur et dit : « Qu'il soit maudit, lui et ses partisans! » (a) 

L'imam Djaafer-el-Sadik mourut au mois de Shavval de 
Fan i48 de Fhégire, sous le khalifat d' Abou-Djaafer-el- 
Mansour, à l'âge de soixante-cinq ans. 

Le septième imam est son fils Mousa-el-Kazem ; il 
naquit dans une localité nommée Abou-Atfan, qui se trouve 
enti'e la Mecque et Médine, au mois de Safer de l'année 
ia8; il s'appelait Abou'-l-Hasan, Abou-lbRahim ou Abou- 
Abd-AUah et on le surnomma el-Kazem (celui qui retient 
sa colère) ; sa mère se nommait Hamidèh. Abou-Moham- 
med-Hasan, fils de Mohammed, fils de Yahya, descendant 

(i)Le Tezkerét el-evlia ou Mémorial des Saints, de Férid-ed-Din- 
Attar donne de nombreux renseignements sur cet imam regardent 
comme l'un des ancêtres de la secte des Souils. Je ne crois pas utile 
de les donner ici, car on les trouve pour la plupart dans la traduc- 
tion du Tezkérèh'i évita ouïgour de Pavet de Gourteille. Paris, 1889. 

(a) Ala-ed-Din-Ata-Mélik-Djouveîni, DJikan^Kusha, ms. supp. 
Persan aoS, folio 157 v«. 



- i4 - 

d'Ali, raconte qu'un descendant d'Omar insulta un jour 
Timam Mousa et qu'il parla avec mépris du khalife Ali ; 
plusieurs des personnes qui se trouvaient avec l'imam 
Mousa lui demandèrent la permission de le tuer; non 
seulement il ne voulut point "y consentir, mais il traita 
généreusement l'homme qui avait proféré ces insultes. 
Peut-être d'ailleurs, y avait-il dans cet acte comme dans 
bien d'autres qui sont rapportés par les historiens musul- 
mans, autant de politique que d'humanité, peut-être même 
plus. Onrapporte que Mohammed-ibn-Djaafer-el-Mansour, 
autrement dit le khalife el-Mehdi, fit transférer l'imam 
de Médine à Bagdad et le fit mettre en prison; il lui 
rendit sa liberté au bout de quelque temps, et lui donna 
une somme de mille dinars à la suite d'un songe qui 
l'avait fort effrayé et dans lequel Ali lui était apparu ; 
il le fit reconduire à Bagdad par son chambellan Rébi. 
L'imam Mousa parait avoir vécu pendant quelque temps 
en assez bons termes avec les Abbassides qui le trai- 
taient avec honneur. Mirkhond raconte en effet, d'après 
un certain Ayyoub-ibn-el-Hoseïn-el-Hashimi, qu'il assistait 
à des soirées (medjlis) données par le khalife Haroun-er- 
Réshid. Néanmoins, comme il inspirait des craintes d'ail- 
leurs justifiables, au Khalifat abbasside^^n se débarrassa 
de lui par lepoison ; il mourut en i83 de l'hégire à Médine. 
On raconte que lorsque Fimam fut empoisonné, il dit : 
« Aujourd'hui on m'a donné du poison, demain mon corps 
sera jaune, après-demain il sera rouge et le jour suivant, 
noir; ce jour-là je mourrai. » Tout ce que l'imam avait 
ainsi prédit se trouva exact. Pour bien montrer qu'il était 
mort et faire croire au peuple qu'il avait été la victime d'un 
accident, on transporta son corps au bord d'un pont sur le 
Tigre, et on l'exposa ainsi pour bien montrer que son corps 
ne portait aucune trace de violence. Il fut inhumé dans les 
tombeaux des Hashémites. D'après l'auteur de la Prairie 
verdoyante des hommes pieux, il avait vécu quai*ante-cinq 
ans. 

Le huitième imam fut son fils Ali-ibn-Mousa-el-Ridha, 
dont le tombeau, comme le dit Mirkhond, est visité par 



— i5 - 

une foule immense de pèlerins venus des quatre coins du 
monde musulman ; on l'appelle également el-Ridha ou el- 
Murtidha. 11 naquit à Médine en l'an i48 de l'hégire, la 
onzième nuit du mois de Dhou'-l-Kaada de l'an i53, suivant 
d'autres autorités. La mère de l'imam Mousa-el-Kazem 
avait acheté plusieurs jeunes filles persanes qui apparte- 
naient aux meilleures familles du pays; une nuit, elle eut 
un songe durant lequel elle entendit Mohammed lui or- 
donner de donner l'une d'elles en mariage à son fils ; cette 
personne se nommait Nedjmèh-Tahérèh. La naissance 
d' Ali-el-Ridha fut annoncée par des signes qui tiennent du 
prodige : sa mère raconta que durant tout le temps qu'elle 
avait été enceinte de lui, elle n'avait ressenti aucune gêne 
et que lorsqu'elle dormait, elle entendait sortir de son 
sein une voix qui chantait les louanges d'Allah. 

Quoiqu'étroitement surveillés par la police des khalifes 
abbassides qui voyaient avec raison en eux un danger 
immédiat et de tous les instants pour leur dynastie, les 
Alides n'en étaient pas moins arrivés par leurs intrigues 
continuelles à fortement ébranler l'autorité du Khalifat 
orthodoxe. Les révoltes provoquées par les descendants 
de Fatima rendirent un moment sa situation assez cri- 
tique pour que, sous le règne de Mamoun, il fftt décidé 
par les jurisconsultes sunnites qu'on prendrait pour lui 
succéder un Alide et leur choix tomba justement sur l'imam 
el-Ridha. « Son fils (de l'imam Mousa), dit Rashid-ed-Din 
dans la DJami-at-téwarikh, l'imam Ali-ibn-M ousa-el-Ridha 
se trouvait alors à Médine, il y vécut jusqu'à ce que le 
khalife Mamoun (sur lui soit la malédiction d'Allah !) le 
fit venir dans le Khorasan qu'il lui donna comme fief par 
un diplôme autographe qui est aujourd'hui (i) encore con- 
servé à Meshhed, près de Tous. Au bout de quelque 
temps, ILfut empoisonné à Tous et il y fut enterré. » 

Le khalife avait en même temps ordonné que Ton 
délaissât les habits noirs qui étaient les insignes des 

(i) Le vizir de Gliazan écrivait dans les premières années da 
xnr* siècle de Tère chrétienne. 



— i6 — 

Abbassides pour revêtir des habits d*éto ITe verte comme en 
portaient les Alides. L'attitade de Fimam au jour où il fut 
reconnu comme l'héritier présomptif de Mamoun, et celle 
de la population furent telles que sur le conseil du vizir Fadl, 
fils de Sahal, le khalife revint immédiatement sur sa déci- 
sion. Ces deux mesures contradictoires prises coup sur coup 
ne firent que rendre Timam el-Ridha plus redoutable pour 
le Khalifat; aussi Mamoun chercha-t-il à s'en débarrasser 
le plus promptement possible; il invita Timam h se rendre 
aux bains en sa compagnie, mais celui-ci eut la bonne idée 
de refuser en disant que le prophète Mohammed lui était 
apparu et lui avait conseillé de n'en rien faire. 

On comprend Timportauce politique de l'acte qui, en 
faisant de l'imamel-llidha le successeur des khalifes abbas- 
sides, rendait le pouvoir souverain à la seule branche de 
la famille du Prophète qui, juridiquement parlant, fût en 
droit de l'exercer. 

Ce fut, comme on vient de le voir, un triomphe sans 
lendemain pour les Alides et il est permis de croire que ce 
fut beaucoup de leur faute ; sans doute, même à l'époque de 
Mamoun, qui a bien l'air d'avoir été un des tournants de 
l'histoire du Khalifat sunnite, il y eut dans l'empire un fort 
élément anti-alide, mais il est non moins probable que cet 
élément n'était qu'une minorité pour que le khalife ait pris, 
pour ainsi dire de lui-même, une décision aussi grave, 
qui devait décider à jamais du sort de sa dynastie; avec 
plus de tact politique, Ali-ibn-Mousa-el-Ridha n'aurait 
sans doute pas rencontré d'obstacles insurmontables sur 
sa route, mais ce tact politique, ce sens ou plutôt ce pres- 
sentiment de ce qu'il faut éviter de faire, a toujours man- 
qué aux Alides au moment précis où ils arrivaient au pou- 
voir souverain. Il n'y a peut-être pas de religion au 
monde, sans en excepter le Christianisme, dans' laquelle 
les missionnaires, les dais, aient pratiqué un renonce- 
ment aussi complet et se soient exposés, non chez des bar- 
bares, mais chez leurs frères de croyance et de race, à des 
traitements aussi rigoureux et à des morts aussi cruelles 
que celles qui attendaient les SMites pris à faire de la pro- 



— 17 — 

pagande en pays sunnite; mais le renoncement, le dévoue- 
ment de ces humbles à la cause delà famille d'Ali n'aboutit 
pendant des siècles qu'à des résultats misérables, et cela 
par la faute de ceux qui auraient dû les soutenir. Il n'y a 
qu'une époque où les Alides furent aussi près de s'emparer 
du pouvoir universel que l'était Âli-ibn-Mousa-el-Ridha 
sous le règne de Mamoun, c'est celle où les Fatimites, tout 
puissants depuis les rives de la mer Rouge jusqu'aux em- 
bouchures du Niger, semblaient sur le point d'anéantir le 
Khalifat orthodoxe de Bagdad. Il ne fallut cependant que 
l'épée d'un officier de fortune qui aurait aussi bien servi 
le Khvarizmshah, les Mongols ou les Fatimites eux-mêmes 
s'il y avait vu son avantage, pour mettre fin à la dynastie 
fondée par le Mahdi ; il est vrai qu'il s'appelait Saladin. 
C'est de môme qu'à la chute des Omeyyades de Damas, le 
sixième imamDjaafer-el-Sadik refusa de se mettre en cam- 
pagne et d'accepter le titre de khalife, laissant ainsi le 
pouvoir passer sans contestation aux Abbassides. 

Les historiens sunnites voudraient faire croire que ce 
fut un simple caprice qui dicta cette décision à Mamoun, 
mais il n'en est rien. Mamoun était certainement inacces- 
sible à bien des préjugés qui étouffaient l'esprit de ses 
contemporains; il fut en tout un novateur, ce qui est loin 
d'être une qualité aux yeux des Musulmans (i), il fut le pre- 
mier qui osa faire traduire en arabe les ouvrages de la 
philosophie grecque, qui lut les traités de métaphysique (2) 
et Euclide (3); c'était en définitive un libre-penseur, c'est- 
à-dire un homme qui pensait mal ; mais de là à vouloir 
substituer les Alides aux Abbassides, il y avait un pas, et 

(i) L'auteur du Fakhri dit toujours en parlant de ce khalife... 
jf3Ù\yiiJ ^y «et parnd ses inaovations, il fut que..«», ce qai bous 
sa plumey est très loiu de constituer uu éloge. 

(3) ô^\p\ pU. 

(3) Le Fakhri'^ on lit dans l'ouvrage historique de Makrizi 
{KitâJb el^-aolouk), ms. ar. 1736, fol. 6 verso ; « Ce fut le premier 
khalife qui étudia rastronomie et qui régla sa conduite sur les 
présages des astres; il lut un grand nombre d'ouvrages des phi- 
losophes anciens. » 



— i8 — 

U est certain que le khalife ne Tanrait pas fait si les cir- 
constances politiques ne l'avaient rigoureasement exigé 
et si les descendants d'Ali n'étaient pas arrivés au point 
d'être capables de s'emparer du Khalifat, si l'on ne préfé- 
rait le leur abandonner. 

A peine les Abbassides et les Sunnites de Bagdad eurent- 
ils appris la décision de MaAioun, qu'ils firent supprimer 
son nom dans la prière du Vendredi, et qu'ils proclamèrent 
à sa place son frère Ibrahim, fils de Mahdi ; dans sa rage, 
Mamoun fit assassiner au bain son vizir Fadl, fils de 
Sahal, qui partagea ainsi le sort de tous ceux que leur des- 
tinée conduit à donner un mauvais conseil, ou à apprendre 
une nouvelle désagréable aux princes orientaux. Quant à 
l'imam el-Ridha, sa mort suivit de près celle du vizir; on 
empoisonna une grappe de raisin qui était son fruit de pré- 
dilection, et le khalife se trouva ainsi débarrassé des deux 
personnages qui, par des voies différentes, l'avaient fait 
descendre d'un trône où il ne tarda pas à remonter. Ce tra- 
gique événement s,e produisit dans le village de Sénabad, 
dans le pays de Thous, où Firdousi devait naître un siècle 
plus tard, au mois de Ramadhan de l'année 2o3, ou, sui- 
vant d'autres, de l'année 208. Par un singulier hasard de 
la destinée, l'imam fut inhumé dans le monument où repo- 
sait Haroun-er-Réshid, le khalife des Mille et une Nuits. 

Le neuvième imam fut le fils d'Ali-er-Ridha, nommé 
Mohammed«Taki, qui naquit à Médine en l'année 195. Sa 
mère se nommait Kheïzouran, comme la mère d'Haroun- 
er-Réshid, ou, suivant d'autres, Reîhanèh. Avant la catas- 
trophe qui amena la rupture définitive entre les Alides 
et les Abbassides, le khalife Mamoun qui éprouvait une 
sympathie toute particulière pour le jeune Mohammed, 
lui avait fait épouser la fille de son vizir, Fadl-ibn-Sahal. 
Mirkhond raconte qu'un homme digne de toute confiance 
a rapporté le fait suivant : « J'ai entendu dire dans l'Irak 
qu'un certain individu prétendait être doué de la Prophé- 
tie ; on le conduisit à Damas chargé de chaînes de fer et 
on l'emprisonna dans telle localité; je m'étais rendu 
dans cet endroit et je donnai quelque argent au portier 



— 19 '- 

pour qu'on me conduisît devant ce personnage; je vis 
que c'était un homme intelligent et qu'il avait des con- 
naissances étendues. Il me dit : « Je suis originaire de 
Damas, et j'y ai durant plusieurs années passé mon temps 
à prier Dieu ; je me trouvais une nuit dans la mosquée et 
j'avais les yeux tournés vers la kiblah ; je priais Dieu 
avec ferveur, quand je vis tout à coup un homme appa- 
raître devant moi, qui me dit : « Lève-toi! » Quand 
j'eus fait un peu de chemin, je me trouvai dans la mos- 
quée de Koufa. « Quel est cet endroit ?» me demanda- 
t-il. Je lui répondis que c'était la mosquée de Koufah. Il 
se mit à faire la prière et je l'imitai ; quand il eut terminé, 
il sortit et j'en fis autant ; nous nous mîmes à marcher ; 
au bout de très peu de temps, je me trouvai dans la 
mosquée du Prophète à Médine l'illuminée; l'homme 
salua le mausolée où il repose, puis il se mit à prier et je 
fis de même; il se leva ensuite et se remit en chemin 
pendant que je me hâtais de le suivre; nous avions à 
peine fait quelques pas que je me trouvai à la Mecque ; 
quand nous eûmes fait le tour de la Mosquée, nous sor- 
tîmes de cette ville. A partir de ce moment le mystérieux 
personnage disparut à mes yeui, et je me retrouvai à l'en- 
droit où je faisais ma prière. Je restai confondu de cet 
événement et il me fut impossible de savoir qui il était. 
L'année suivante, au même instant, il se présenta de nou- 
veau devant moi et me* prit de même comme compagnon 
de route; nous refîmes identiquement les mêmes choses; 
au moment où il allait me quitter Je l'adjurai de me révéler 
qui il était ; il me répondit : <k Je suis Mohammed-ibn-Ali- 
ibn-Mousa-ibn-Djaafer (c'est-à-dire le neuvième imam) ». 
Le lendemain, je racontai cet événement merveilleux à 
mes amis; ce récit est arrivé aux oreilles du gouverneur de 
Damas, qui m'a accusé de prétendre à la Prophétie et qui 
m'a fait charger de chaînes comme tu le vois. i> Le visi- 
teur fut ému de la sincérité avec laquelle ce malheureux 
lui avait narré son histoire et.il écrivit à l'officier qui com- 
mandait dans la capitale de la Syrie pour lui demander sa 
grâce; dès qu'il l'eut obtenue, il se rendit à la prison pour 



— ao — 

la lui annoncer, mais il trouva les soldats de garde en 
proie à un trouble extraordinaire, et quand il leur en 
demanda la cause, on lui répondit que le prisonnier venait 
de disparaître subitement. 

L'imam M ohammed-Taki mourut à Bagdad. 

Le dixième imam fut Ali-ibn-Mohammed-Djévad, connu 
sous le nom d'Abou'4-Hasan et encore mieux sous celai 
d'Askéri, Zéki ou Taki. Sa mère se nommait Semanèh; 
plusieurs historiens racontent, sans doute avec raison, 
qu'il était le fils de la fille du khalife abbasside Mamoun. U 
naquit à Médine au mois deDhou'-l-Hidjdja de Tannée 21a 
deThégire ou, suivant d'autres, en 2i3; le khalife Mota- 
vakkel le fît venir de force du Hedjaz dans l'Irak et le fit 
étroitement surveiller dans la ville de Samarra (Surra- 
men-rad), il le fit ensuite enfermer dans la prison appelée 
« la maison des mendiants ». Un des courtisans du khalife, 
nommé Salih, fils de Saïd, ayant déploré la rigueur de son 
sort, l'imam lui répondit qu'en réalité il n'était point ren- 
fermé dans la prison où il paraissait être détenu, et qu'il 
était aussi libre que s'il n'avait jamais été chargé de 
chaînes. Les historiens racontent même que le khalife 
Motavakkel ne dut sa guérison qu'à l'intervention de 
l'imam alide. D'après le récit de Mirkhond dans le Rauzet- 
nS'Séfa, la vie d'Ali-ibn-Mohammed n'oftre aucune autre 
particularité bien remarquable ; il mourut à la fin du mois 
de Djoumada premier de l'année '264, âgé de ^1 ans, et il 
fut enterré dans un palais qu'il possédait dans la ville de 
Samarra. 

Le onzième imam est son fils Hasan-Askérî, qui se nom- 
mait Abou-Mohammed et qui était surnommé el-Zéki, el- 
Khalis, el-Sézah; le surnom de Askéri lui venait de son 
père Ali-ibn-Mohammed; sa mère se nommait Sousen (le 
lys). Il naquit à Médine au mois de Rébi second de l'année 
282 de l'hégire, ou suivant d'autres, de l'année 23i ; ce fut, 
au dire de Mirkhond, l'un des hommes les plus remar- 
quables et les plus généreux de la famille de Mohammed ; 
L'historien persan cite de lui des traits de libéralité qu'il 
serait trop long et peu intéressant de rapporter en détail. 



— ai — 

mais en revanche il ne donne aucun renseignement sur ses 
relations avec les khalifes de la dynastie abbasside, ce qui 
serait beaucoup plus intéressant. Cet imam mourut a 
Samarra dans l'un des deux mois de Rébi de l'année 260 
de l'hégire, à l'âge de 28 ans. 

Le douzième et dernier imam des Shïites imamis est 
Mohammed le Mahdi, qui se nomme Aboul-Kasem, et que 
l'on connaît plus généralement sous le nom d'el-Hadi, el- 
Mahdi a celui qui est dirigé par Dieu dans la voie droite » ; 
el-Montézer « celui dont on attend la venue » ; Sahib-el- 
Zéman « le Maître du temps ». Il naquit à Samarra, le jour 
même de la mort de son père, de sorte qu'il eut comme le 
remarque Mirkhond, l'imamat dès son enfance, comme 
Jésus-Christ. Sa venue était prédite par une tradition 
attribuée au prophète Mohammed suivant laquelle : « Alors 
qu'il ne restera plus pour le monde qu'un seul jour, Allah 
le Très Haut allongera ce jour pour envoyer pendant son 
cours un homme issu de moi et de ma famille ; comme nom, 
il lui donnera mon nom; il remplira le monde de justice 
et d'équité, comme il était rempli avant lui d'injustice et 
d'iniquité (i). » 

Suivant quelques historiens, la mère de cet imam se 
nommait Nerdjès, le narcisse. Hakimèh, qui était la tante 
de l'imam Zéki raconte que cet imam lui dit un jour de 
rester durant la nuit prochaine dans leur maison parce 
qu'il savait qu'Allah devait lui donner un fils. Hakimèh 
lui dit que cela lui semblait étrange, car elle ne s'était point 
aperçue de la grossesse de Nerdjès, maisl'imam lui répondit 
qu'il en était du cas de sa femme comme de celui de la 
mère de Moïse, qui accoucha sans qu'on se soit douté 
qu'elle fût enceinte. « Je demeurai dans la maison durant 
toute la nuit, dit Hakimèh, et je restai éveillée à partir de 

(i) Cette tradition est rapportée par Aouf el-Aarabi et par Abou 
Sahl Aouf ibn-Djémil el Abdi (Xotices et Extraits des Manuscrits, 
tome XVII, p. i5i ; tome XX, p. 173) ; dans un autre passage de sa 
Mokaddama, Ibn-Khaldoun rapporte qu'Ali aurait recueilli lui- 
même cette tradition de la bouche de Mahomet. (Ibid,, tome XVII, 
p. i56 et XX, p. i65). 

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— 22 — 

minuit ainsi que Nerdjès ; au moment où les premières 
lueurs deTaube blanchissaient Thorizon, je me dis : a Voici 
Faube qui point et ce que m'a dit Abou-Mohammed ne 
s*est pas réalisé. » Au même moment, j'entendis la voix 
d* Abou-Mohammed qui disait : « O ma tante, hâte-toi ! » 
J'entrai rapidement dans la chambre où se trouvait Ner- 
djès ; je vis qu'elle était saisie d'im tremblement convul- 
sif qui agitait ses membres ; elle me serra sur sa poitrine, 
récita la som^ate eUIkhlas, les versets Enna enzelna et les 
versets du Trône. Un instant après,la maison fut remplie 
d'une vive lueur et quand je pus regarder, j'aperçus le 
fils d' Abou-Mohammed (le douzième imam) qui était à 
terre et qui se prosternait (devant Allah); je le pris dans 
mes bras. Abou-Mohammed me dit du AueZ/re^ (i) où il se 
trouvait : « O ma tante, apportes-moi l'enfant !» ; je le lui 
portai ; il l'embrassa et mettant sa langue dans sa bouche, 
il dit : « Mon fils, parle-moi par la permission du Dieu 
très haut ! » L'enfant dit : « Au nom d'Allah, le Clément, 
le Miséricordieux ! Il veut que nous soyons bienveillants 
envers ceux qui souffrent sur la terre; nous les ayons 
placés comme Imams, comme les héritiers des Prophè- 
tes ! » Je vis des oiseaux verts qui se tenaient de tous 
côtés autour de nous; Abou-Mohammed interpella un de 
ces oiseaux et lui dit : « Prends-le et garde-le autant 
qu'Allah la permis; certes Allah connaît bien son 
destin. » Je demandai a Abou-Mohammed: « Quel est cet 
oiseau et quels sont les autres? » Il me répondit : « C'est 
Gabriel et les autres senties Anges. » Plusieurs historiens 
rapportent que lorsque le douzième imam vint au monde, 
il avait le cordon ombilical coupé et était circoncis comme 
l'était Mohammed à sa naissance. 

(I) Ce mot désigne quelquefois en arabe l'alvéole de pierre dans 
laquelle on dépose un cercueil: mais ce n'est pas ce sens qu'il 
faut adopter ici. Il faut cependant remarquer que suivant quel- 
ques traditionnistes musulmans, le Mahdi est né le jour même de 
la mort de son père ; dans ce sens il faudrait traduire par « cer- 
cueil » ; mais cela semble contraire au reste du récit de Markhond. 



III 



Si l'on en croit les traditionaistes arabes, la croyance 
au Mahdi est an dogme de Tlslam aussi absolu que la 
croyance en Allah ou en son Prophète. « Celui qui nie le 
Mahdi, a dit Mahomet, est un infidèle, quiconque nie le 
Dedjdjal est un mécréant (i). » Il est certain que cette 
parole n'est jamais sortie de la bouche du Prophète, car 
elle infirmerait, comme on le verra plus loin, l'un des 
points essentiels du dogme musulman, celui d'après lequel 
Mahomet est le dernier envoyé divin qui doive paraître 
sur la terre, et cependant le traditionniste qui la rapporte, 
Anès-ibn-Malek, est l'un de ceux en qui on peut avoir 
quelque confiance. D'autres théologiens s'appuient sur 
cette tradition : « Point de Mahdi, sauf Jésus-Christ, fils 
de Marie » (a), pour affirmer que tout ce qui a été raconté 
sur le Mahdi alide est de pure fantaisie. Il est vraisem- 
blable que la première de ces deux traditions a été inven» 
tée par les Alides pour les besoins de leur cause ; il est 
plus difficile de déterminer qui a forgé la seconde. 

D'après les traditionnistes musulmans, la venue du 
Mahdi fut prédite à maintes reprises, comme on vient d'en 
voir un exemple, par le Prophète, ainsi que par quelques- 
uns des imams. Parmi ces prédictions, il y en a une qui est 
plus importante que toutes les autres, c'est celle qui a été 
énoncée par Mahomet quand il a dit : « Le Mahdi sortira de 
(la partie de) ma famille qui naîtra de Fatima. » D'après 
un traditionniste bien connu, Anès-ibn-Malik, le Prophète 
dit un jour : « Nous, fils d'Abd-el-Motallib, nous serons 
les princes des bienheureux dans le Paradis; Moi, Hamza, 

(i) Notices et Extraits, tome XVII, p. 144 et t. XX, p. 161. Celte 
tradition est rapportée par Anès-ibn Malek. 
. 2) /6td., tome XVII, page i63 tome XX, p. 188. 



- 24 - 

Ali, Djaafer, Hasan, Hoseïn et le Mahdi (i). » Un nommé 
Hodeïfa (2) rapporte que Mahomet a dit : « Quand il ne 
restera plus au monde qu'un seul jour, Allah allongera ce 
jour pour qu'un homme de ma famille (3) devienne souve- 
rain ; il se livrera de grandes batailles, et l'Islam triom- 
phera, car Allah ne trahira pas son pacte! » Comme on le 
verra un peu plus loin, cette tradition est rapportée en 
termes presque identiques par l'historien persan Mir- 
kbond. Abou-Horeïra, le Père de la petite chatte, en rap- 
porte le commencement à peu près dans les mêmes termes, 
en substituant seulement le mot nuit au mot jour. Ter- 
midi et Abou-Daoud, cités par Ibn-Khaldoun (4), rap- 
portent la même tradition, en ajoutant toutefois que le 
Mahdi sera l'homonyme de Mahomet et que son père se 
nommera comme le père du Prophète. Termidi en donne 
une autre variante : m Le monde ne finira pas jusqu'au 

(i) Notices et Extraits des ManuscritSy tome XVII, page 157 et 
tome XX, p. 182. 

(2) J'emprante la plupart de ces détails à une dissertation sur la 
venue du Mahdi, écrite en arabe par Mari-ibn-Yousouf-ibn-Abou- 
Bekr-ibn-Ahmed-ibn-Yousouf-el-Mokaddési-ei Hanbéli intitulée 
Feraid'féçaid-^l'fekr'fV'U'imcun'-el-Mahdi-eUMontézer, ms, ar. acaft. 
On lit à la fin du volume (folio 23 verso) une note ainsi rédigée 
« L'auteur, le pauvre esclave, " Mari-ibn-Yousouf-el-Hanbéli-el- 
Mokaddési dit : « J'ai terminé la composition de ce traité un mer- 
credi, dans les dix premiers jours du mois de Rébi second, dans 
la mosquée el-Azhar (au Kaire) en Tannée 1022 de Thégire ». On en 
trouvera d'autres tirés de la MoÂ<zddama ou Prolégomènes du célè- 
bre historien berbère Iba-Khaldoun. Cet auteur est très important 
pour l'étude du Mahdisme, car il vivait dans la terre promise des 
révolutions religieuses, à peu de distance de Sedjelmasa 011 se pro- 
clama le premier Mahdi, De plus il avait consulté deux ouvrages 
fort importants qui sont aujourd'hui perdus, les deux traités du 
traditionniste Ibn-Abi-Keïtéma-Abou-Bekr-Ahmed {+ 892, J. C.) 
et celui d'Abou'1-Kasem-Abd-er-Rahman-el-Khathaami (-f- ii85 
J. C). 

(3) Ibn-Khaldoun cite d'autres traditions que je ne crois pas utile 
de rapporter ici et suivant lesquelles le Mahdi est un descendaut 
de Fatime {Notices et Extraits des Manuscrits, tome XX, p. 168). 

(4) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XVII, p. i44 et tome 
XX, p. 162. 



— a5 — 

moment où mi homme de ma famille régnera sur les 
Arabes ; son nom sera le même que le mien (i). » Koleïb, 
fils de Djaaber, raconte que son père entendit Mahomet 
dire : « Après moi, il y aura des khalifes, après les kha- 
lifes, des émirs, après les émirs, des rois superbes; c'est 
alors que viendra le Mahdi, il sortira de ma famille, et 
il remplira le monde de justice de même qu'avant lui l'in- 
justice y régnait I » 

Il est .plus que douteux qu'il faille regarder comme 
authentique cette tradition qui, si elle Tétait, prouverait 
que le Prophète avait indiqué la forme de gouvernement 
à suivre après sa mort, sinon ses héritiers. 

D'après une autre tradition, Mahomet aurait dit : « A la 
fin des temps, un grand malheur fondra sur mon peuple, 
causé par son sultan : il ne prendra pas garde à leurs 
maux et leurs souffrances s'accroîtront au point que la 
vaste terre deviendra trop étroite pour eux ; le monde sera 
rempli d'injustice et de violence. Allah enverra alors un 
homme de ma famille qui répandra la justice et l'équité 
dans le monde et en fera disparaître l'iniquité. » Le tradi- 
tionniste Abou-Dàoud, cité par Ibn-Khaldoun dans sa 
Mokaddama (2), rapporte qu'à la mort d'un certain kha- 
life, il y aura un grand trouble parmi les Musulmans; un 
des habitants de Médine s'enfuira à la Mecque, refaisant 
en sens» inverse la voie douloureuse que le Prophète avait 
suivie en l'an 622. Les habitants de la Mecque lui prête- 
ront serment dans le parvis de la grande mosquée, entre 
le rokn et le makam. On enverra contre lui des troupes 
de Syrie, qui seront englouties dans la plaine qui s'étend 
entre les deux villes saintes. Les abdals de Syrie et les 
habitants de l'Irak lui prêteront alors serment ; après avoir 
défait un Koreïshite qui viendra le combattre, il établira 
rislamisme sur toute la teri'e et mourra après sept ans de 
règne. Il est à peine besoin de faire remarquer les ten- 

(i) Id,, tome XVII, p. i45 ; tome XX, p. i6v!. 
(2) Notices et Extraits des Manuscrits, tomes XVII, p. 148 et 
XX, p. 168. 



— 26 — 

dances soufies de cette tradition. Suivant une autre tra- 
dition également rapportée parle même Abou-Daoud (i), 
le Prophète disait que le Mahdi aurait le nez aquilin et le 
front découvert. Le célèbre soufi espagnol Mohyï-ed-Din- 
ibn-el-Arabi fait dire au prophète Mohammed : « Moi et 
le Mahdi, nous sommes deux frères ; le Mahdi est envoyé 
avec le sabre et moi avec le Koran » (a). 

D'après Ibn-Abbas, le Prophète dit : « Quatre croyants 
et infidèles ont régné sur le monde ; les croyants sont Zoul- 
karneïn (Alexandre le Grand) et Soleïman (Salomon) ; les 
infidèles, Nemrod et Bokht-en-Nasr (3): le cinquième qui 
le gouvernera sera le Mahdi ; il sortira de ma famille. » 
Abou-Horeïra rapporte la tradition suivante, également 
sortie de la bouche de Mahomet : « Le cours des heures 
ne sera pas encore arrêté quand un homme, sorti de ma 
famille, deviendra le souverain (du monde); il s'emparera 
de Constantinople et des montagnes du Deïlem ! » 

Tous les traditionnistes s'accordent, comme on l'a déjà 
vu, pour dire que Mahomet et Ali avaient prédit que le 
Mahdi porterait le même nom que le Prophète, c'est-à-dire 
qu'il s'appellerait Mohammed. 

La venue du Mahdi sera annoncée aux hommes par des 
signes miraculeux ; d'après le célèbre traditionniste Kaab, 
une étoile apparaîtra à l'Orient, qui aura une queue, 

(i) Ibtd,, tome XVII, p. 149; tome XX, p. 170. 

(2) Ms. persan 256, fol. 76. 

(3) D'après la légende gnostique perso-arabe, Bokht-en-Nâsr, 
dont le nom n'est pas autre chose qu'une transcription de NabU' 
kadnelsar, était le général du roi kéanide Lohrasp; il s'empara 
de Jérusalem sur l'ordre du roi de Perse. On lit dans le Minokhi- 
red : u min Kai-Lohrâsp sût danà yahviint aighash khùlàih khûp 
kart II dar j-^zdân sipàsdàryahvunt u Hàrshàlim-l Yahûtàn barâ 
khafrûnt u Yahàtan vashùft paragandak kart : a L'avantage du 
règne de Kal-Lohrasp fut qu'il fut un bon souverain, qu'il adora 
bien les Izeds, qu'il détruisit la Jérusalem des Juifs, et qu'il dis- 
persa les Juifs par toute la terre. » (The Book of the Mainyo-i 
khardj edited by E.-C. Andréas, Kiel, Lepsius, 1882, p. 3î-32.) C'est 
la mention la plus ancienne de la tradition qui fait de Bokht-en- 
Nasr le lieutenant du roi de Perse. (Cf. Noeldeke, Goettingische 
gelehrte Anseîgen, 1882, numéro du 2 août.) 



— 27 — 

autrement dit une comète se lèvera à l'Est. D'après un 
autre « une étoile se lèvera à l'Orient, qui brillera de 
l'éclat de la lune (i). » 

Suivant un nommé Abou-Imamè, le Prophète a dit : « Au 
mois de Ramadhan, on entendra une voix. » — Les audi- 
teurs lui dirent : « O Envoyé d'Allah ! au commencement, 
au milieu ou à la fin? (2) » — Il dit : « Non, mais le i5 du 
mois de Ramadhan, la nuit du i5, la nuit du Vendredi ; 
une voix sortira du ciel, soixante-dix mille s'évanouiront 
en l'entendant, soixante-dix mille perdront la parole et 
soixante-dix mille imploreront leur pardon ! » Les tradi- 
tionnistes ne s'entendent pas pour déterminer qui poussera 
ce cri; les uns disent que ce sera d'abord l'ange Gabriel, 
puis Satan, d'autres que ce sera Iblis. Mahomet dit éga- 
lement : « Au mois de Ramadhan, on entendra une voix, 
au mois de Shavval un bruit sourd, au mois de Dhou-l-* 
Kaada, les tribus (arabes) se sépareront les unes des 
autres, au mois de Dhou-1-Hidjdja le sang sera versé à 
flots et au mois de Moharrem le pèlerinage sera pillé, 
interrompu et l'Islam sera sur le point de périr. » L'imam 
Hoseïn, fils d'Ali, a dit : « Quand nous verrons un grand 
feu sortir du ciel, du côté de l'Orient, une nuit viendra au 
cours de laquelle le Mahdi apparaîtra » ; d'autres tradi- 
tions sont encore plus obscures; d'après l'une d'elles, « le 
Mahdi ne paraîtra pas avant que trois aient été tués, que 
trois soient morts et que trois soient demeurés sains et 
saufs. » En plus de ces apparitions de lumières dans le ciel 
et de guerres sanglantes, de nombreux tremblements de 
terre annonceront la venue du Mahdi. 

D'après le traditionniste Abou-Djaafer, le Mahdi paraîtra 
dans le Khorasan et viendra à Koufa; le Prophète aurait 
même dit, ace que raconte Abou-Bekr-ibn-Makarri, d'après 
Ibn-Omar : « Le Mahdi sortira d'un village nommé Kéri- 

(i) Celte prédiction rappelle assez celle suivant laquelle une 
étoile tombera du ciel sur la terre durant la nuit où naîtra Bah- 
ram Amavand et Tétoile qui guida les Mages à Betliléem. 

(a) Lltt. dans la première décade, dans la seconde décade ou dans 
la troisième décade. 



— 28 — 

mèh, suivant d'autres traditions, le Mahdi doit venir de 
la TransoKiane (Ma-çéra-el-riahr); Ibn-Khaldoun rapporte 
que,'d'après Ali, le Prophète dit qu'un homme nommé el- 
Haris viendrait de la Transoxiane et qu'il serait précédé 
par un individu nommé Mansour ; il sera proclamé Mahdi, 
et tous les Musulmans devront lui obéir. L'authenticité de 
cette tradition est des plus suspectes, car tous les tradi- 
tionnistes s'accordent pour affirmer que le nom du Mahdi 
sera le même que celui du Prophète (i). 

Ibn-Khaldoun cite également une tradition suivant 
laquelle Mahomet dit un jour : « Après moi, les membres 
de ma' famille souffriront beaucoup ; on les dispersera et 
^ on les pourchassera jusqu'au moment où viendront des 
gens du côté de l'Ouest ayant avec eux des drapeaux 
noirs ; ils confieront le commandement à un homme de ma 
famille (2). » M. de Slane croit que ce hadis a été inventé 
à l'époque où le khalife el-Mamoun désigna l'imam alide 
Mousa-el-Ridha comme son héritier présomptif (3) ; mais 
on ne voit guère, dans cette hypothèse, ce que viennent 
faire les drapeaux et les insignes noirs qui étaient ceux 
des Abbassides, tandis que les historiens arabes nous 
apprennent que les Musulmans s'empressèrent alors 
d'abandonner le noir pour prendre le vert qui est la cou- 
leur des Alides. On retrouve cependant ces drapeaux noirs 
comme étant ceux du Mahdi, car il est dit dans une autre 
tradition : « Auprès de votre trésor, trois personnes, tous 
fils de khalife, se combattront, mais aucun ne l'obtiendra; 
ensuite les drapeaux noirs se lèveront du côté de 
l'Orient. . . ensuite viendra le Mahdi (4). » 

L'opinion suivant laquelle le Mahdi devait paraître dans 
le Hedjaz ne ralliait pas davantage autour d'elle tous 
les partis shïites, et cela se conçoit aisément : si elle 
donnait pleine satisfaction aux Shïites orientaux, il n'en 

(i) Xotices et Extraits des MannscrltSy tome XVII, p. 147; tome 
XX, p. 167. 

(2) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XVII, p. 153. 

(3) Iderriy tome XX, p. 176. 

(4) Idem, tome XVII, p. 159 et tome XX, p. 184. 



— ag — 

était point de môme pour ceux qui étaient allés chercher 
au Maghreb un refuge contre les odieuses persécutions 
des Omeyyades et des Abbassides. Aussi les Shïites de 
rOccident invoquent-ils des traditions qu'ils prétendent 
rigoureusement authentiques et qui prédisent l'apparition 
du Mahdi dans l'Afrique du nord (i). 

Suivant le traditionniste Kaab, le Mahdi -lâendra au 
moment où la Syrie sera gouvernée par un souverain, 
l'Egypte par un autre, et que ces deux princes se feront 
une guerre acharnée ; mais cela est arrivé plus d'une 
fois sans que le Mahdi apparaisse. Le Mahdi paraîtra alors 
avec un ange volant au dessus de sa tête, qui criera : 
« Voilà le Mahdi ! » 

L'époque de son apparition ne tarda pas à être fixée à 
une date très rapprochée de l'hégire. Djaafer-el-Sadik 
raconte qu'il viendra en l'an 1200 de l'hégire, suivant 
d'autres en 20^ ; ces deux époques s'étant passées sans que 
le Mahdi ait paru, plusieurs auteurs, en particulier le célè- 
bre polygraphe Djélal-ed-Din-Abd-er-Rahman-el-Soyouti, 
dans son Kitab-el-keshf, admirent qu'on avait omis le 
chiffre 1000, ce qui se fait très souvent, et que la venue du 
Mahdi était prédite non pour l'an 200, mais pour Tannée 
1200. Un auteur soufi nommé Saad-ed-Din-el-Hamavia 
affirmé que le Mahdi naîtrait en l'année jSj de l'hégire (2). 

Le khalife Ali, fils d'Abou-Talib, dit que le Mahdi naitra 
à Médine; on dit également que el-Sofiani enverra une 
armée contre la Mecque, avec l'ordre de massacrer tous les 
Hashémites qui s'y trouveront ; beaucoup seront assas- 
sinés et les autres s'enfuiront dans le désert et dans les 
montagnes. C'est alors que le Mahdi apparaîtra à la 
Mecque et que les Hashémites survivants se réuniront 
autour de lui. 

Le traditionniste Abou-Djaafer raconte qu'après être 
entré à Koufa, el-Sofiani enverra des troupes dans toutes 

(i) Ibn-Khaldoimditque le Mahdi paraîtra à rextrcme limite des 
pays habités {Notices et Extraits, tome XX, p. 200). 
(2) Ms. persan 266, folio 76. 



— So- 
les directions ; elles se hearteront à celles du Mahdi suc- 
cessivement à Tous, à Daulab-er-Reï, à Tokhoum-Zerrendj, 
à Istakhar; repoussées du Khorasan, les armées d'el-Sofiani 
seront écrasées à Medaïn, puis à Nisibin ; c'est surtout au 
concours des Persans du Khorasan et du Sedjestan que le 
Malvli devra son triomphe final. A ce moment, ce sera la 
lutte entre l'Iran et le monde, arabe qui recommencera 
comme dans la première moitié du vii« siècle de l'ère 
chrétienne, avec cette difTérence que la Perse est destinée 
à rester victorieuse et à repousser l'invasion sémitique. 

Après avoir vaincu el-Sofiani, le Mahdi se rendra avec 
ses troupes devant Antioche (i), et en criant par trois fois 
Allah akbar, les Musulmans en feront tomber les 
murailles ; il fera massacrer les hommes et réduira les 
femmes et les enfants en captivité ; de là il se rendra à el- 
Roumiyyèh (Rome) et à Gonstantinople dont il s'emparera 
et où il fera mettre à mort 70.000 vierges. Il se rendra 
également maîtrie de 70 villes de l'empire grec, après 
quoi il soumettra tout le monde à ses lois. C'est alors que 
Jésus-Christ descendra du ciel {p) sur le minaret de la 
grande mosquée de Damas et qu'il sera reconnu comme 
Imam par tous les Musulmans ; il aidera le Mahdi à tuer 
le Dedjdj al (3); suivant d'autres, il descendra du ciel en 
même temps que le Màhdi, en tout cas, il fera la prière 
ayant le Mahdi pour Imam. Le Mahdi restera ensuite 
avec le Christ à Jérusalem et c'est dans cette ville qu'il 
mourra; le Christ et les Musulmans feront la prière sur 
son corps. La durée du règne du Mahdi, depuis le jour 
de son apparition jusqu'à sa mort, varie suivant les 

(i) Oh peut se demander si toutes ces traditions n'ont pas été 
retouchées à l'époque des Croisades. 

(2) Jésus-Christ descendra du ciel revêtu de deux robes jaunes, 
s'appuyant sur les ailes de deux anges (Notices et Extraits^ tome 
XX, p. 198). 

(3) Ibn-Khaldoun dit que le Dedjdjal (l'Antéchrist) apparaîtra peu 
de temps après la venue du Mahai, et après lui le Messie Jésus- 
Christ qui fera la prière avec le Mahdi comme imam (Notices et 
Extraits, tome XX^ p. i58). 



— 3i — 

traditionnistes de 7 à i4 ans; Tun des plus célèbres, 
Hodeïfa, va môme jusqu'à 120 ans, mais il semble bien 
que Mahomet la considérait comme devant être de '7 
ans, sept étant un nombre fatidique chez les Musulmans. 
En effet, il est dit dans les Hikem que pour marquer la 
durée du règne du Mahdi, Mahomet ouvrit la main gau- 
che tout entière et étendit le pouce et Tindex de la main 
droite en tenant repliés les autres doigts de la main, ce qui 
fait 5 + 2, soit 7 (i). On trouve également comme varian- 
tes 5 et 9. 

Bakiyya-ibn-Walid rapporte une tradition suivant 
laquelle le Mahdi mourra à l'âge de 3o ans; un tradition- 
niste nommé Ali-Dinar prétend qu'il vivra 40 ans, un autre 
34. Jésus-Christ restera quarante années encore à Jéru- 
salem et il régnera sur les Musulmans ; il se rendra au 
pèlerinage de la Mecque avec 70.000 personnes parmi les- 
quelles se trouveront les « Sept Dormants », il épousera 
une femme de Yezd, par conséquent une persane. D'autres 
auteurs disent que Jésus-Christ régnera à Médine et qu'il 
mourra dans cette dernière ville, où il sera enterré auprès, 
du khalife Omar (2). 

(i) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XX, p. 186, 187. 
(a) Ibn-Khaldoim, Notices et Extraits^ tome XX, p. 198. 



IV 



On a vu plus haut, d'après le récit de Mirkhond, que 
Mohammed, fils d'Ali, plus connu sous le nom de fils de 
la Hanéfite (i), avait élevé de sérieuses prétentions à 
rimamat lors de la mort d'el-Hosem, disant qu'il lui 
revenait de plein droit et non à Zeïn-el-Abidin. Les his- 
toriens musulmans ne donnent qu'assez peu de détails sur 
ce personnage et sur ses actes, mais ce qu'ils en disent 
suffit amplement à montrer que bien peu de temps après 
le désastre de Kerbéla, les Shïites étaient déjà divisés en 
sectes rivales qui cherchaient à s'arracher mutuellement 
rimamat. Il est certain qu'un grand nombre de mécon- 
ents se réunirent autour de Mohammed, fils de la Hané- 
fite et voulurent le faire passer pour le Mahdi. Ces sectai- 
res ont reçu dans l'histoire musulmane le nom de Keï- 
sanis. 

Cette prétention était d'ailleurs fort contestable au 
point de vue théologique ; le Prophète avait dit que le 
Mahdi s'appellerait comme lui, Mohammed, et qu'ilserait 
l'un de ses descendants par Fatima ; le fils de la Hanéfite 
remplissait parfaitement la première de ces conditions, 
mais non la seconde, qui était aussi indispensable, si ce 
n'est plus : car si les descendants de Mohammed, fils de 
la Hanéfite sont bien de la famille du Prophète, comme 
ceux d'Akil, le fils préféré d'Ali, ils ne sont en définitive 
que des collatéraux, tandis que les fils d'Hoseïn sont des 
descendants directs de Mahomet et ceux à qui, sans nul 
doute, revenait l'imamat. Cette impossibilité matérielle 
qui résultait de la prophétie même de Mahomet n'arrêta 

(i) Le vrai nom de ce personnage était Abou-l-Kasem Moham- 
med ibn-Ali ibn-Abou-Taleb (Généalogie des descendants d'Ali, 
ms. ar., âoai, fol. 1218 r»). 



— 33 — 

pas un instant le fils de la Hanéfite, ni ses partisans. Il est 
certain qu'après sa mort, son fils Ahmed, prétendit égale- 
ment être le Mahdi attendu. Plusieurs auteurs arabes, 
Beïbars-el-Mansouri (i), Ibn-el-Athir (2) affirment en effet 
qu'il y avait parmi les Karmathes des gens qui recon- 
naissaient ce personnage comme le Messie dont la venue 
était prédite par le Prophète ; on ne tardera pas à voir ce 
qu'il faut penser au juste de cette assertion, mais ce qu'il 
importe pour l'instant d'en retenir, c'est que des Shïites, 
sans plus spécifier la secte à laquelle ils appartenaient, 
voyaient dans Ahmed, fils de Mohammed, fils de 
la Hanéfite, le Mahdi attendu. Ibn-el-Athir cité par 
l'historien égyptien Nowaïri nous a conservé un passage 
d'un des livres religieux des sectateurs d'Ahmed-ibn- 
Mohammed-ibn-el-Hanefiyyèh dont voici la traduction : 

« Au nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux! Voici 
ce que dit el-Féredj, fils d'Osman, originaire d'un village 
qui se nomme Nasrana, qui est le daï (le missionnaire) 
du Messie Isa (Jésus-Christ), qui est le Verbe, qui est le 
Mahdi, qui est Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Ha- 
néfite, qui est Gabriel. » 

Le célèbre écrivain syrien Abou'-l-Féredj, plus connu 
sous le nom de Bar-Hébreus, dit dans sa Chronique qu'en 
370 de l'hégire, un homme parut près de Koufa et se mita 
prêcher une doctrine nouvelle ; il écrivit un livre dans 
lequel on lisait : « Moi, un tel, qui suis réputé pour être 
fils d'Osman, du bourg de Nasaria, j'ai vu le Messie, 
qui est Jésus, qui est le Verbe, qui est le Mahdi (3), qui 

(i) Dans sa grande chronique intitulée Zouhdet el fikret fi taa- 
rikh el hidjret, ms. ar. 1672, foi. 97 recto ; le nom complet de cet 
auteur est Emir Rokn-ed-Din-Beïbars-el-Devâdar. 

(a) Le passage d'Izz-ed-Din-Ibn-el-Athir auquel nous faisons aUu- 
sion est cité dans la grande encyclopédie de Nowaïri, ms. ar. 
1576, folio 57 V*. 

(3) p^yi c^;JJ -OJl ^ 



- 34 - 

est Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Hanéfite, de la 
famille d*Ali, qui est Tange Gabriel. Il m'a dit : « Tu es 
celui qui appelle, tu es le Chameau qui garde la colère 
contre les incrédules, tu es la Bête de somme qui porte le 
fardeau des croyants, tu es l'Esprit, tu es Jean, fils de 
Zacharie(i). » 

Abou'-l-Féda donne une version légèrement différente 
de celle d'Abou'-l-Féredj et qui paraît plus exacte en ce 
sens qu'el-Féredj , fils d'Osman y prétend avoir reçu 
du Ciel le livre dans lequel se trouvaient ces choses 
étranges, tandis que Bar-Hébreus prétend qu'il en est 
l'auteur. Voici d'ailleurs les termes mêmes dans lesquels 
Abou'-l-Féda rapporte ce passage : « Au nom d'Allah, le 
Clément, le Miséricordieux! El-Féredj, fils d'Osman, 
qui est originaire du village nommé Nasrana, dit qu'il est 
le dai (missionnaire) du Messie, qui est Jésus, qui est le 
Verbe, qui est le Mahdi, qui est Ahmed, fils de Moham- 
med, fils de la Hanéfite, qui est Gabriel. Le Messie prit 
la forme d'un homme et lui dit: Tu es le ddi, tu es le hodj- 
dja (la Preuve), tu es le Chameau, tu es la Bête, tu es 
Jean, fils de Zacharie, tu es le Saint-Esprit (2). » 

Beïbars-el-Mansouri rapporte dans les mêmes termes 
les paroles que le Messie adressa à Féredj, fils d*Osman, 
mais il ajoute la formule que ses sectateurs devaient réci- 
ter après avoir fait la prière : 

« Je témoigne qu'Adam est l'Envoyé d'Allah ; je té- 
moigne que Noé est l'Envoyé d'Allah ; je témoigne 
qu'Ibrahim est l'Envoyé d'Allah ; je témoigne que Mousa 

(i) Assemani, Bibliotheca Orientalis, tome II, p. Sig. 

(2) ^yi^^yr^Mî ,«^ 

ifLsI^ iLSUJI dlJi^ Sii\ i^l^ iL^xljJI dL3) JU9 (^U3l ,o«^ i ^yu^ ^^\ 

oixiJI 2^; \iUI3 i^ <j^ tfhas' ^h ^'«^ï 
Ms« arabe x5o8, folio i3a, verso. 



— 35 — 

est l'Envoyé d'Allah; je témoigne qu'Isa (Jésus-Christ) 
est l'Envoyé d'Allah; je témoigne que Mohammed est 
l'envoyé d'Allah; je témoigne qu'Ahmed, fils de Moham- 
med, fils de la Hanéfite est l'Envoyé d'Allah (i). » 

On connaît fort peu de chose des dogmes et des précep- 
tes de la secte shïite qui reconnaissait comme chef 
Mohammed, fils de la Hanéfite ; mais les quelques ren- 
seignements qui nous sont fournis par les historiens 
orientaux montrent que la part de l'iranisme y était fort 
grande. En effet, Ahmed, fils de Mohammed, fils de la 
Hanéfite, celui qui était le Messie, le Verbe, le Mahdi, 
Gabriel, le tout en même temps, prescrivait deux jeûnes 
par an, l'un au Mihirdjân et l'autre au Naûroûz (2), 
qui sont, comme l'on sait, des fêtes purement persanes 
et deux des plus grandes à l'époque du règne des Sas- 
sanides. 

Il est regrettable que les historiens orientaux ne don- 
nent pas plus de renseignements sur cet étrange syn- 
crétisme d'Islam, de Christianisme et, d'Iranisme, qui 
n'a de comparable dans l'histoire religieuse du monde 

(i) Voici le texte de ce curieux passage : 

{2) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, Introd., p. 
GLXXXII. La fête du ^Vhirdjân durait durant six jours au solstice 
d'automne, du i6* jour du mois de Mihir au 21'. Le Naûroûz est le 
premier jour de rannée persane. D'après les auteurs musulmans, 
les anciens Perses croyaient que c'était le seize du mois de Mihir 
que les Anges avaient porté secours au célèbre forgeron Kavèh 
qui renversa l'usurpateur Zohak. Nizam-el-Mulk, dans son Sias» 
aet-Namèh et l'imam Ghazzali dans le Nasiket-el-moloûk racontent 
qu'aux deux fêtes du Naûroûz et du Mihirdjân, les rois de Perse 
de la dynastie sassanide tenaient dans leur capitale des séances 
piénières, dont personne n'était exclu et où tout le monde était 
autorisé à venir présenter ses réclamations. Le texte de Ghazzali 
a été publié par M. Gh. Schefer dans sa traduction du Siasset- 
Namèhf Faris, 1893, p. Sg et 67. 



— 36 - 

que les dédales du Sabéïsme et du Gnosticisme et qu'on 
en soit réduit aux extraits de Beïbars-el-Mansouri, d'Ibn- 
el-Athir qui sont cités plus haut, et à quelques données 
fournies par Shehristani. 

Les Shïites qui reconnaissaient comme imam après 
Hasan et Hoseïn, Abou'-l-Kasem- Mohammed, fils delà 
Hanéfite, au détriment de Zeïn-el-Abidin, les Keïsanis, ne 
s'accordaient point absolument sur les personnes aux- 
quelles revenait Timamat après Mohammed, fils de la Ha- 
néfite ; ils avaient sur ce point des opinions assez contra- 
dictoires (i) : les moins outrés admettaient que Timamat 
s'était transmis aux fils de Mohammed, soit à Ahmed- 
ibn- Mohammed -ibn-el-Hanéfiyyèh, soit à Abou-Has- 
hem, puis à son frère Ali, et ensuite à Hasan ; d'autres 
prétendaient au contraire qu'Abou-Hashem avait légué 
l'imamat à Mohammed, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils 
d'Abbas, qui le transmit à son frère Abd-xVllah-el-Safi*ah, 
le premier khalife abbasside ; el-Saffah le transmit à 
son tour à tous les khalifes qui régnèrent après lui. 
C'était comme on le voit, un moyen ingénieux de faire ren- 
trer l'imamat alide dans les prérogatives de la famille 
abbasside; ce devait être la doctrine de Keïsanis qui 
cherchaient à revenir dans le sein de l'orthodoxie musul- 
mane. 

Un poète arabe nommé Koseïr, mort en l'année io5 de 
l'hégire (724 J.-C), a résumé en cinq vers toute la doctrine 
de la secte des Keïsanis dont il faisait lui-même partie : 

a Les imams, dit-il, appartiennent à la famille de 1 

Koreïsh ; ils sont quatre dont la légitimité est certaine l 

et ils sont tous égaux : ' 

<c Ali et ses trois fils, qui sont les imams; il n'y a aucun 
doute sur leur compte ; 

(i) On pourra consulter sur ce point, V Exposé de la Religion des 
Dmzes, tome II, p. 690, et les Prolégomènes dlbn-Khaldoun, tra- 
duits par le baron de Slane, dans les Notices et Extraits des Manus- 
crits de la Bibliothèque Impériale t tome XIX, Paris, i86a, p. 402- 
407. 



- 37 - 

<c Ils sont Timam (i), rimam de la foi et de la généro- 
sité (2), rimam qui a disparu à Kerbéla ! (3) 

« Et rimam (4) qui ne goûtera pas à la coupe d^la mort 
avant d'avoir marché à la tête d'une armée devant la- 
quelle flottera l'étendard ; 

« Il se tiendra caché et on ne le verra plus parmi les 
hommes durant un certain temps ; il demeurera caché à 
Ridoua (5), ayant à côté de lui du miel et de l'eau (6). » 

Beïbars-el-Mansouri et Ibn-el-Athir nous ont également 
conservé un fragment, une sourate, suivant leur propre 
expression d'un livre religieux qui paraît avoir contenu 
les dogmes de cette secte sur la doctrine de laquelle nous 
allons bientôt revenir. Il est fort probable qu'il fut com- 
posé par Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Hanéfite, 
peut-être par Mohammed lui-même, ou tout au moins par 
leurs ordres ; il se pourrait d'ailleurs qu'il soit l'œuvre de 
ce Féredj-ibn-Osman sur lequel Beïbars-el-Mansouri et 
Ibn-el-Athir ne donnent que très peu de renseignements, 
mais qui fut le rfaë, le précurseur et l'annonciateur 
d'Ahmed-ibn-Mohammed. Ce personnage fut très probable- 
ment la cheville ouvrière de la secte des Keisanis à ses 
débuts, comme Hamza et Darazi le furent à l'époque d'el- 
Hakem-bi-ami>Allah pour la secte des Druzes. Quoi 

(1} Ali, fils d'Abou-Taleb, le gendre de Mohammed. 
(a) Hasan, fils d'Ali, le second imam. 
(3j Hoseïn, iils d'Ali, le troisième imam. 

(4) Mohammed, fils de la Hanéiile. 

(5) Ridoua est le nom d'une montagne dans le Hedjaz. 
(6) 

^ \ . J J^V.,,;,a-ê V\ î ti»3 t — iy U^*— f' tr> * ,41» trk > ««> S 
L-«5 J-N*^ 80^J-c <£y^r^ L3l*3 m d :.^ <Sr^ ^ < 



— 38 — 

qu'il en soit, voici la traduction de ce curieux docu- 
ment (i) : 

« Louange à Allah par son Verbe ! Qu'il soit exalté par 
son nom, Celui qui aide ses Saints par ses Saints ! Dis : Les 
nouvelles lunes sont des époques fixées pour les hom-- 
mes (2). Le sens exotérique de cette phrase est que les 
nouvelles lunes servent à connaître le nombre des années, 
la chronologie, les mois et les jours. Le sens ésotérique 
est : « Ceux-là sont mes Saints qui ont fait connaître par 
ma puissance mon chemin à mes serviteurs. » O vous qui 
avez reçu l'intelligence ! certes. Moi je suis Celui à qui 
Ton ne demande pas ce que J'ai fait I Je suis l'Intelligent, 
le Sage. Je suis Celui qui éprouve ses serviteurs et qui 
examine les actes de ses créatures ; (Celui qui supportera 
patiemment le mal et l'affliction que je lui envoie et mes 
épreuves, je le transporterai dans mon paradis) (3) et je 
le ferai jouir éternellement de mes délices. Quant à celui 
qui s'écartera de mes commandements et qui traitera mes 
prophètes de menteurs. Je le plongerai pour l'éternité, 
couvert de honte, dans mon enfer. J'ai mis fin au délai 
que J'avais fixé et J'ai manifesté mes ordres par la langue 
de mes prophètes. Je suis Celui contre lequel aucun 
superbe ne s'est révolté que Je ne l'aie abaissé, et aucun 
puissant que Je ne l'aie humilié. Malheur à celui qui per- 
siste dans son opinion et qui demeure dans son erreur et 
qui dit : « Nous ne cesserons pas d'y être attachés jusqu'à 
la mort et d'y croire sans qu'on puisse en nous détour- 
ner. » Ceux-là sont des infidèles (4). » 

(i) Encyclopédie^ de Nowaïri, ms. ar. 1676, f. 58 recto et ZxibdeU 
eUfikret-fi'taarîkh'el-hidjret, par Témir Rokn-ed-Din-Beîbars-el- 
Mansouri, ms. arabe 1672, f. 97 v®. 

(2) Koran, Sourate el-Bakara, § i85. 

(3) n est assez remarquable que Ton trouve dans les textes de 
TAvesta une expression tellement identique qu'on croirait que ce 
passage arabe en est traduit, mais il n'y a évidemment là qu'une 
rencontre fortuite. 

(4) Voici le texte de ce passage dont une traduction a déjà été 



- 39 - 

Ce passage conservé grâce à Ibn-el*Athir et à Beîbars- 
el-Mansouri, montre bien suivant quelle loi de conti- 
nuité se sont faites toutes les révolutions religieuses qui 
ont troublé Tlran et tout le monde musulman depuis les 
premiers jours de l'Islam, jusqu'à notre époque ; cette 
sourate du Koran d'Ahmed, fils de Mohammed, fils de 
laHanéfite, semble un feuillet arraché au commentaire de 
la Sourate de la vache ou du Livre des noms, écrits en 
arabe par le Bâb ou par ses disciples au milieu du xix^ 
siècle ; tout- s'y retrouve, non seulement les idées, mais 
même la forme extérieure et les expressions, et cependant 
ces deux ouvrages sont séparés par un intervalle de plus 
de mille années. Cette similitude va si loin qu'on risque- 
rait, si l'on ne savait pas exactement à quelle époque ce 
fragment a été écrit, de le croire extrait des œuvres exé- 
gétiques du Babisme, d'un traité soufi ou de ceux qui con- 
tiennent la doctrine des Ansaris. 

On a vu d'après la profession de foi de Féredj, fils 
d'Osman, que la secte keïsanie tendait à établir un com- 
promis, un syncrétisme entre l'Islam shïite et le Chris- 
tianisme ; c'est un fait qui n'a rien d'étonnant quand 

donnée par Silvestre de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, 
Introduction, p. CLXXX : 

,s*^J^ SUuh\ yl ôJ XjLJjLj *jLJ5^ o^^m Ao-U JljC[5 Kd^ aW O^ 
Jjl^Jjl L^-ilsL?} pU^!^ ;^-€-û'JÎ5 v^---^3 06^*-^' •>»>^ k^^i:^ U^llô o**^-^ 

L5I3 Juwl L$ jLil i) <^JJI bl^ vLJill J3I L ^jj J.-^^-^<« <^i>LiB Là^ ^^j3^ 
tf^-^^3 tf^ é^ 7^-*» t7^] <5^ o-sï^'j tf'^W* ti-?J <^ÔJJ ^^y ^f^ joAjJi 
J.-w^ vMi <$r*^ (j-^ J'; tr*^ (s-*^ i [«J«>^-^ï^ (s^ i *x-JLI1 ^^L:^^.!^ 

p 
^ (£JJ\ U)^ J^^ iLuJI J^ (^yj»\ i::>y^\^ f}^\ oU'i^ «Jj^Xe i 1^1^ 2f3ùdàJ 

Jb£ Jù^ »yA\ J^ I40I ^JJ) jM^3 JuJUi) ^! yj^ ^3 Xisuo^ ^M ^lla». ^ Jla^ 

Tout ce qui se trouve entre parenthèses n'est donné que par la 
chronique de Rokn-ed-Din-Belbars et manque dans l'encyclopédie 
de Nowairi. 



- 4o - 

ron pense que cet étrange personnage prêchait dans 
le Saoad de Koufa, dans la région du bas Euphrate 
qui, depuis des siècles était le foyer le plus actif du 
Sabéîsme. C'est là que vivaient côte à côte des sectes 
malheureusement à peu près inconnues, dont les doctri- 
nes sont un syncrétisme assez confus entre le Mazdéisme, 
ou plutôt la doctrine dualistique, le Christianisme, le 
Judaïsme, avec un ancien fonds qui n'est qu'une défor- 
mation du culte astrologique des anciens empires de 
Ninive et de Babyloue. 



L'insurrection contre l'Islam avait commencé en Perse 
au lendemain même de la conquête et son but avoué était 
de renverser les Abbassides pour les remplacer par les 
Âlides (i) et par une théocratie messianique, qui n'était 
guère qu'une réforme du Mazdéisme sassanide et qui ne 
différait pas sensiblement de celui de beaucoup de sectes 
hétérodoxes de la Perse d'avant l'Islamisme. 

Nizam-el-Moulk rapporte dans le Siasset-Namèh que le 
saffaride Yakoub-ibn-Leïs voulait renverser la dynastie 
abbasside et mettre à la place du khalife son rival de 
Mehdia ; il fait dire à Yakoub dans une lettre au khalife : 
« Je n'aurai pas de cesse et je ne m'arrêterai point tant que 
je n*aurai pas envoyé ta tête à Mehdia et anéanti ta 
famille (2). » 

M. Schefer a fait remarquer qu'il y a là une erreur évi- 
dente, car le Mahdi Obéïd-Allah, souverain du Maghreb, 
ne fît commencer la construction de Mehdia qu'en l'année 
3oo (912) et la révolte de Yakoub, fils de Leïs, se place en 
a66 (8j9-88o J.-C); mais elle s'explique facilement : à 
l'époque de Yakoub, il y avait certainement des Ismaï- 
liens dans le Maghreb et il n'est pas impossible que les 
Saffarides se soient appuyés sur eux, ou tout au moins 
qu'ils aient cherché à le faire ; les Fatimites étant généra- 

(i) Pour renverser les Omeyyades, les Abbassides posèrent 
comme principe que seuls, les membres de la famille du Prophète 
pouvaient exercer le pouvoir; les Alides ne tardèrent pas à 
retourner ce principe contre les Abbassides et les Karmathes pré- 
tendirent qu'Abbas ne s^étant pas posé comme candidat au Khali- 
fat à la mort de Mohammed, d*Abou-Bekr et d'Omar, cela prou- 
vait qu'il savait pertinemment n'y avoir aucun droit ; les Abbas- 
sides descendant de ce personnage n'avaient pas plus qu'Abbas 
droit le d'occuper le trône du Khalifat. 

(2) Siaaset'Namèh, texte persan, p. i4* 



- 42 - 

lement connus sous le nom de princes de Mehdia, Nizam-el- 
Moulk, qui écrivait bien après ces événements, n'a pas 
réfléchi que ce titre était un anachronisme en l'année 266 
de l'hégire. 

La dynastie des Ghaznévides dont l'origine turque ne 
fait aucun doute, alla plus loin que les Saffarides et pré- 
tendit descendre des Sassanides. D'après le kadi Ahmed- 
Ghaffari, auteur de l'ouvrage anecdotique connu sous le 
nom de Nigaristan, Sébouktikin fondateur de cette 
dynastie, était un descendant de la famille de Yezdégerd 
qui se réfugia dans le Turkestan après la déroute de 
Nihavend et qui contracta des alliances avec les Turks (i). 

Il serait imprudent d'admettre cette affirmation sans 
preuves plus solides à l'appui, mais il parait bien certain 
d'après le témoignage d'ouvrages pehlvis et chinois, c'est- 
à-dire absolument indépendants les uns des autres et, 
que certainement aucun auteur musulman n'a connus, que 
les princes Sassanides se réfugièrent dans le Turkestan 
quand, leur dynastie fut définitivement ruinée, et qu'ils 
demandèrent secours à l'empereur de Chine pour chercher 
à reconquérir leur royaume. Le fils de Yezdégerd III, que 
les historiens chinois nomment Firouz III (?) (San Fi- 
lou-ssé) devint général dans l'armée du Céleste Empire 
et érigea un temple du feu à Si-ngan-fou en 677 (2). 

L'insurrection d'Abou-Mouslim en 129 de l'hégire, qui 
mit sur le trône les khalifes de la dynastie abbasside, fut 
immédiatement accaparée par les Shïites, qui la retour- 
nèrent contre l'orthodoxie musulmane en prétendant que 
le célèbre gouverneur dn Khorasan ne fut jamais que le 
précurseur d'un Mahdi fatimite (3). 

(i) Siasset'Namèh, trad. par Ch. Scheler, p. 141. 

(2) Voir Textes pehlvis historiques et légendaires dans la Revue 
Archéologique de 1895. 

(3) Il y a dans l'histoire d'Abou-Mouslim des choses qui sont 
loin d'être aussi claires que le pensent les chroniqueurs et \çs 
biographes musulmans, et il est très vraisemblable que les 
Shïites ne sont pas tellement dans leur tort qu'ils le paraissent. 
En provoquant la révolution qui a précipité du trône les 



- 43 - 

Quand Abou-Mouslim, qui se disait lui-même le pré- 
curseur d*un Mahdi tf^JsJI ^^.^^Lie eut été assassiné, un 

Omeyyades et qui les a remplacés par les Abbassldes, Abou-Mous- 
lim n'a peut-être bien agi que dans un but d'ambition person- 
nelle, sans compter avec les plans des hommes auxquels il don- 
nait le pouvoir. Ibn-Khallikan rapporte dans son dictionnaire bio- 
graphique qu' Abou-Mouslim « avait coutume de consulter un livre 
de divinatiau dans lequel il était écrit qu'il renverserait une 
dynastie, qu'il en fonderait une nouvelle et qu'il périrait de mort vio- 
lente dans le pays de Roum «> (trad. de Slane; tome II, p. loo et suiv.)- 
Ibn-Khallikan entend que la dynastie fondée par Abou-Mouslim 
est celle des Abbassldes, auxquels en effet, son insurrection donna 
la couronne ; mais ce n'est point là le sens que les auteurs musul- 
mans aussi bien que les occidentaux entendent par fonder une 
dynastie : fonder une dynastie consiste à se proclamer souverain 
et à faire souche de rois. Ni Monk, ni le maréchal Prim n'ont été des 
fondateurs de dynasties, tandis que Bonaparte en fut un. Il ne 
faut pas oublier qu' Abou-Mouslim était d'origine guèbre, et qu'au 
témoignage d'Ibn-Khallikan, il descendait du célèbre Bouzour- 
djmihir, lils de Bakhtigân ; sans aller aussi loin, il est certain 
qu'il était persan, de Mérv ou de Djéi en Ispahan ; il n'y aurait 
rien d'étonnant à ce qu'il ait voulu se servir d'el-Saffah comme 
d'un instrument, mais sans y réussir ; un fait très important, c'est 
qu'el-Mansour, successeur d'el-Saffah» considérait Abou-Mouslim 
comme le pire ennemi de la dynastie abbasside, qui lui devait la 
couronne. Est-ce seulement parce qu'Abou-Mouslim refusa de 
changer le gouvernement du Khorasan. où il était à peu près 
indépendant, contre celui de la Syrie, où il aurait été tenu à l'œil, 
qu'el-Mansour le lit traîtreusement assassiner, ou n'est-ce pas plu- 
tôt parce qu'Abou-Mouslim songeait à renverser les Abbassldes 
pour les remplacer par les Alides ? Cette dernière hypothèse est 
la seule vraisemblable, quand l'on remarque que tous les Persans, 
les Mazdéens et les Khourremdinis se rangèrent autour du guèbre 
Sinbâd, qui appelait Abou-Mouslim « son maître ». Je crois éga- 
lement bon d'insister de la façon la plus formelle sur ce point 
que Nizam-el-Moulk, dans son Siasset'Nâmèh, donne à Abou- 
Mouslim le titre de Sahib ed- da'vet ; le célèbre vizir des sultans 
Seldjoukides était un sunnite farouche et il était payé pour savoir 
le sens exact des termes qu'il employait; or, Sahib-ed-dà'vet 
a maître de la Prédication », s'emploie exclusivement en parlant 
du Précurseur du Mahdi ; il n'y a pas d'autre interprétation pos^ 
sible et ce fait seul sufQrait à montrer qu'Abou-Mouslim songeait 
à une restauration du Fatimisme Messianique. Dans sa traduction 
du Siasset-Namèh, p. 182, M. Schefer a rendu ce titre par « maître 
de la vocation », ce qui en dénature absolument la portée. 



- 44 - 

officier général (sipehsalar) mazdéen se rendit à Rey où il 
appela autour de lui tous les Mazdéens de la contrée et les 
Khourremdinis, qui étaient les descendants des partisans 
de Mazdek (i). Il ne tarda pas à réunir une armée consi- 
dérable capable de tenir tête aux forces du khalife et il 
déclara qu'il allait venger son Maître, Abou-Mouslim. 
D'après lui, ce personnage n'était pas mort, mais il se 
tenait avec le Mahdi et Mazdek qui n'était point mort 
non plus, dans une forteresse de cuivre dont ils allaient 
bientôt sortir tous les trois. Abou-Mouslim, le daî, le 
Précurseur, 5^*xJ| o«wLô, devait précéder de quelques 
jours la venue du Mahdi dont Mazdek allait être le 
vizir (2). 

Ce bizarre syncrétisme de Mazdéisme, ou plutôt d'hété- 
rodoxie iranienne, et de Shïisme, d'hétérodoxie musul- 
mane, réussit à merveille, d'autant mieux que Sinbâd 
(755 de J.-C.) disait que Mazdek avait embrassé le Shïisme 
et qu'il ordonnait à ceux qui avaient l'intention de venger 
Abou-Mouslim de s'allier aux Shïites (3). Ce qui prouve 
bien que cette révolution n'avait pas d'autre but que de 
renverser le Khalifat abbasside, et de renoncer à l'Islam 
pour lui substituer le Magisme, c'est l'une des proclama- 

(i)Nizam-el-Moulk affirme dans Le Siasset-Namèh que la femme de 
Mazdek, Khourréméh, s'était enfuie, après rexécution de son mari, 
avec deux autres personnes à Rey où elle avait fait une propagande 
active; la nouvelle secte n'avait pas tardé à devenir très impor- 
tante et elle n'attendait que le moment de provoquer quelque révo- 
lution ou d'entrer dans quelque émeute. (Ch. Schefer, SiasaeU 
Namèh, trad., p. 266 ) Cet auteur ajoute que les Khourremdinis 
priaient d'abord pour Abou Mouslim, puis pour le Mahdi, pour 
Firouz, iils de Fatima, iille d'Abou-Mouslim, qu'ils appelaient 
r a Enfant omniscient », 

(2) Siasset-Namèh, texte persan, édité par Ch. Schefer, chapitre 
4^> page 182. 

Ov^I^âh. ;l^ Imam* ^\ 

(3) Ibid,, page i83. 



- 45 - 

tions que lança Sindbâd et dans laquelle il disait (i) : 
« La souveraineté des Arabes a pris fin, comme je l'ai trouvé 
annoncé dans un des livres des Sassauides. Je ne cesserai 
pas la lutte avant d'avoir détruit la Kaaba, que Ton a 
substituée au Soleil (comme objet d'adoration). Nous 
reprendrons le Soleil comme notre kiblah ainsi que cela 
se faisait dans les temps anciens(2). » C'était comme on le 
voit un programme bien net du retour au Mazdéisme avec 
les mêmes visées politiques qui furent celles des Kar- 
mathes. 

En disant a ses troupes qu'il avait trouvé cette prédic- 
tion dans un livre des Sassanides, il est très possible que 
Sindbâd était de bonne foi. Dans l'un des ouvrages les plus 
importants de la littérature néo-mazdéenne, le Grand 
Bnndehesh dont une copie a été rapportée des Indes par 
J. Darmesteter, on trouve un chapitre historique intitulé : 
« Sur les calamités qui ont fondu sur la Perse au cours 
des différents âges », et qui paraît avoir été continué au 
fureta mesure des événements. « Les Arabes, dit ce texte, 

(I) 

Ibid., p. i83. Il se peut que ce passai^e du Siasset-Nânièh soit la 
reproduction exacte de la proclamation de Sindbâd, car il est 
facile de voir combien ces quelques phrases ont peu l'allure per- 
sane ; c'est à croire qu'elles lurent primitivement écrites en pehlvi, 
ce passage se décalque en petilvi sans aucune difiiculté : 
Tàtakhshàhih-i Arah ozlànt ma andar nâmak-i àyàfi havâ-am 
min nâmakân-i Sâsânîân u li'akhar là obdûnam od Kaaba rài 
avirân là obdûnam ma olâ rdi çartishnîh khûrshit mxidam raglâ 
obdûnt havà-and u lanà hamtchûnîn kibla-i nafshâ âjtâb obdà- 
nùn tchigùn pishin yalivûn-t, 

(a) La kiblah est le point vers lequel les Musulmans se tournent 
pour faire la prière; il est théoriquement déterminé par la direc- 
tion de la ligne droite qui joint la Kaaba au point où Ton se 
trouve. Les astronomes musulmans ont dressé des tables pour en 
déterminer la direction pour chaque point de la terre, il convient 
de ne leur accorder qu'une confiance des plus limitées. 



- 46 - 

répandirent leur propre loi et leur maudite religion dans 
l'Iran, détruisirent de nombreuses coutumes des anciens 
et persécutèrent la Loi Mazdéenne...; depuis la création 
du monde jusqu'alors, pire calamité n'était arrivée, car 
leurs mauvaises œuvres ont causé la misère, la dépopu- 
lation et le désespoir... Il est dit dans l'Avesta : «Leur 
tyrannie cessera, elle sera renversée (i). » 

11 se peut fort bien que Sindbâd ait pris cette prédiction 
dans le Bandehesh ou tout au moins dans une des rédac- 
tions de cet ouvrage ; selon toutes les vraisemblances, le 
célèbre patriote guèbre savait assez de pehlvi pour lire un 
texte écrit dans cette langue, car ce n'était pas une con- 
naissance bien rare à son époque, et si l'on avait un spéci- 
men du persan du ii'* siècle de l'hégire, il est certain qu'il ne 
diflférerait que peu du pehlvi ordinaire. D'ailleurs, en ad- 
mettant que Sindbâd ait ignoré le pehlvi, il aurait pu lire 
le Bundehesh dans la traduction arabe que Ibn-el-Mokaffa 
en fit à une date antérieure à l'année ^67 de notre ère (2). 

L'insurrection dont Sindbâd était le chef tint en échec 
pendant près de sept années les meilleurs généraux du 
Khalifat abbasside ; ce ne fut qu'au prix d'une lutte sans 
merci que Djoumhour-ibn-Ali, ayant réuni toutes les 
troupes des provinces occidentales de la Perse, parvint à 
battre le Guèbre devant Rey. Sindbâd périt dans la 
mêlée et ses partisans se dispersèrent ; les Khourremdi- 
nis se confondirent avec les Guèbres (3) et attendirent 
qu'une époque plus favorable leur permît de se soulever 
de nouveau contre le Khalifat de Bagdad. 

Un peu plus tard (212 hégire-827), les Khourremdinis 
s'insurgèrent dans la province d'Isfahan et gagnèrent 

(i) Textes pehlvis historiques et légendaires dans la Revue 
Archéologique de i8g6. 

(a) J'ai montré dans la Revue de VHistoire des Religions de 1896 
(Textes pehlvis inédits relatifs à la religion Mazdéenne) y que le 
Benkesh dont parle Masoudi, et dont il attribue la traduction à 
Ibn-el-Mokaffa ne saurait guère être autre chose que ce que nous 
appelons le Bundehesh, 

(3) SiasseUNamèh, trad., Schefer, p. 268. 



- 47 - 

rAzerbeïdjan où ils s'unirent à Babek qui venait de se 
révolter dans cette contrée ; la défaite et la mort de 
Babek ne découragèrent pas les Khourremdinis, qui re- 
commencèrent cette lutte sans merci sous le règne du 
khalife el-Wathik-Billah et qui ne furent réduits qu'en 
l'année 3oo de Thégire (912). 



Yl 



La terrible insurrection des Karmathes qui éclata en 
278 de riiégire, sous le règne du khalife abbasside el- 
Motaraed, fut Tune des plus violentes commotions qui 
aient secoué le monde musulman depuis la mort du Pro- 
phète. Préparé de longue main par des gens d'une habileté 
incomparable, d'un coup d'œii politique que plus d'un 
homme d'état leur envierait, pour qui la mort était la 
suprême récompense des vrais croyants, cet attentat con- 
tre l'Islam trouva le gouvernement de Bagdad absolu- 
ment désarmé, et il s'en fallut de bien peu que le Khalifat 
abbasside ne disparut dans la tourmente. Je n'ai pointl'in- 
tention de refaire l'histoire de cette révolution après 
MM. de Sacy et de Gœje(i), et je me contenterai de rattacher 
les Karmathes aux autres sectes shïites, dont les dogmes 
ont été fortement iranisés et à étudier leur parenté avec 
elles, en particulier avec celle des Fatimites ou Obéïdites 
et des Ismaïliens ou Assassins. En réalité, ces trois sectes 
n'en forment qu'une seule, celle des Ismaïlis, et chacune 
de ses subdivisions a pris une nuance politique difïérente 
suivant les contrées où elle était appelée à vivre. Le célè- 
bre historien arabe Taki-ed-Dîn-Ahmed-el-Makrizi et le 
géographe Yakout-el-Hamâvi donnent en eflfet le nom 
d'Ismaïliens aux partisans de la dynastie des khalifes 
fatimites du Kaire qui tentèrent de renverser Saladin, 

(i) Exposé de la Religion des Druzes et Mémoire sur les Carma- 
thes du Bahraîn et les Fatimides, n* i des Mémoires d'histoire et 
de géographie orientales^ Leyde, 1886. Dans le premier de ces 
ouvrages, M. de Sacy a donné la traduction d'un fragment très long 
et très important de l'historien arabe Nowaïri, relatif à la doc- 
trine et à la discipline intérieure de cette secte (tome I, Intro- 
duction). 



- 49 - 

ce qui montre que les Egyptiens avaient pleinement cons- 
cience de ridentité de Tlsmaïlisme et du Fatimisme (i). 

Les Ismaïlis reconnaissent comme imam Ismaïl, fils de 
Djaafer-el-Sadik, mais cette opinion est loin d'être générale 
parmi les sectes hétérodoxes de Tlslam. 

L'imam Djaafer-el-Sadik eut quatre fils : l'aîné se nom- 
mait Ismaïl (2), sa mère était une Hoséinite ; le second, 
Mousa, qui est inhumé à Meshhed près de Tous ; le troi- 
sième, Mohammed-Dibadj, qui est inhumé en dehors de 
la ville de Djordjan, le quatrième, Abd-Allah, plus connu 
sous le nom d'el-Bathih. Djaafer désigna son fils aîné 
Ismaïl pour lui succéder comme imam ; mais Ismaïl était 
adonné au vin et Djaafer désapprouvait cette conduite; en 
conséquence il le déshérita et désigna comme son succes- 
seur son second fils Mousa. 

Suivant l'auteur du Djihân Kusha, l'imam Djaafer dit 
même : « Ismaïl n'est point mon fils, c'est un démon qui 
est venu sous sa figure (3). » Une partie des Shïites con- 
tinuèrent à regarder Ismaïl comme l'imam futur, tandis 
que d'autres s'écartaient de lui, en tant qu'imam. « Les 
premiers alléguaient, dit Rashid-ed-Diii, que l'imam Dja- 
afer était infaillible et que, puisqu'il avait désigné Ismsdl 
pour lui succéder, cette désignation gardait toute sa 
valeur; la malédiction qu'il avait lancée contre lui ne 
pouvait avoir d'effet au point de vue divin. Ce que fait et 
commande l'imam étant la Vérité même, il était impos- 
sible d'écarter Ismaïl de l'imamat pour la seule raison qu'il 

(i) Kitab- el-soloukf ms. ar. 1726, fol. 27 recto et Modjem-el-boul' 
dan, 1. 1, p. 265. 

(2) L'histoire d'Ismaïl, fils de Djaafer-el-Sadik et de ses descen- 
dants est à peu près la même chez les chroniqueurs arabes et per- 
sans, à quelques détails près ; le court résumé qu'on en trouve 
ici est emprunté à la Djami-el-téwarikh de Fadl-AUah-Rashid-ed- 
Din; j'y ai ajouté quelques renseignements puisés dans le Djihân- 
Kusha de Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni. Ces deux chroniques 
d'égale valeur et très consciencieusement écrites se complètent 
l'une par l'autre. 

(3) Man. supp. pers. 2o5, fol, 106 verso. 



— 5o — 

buvait du vin. Ceux qui prirent fait et cause pour Ismaîl 
reçurent le nom d'Ismaïliens et leurs descendants furent 
appelés les « Shïites aux Sept imams » ax^um ^Ul cxÂ^. 

<( Gomme ils disent que par suite de la faiblesse et de 
rimpuissance de Tesprit humain, il est impossible de péné- 
trer les mystères de la nature divine, si ce n'est par l'en- 
seignement d'un maître, ils furent aussi appelés Taalémis 
(i). Ils prétendaient que dans le Koran tout mot a deux sens» 
l'un intrinsèque et exotérique (litt. visible, zahirî), l'autre 
ésotérique(litt. caché, bathini); le vulgaire connaît le sens 
intrinsèque, mais les initiés seuls connaissent le sens ésoté- 
rique et mystique ; cette théorie leur fit donner le nom de 
Bathéniens. Ils nomment, dit Rashid-ed-Din, tous ceux qui 
sont affiliés à leur secte des « néophytes » (maazoun) (2); 
lorsque 1' a affidé » est autorisé à faire de la propagande 
pour la secte, il reçoit le nom de « missionnaire » (daï) (3) ; 
quand il s'illustre dans cette fonction, il est appelé « Preuve » 
(houdjdjet), c'est-à-dire qu'Allah donne aux hommes la 
preuve de ses paroles ; quand il a atteint la perfection 

(i) Beïbars-el-Mansouri dit dans la Taarikh-el-hidjret que d'après 
quelques personnes, les Ismaïliens n'étaient qu'une division des 
Taalémis. (Ms ar. 157a, folio 97 recto.) Nizam-el-Moulk dit dans le 
Siasset'Namèh (édil. Schefer, page 199) que les Bathéniens étaient 
appelés à Alep et au Kaire, Ismaïliens; à Bagdad, dans la 
Transoxiane et à Ghaznin, Karmathes ; à Koufa, Moubarékis ; à 
Bassora, Ravendis et Barkavis; à Rey, Khaléfis et Bathinis; dans 
le Gourgan, Mouhammarèh; à Damas, Moubayyadèh ; dans le 
Maghreb, Saidis; à Lahsa et dans le Bahreïn, Djennabis; à 
Isfahan, Bathinis. 

(a) Litt. : « qui a été admis i» ; ce mot arabe dérivé de la racine 
aza n'est traduit que très approximativement par néophyte; il 
signifie littéralement « celui qui a reçu la permission d'entrer 
dans la secte ». 

(3) On trouve indifféremment j!^ et iL^'*> pour désigner le 
« missionnaire » des sectes ismaîliennes. J'en citerai ce seul exem- 
ple qui me paraît décisif a4a^«x« i â^I«> ia^y» ^Lo^ « Karmath 
était un missionnaire dans leur secte ». Il n'y a aucune différence 
à établir entre ces deux mots, dont l'un est la forme féminine de 
l'autre ; on comparera pour ce point, le mot iuLJÂ. a khalife » qui 
est également une forme féminine et qui ne s'emploie cependant 
qu'au masculin. (Beïbars-el-Mansoui?i, ms. ar. 157a, folio 96 verso.) 



— 5i — 

absolue et qu*il n'a plus aucun besoin d'apprendre quoi 
que ce soit, il est nommé « Imam ». L'Imamat est le plus 
haut degré que l'on puisse atteindre ; au dessous de l'Imam 
il y a le « prédicateur » (natik). 11 y a sept « imams » et 
douze <( missionnaires ». 

Ismaïl mourut cinq années avant son père, Djaafer-el 
Sadik, en l'an i45 (i) ; le général qui gouvernait la ville 
de Médine au nom des khalifes abbassides se rendit avec 
un grand nombre de sheïkhs et de docteurs à l'endroit où 
il était mort, à quatre farsangs de la ville, et il fit porter 
son cercueil à bras d'hommes jusqu'à Médine (2). Malgré 
cela, plusieurs de ses fidèles dirent qu'il n'était point 
mort, mais qu'il était disparu aux yeux des hommes. Il 
aurait ainsi vécu cinq années après son père ; on le vit 
un jour dans le bazar de Bassora; un paralytique lui 
ayant demandé de le guérir, l'imam lui prit la main, le 
malade recouvra immédiatement la santé, se leva et 
s'en alla. Un jeune homme aveugle (3) ayant également 
imploré sa miséricorde, recouvra immédiatement la vue(4). 

Quand l'imam Djaafer-el-Sadik mourut, presque tous les 
Shïites se rallièrent à l'imam Mousa, à l'exception d'un très 
petit nombre qui prirent parti pour Mohammed Dibadj ; ils 
furent nommés Dibadj is du nom de leur patron; d'au- 
tres reconnurent comme chef Abd- Allah -Abthah et 
reçurent le nom d'Abthahis (5). Les khalifes de la dynastie 

(i) Uauteur du DjihânrKusha, ms. supp. pers. 2o5, folio i56 
verso, donne également cette même date. 

(3) D'après rauleur du Djikân^Kusha^ Timam Djaafer n'agit ainsi 
que pour faire la preuve absolue et irréfutable de la mort de son 
ills, ce qui, comme on le voit, n'empêcha rien. (Ms. supp* pers. 
ao5, folio 106 verso). 

(3) Le texte de cette phrase est corrompu dans les manuscrits 
dont {e me suis servi; l'un d'eux, celui de M. Schefer, donne la 
leçon suivante qui se rapproche le plus de celle que je crois être 
la véritable 0^ U-o ^^Lo U^ U^ , Je lis .....Ul^ b b^, 

(4) Le Djihâri'Kusha rapporte ces mêmes légendes dans des ter- 
mes à peine différents. (Ms. supp. persan. ao5, fol. i57 t\) 

(5) Ou Bathihis, d'après le DJUiân Kuskâ par suite de la chute 
de rélif initial, (Ms. supp. persan ao5, fol. i56 verso.) 

Parmi les autres sectes shïites, il convient de citer celle des 



— 52 — 

d*Abbas transférèrent Timam Mousa de Médine à Bagdad 
et Femprisonnèrentdans cette ville ; les Shïites prétendent 
qu'il y fut empoisonné. 

Zeîdis qui reconnaissent comme imam après Ali-Zeîn-el-Abidin, 
son fils Zeîd ; dans les différentes branches de cette secte, tous les 
descendants de Fatime par Hasan et Hoseïn peuvent être imams ; 
suivant Tune de ces fractions, après Zeïd, Timamat passa à son 
fils Yahya, qui lé légua à Mohammed-el-Nefs-el-Zakya, Tancêtre 
des Sultans Shérifs du Maroc, lequel eut pour successeur Moham- 
med, iils d'el-Kasem et descendant d'Hoseïn, comme Tindique le 
tableau ci-dessous : 

Ali 



Hasan 
Hasan 

Abd-Allah 
Mohammed-el-Nefs-el-Zakya 



„ I 
Hoseïn 

Ali-Zeïn-el-Abidin 

I 



Zeïd 
Yahya 



Omar 

a'u 

Ai 

el-Kasem 

Les Sultans Shérifs du Maroc Mohammed 

Les deux autres fractions les plus importantes de cette secte 
shïite prétendent, Tune que Timamat passa de Zeïd à son fils 
Yahya, à son petit-fils Isa, puis au chef desZendjes; Tautre que 
Mohammed-el-Nefs-el-Zakya transmit Timamat à Idris, fondateur 
et chef de la dynastie africaine des Idrisites. 

Les Mausévis disent que Timamat a passé à Mousa, fils de 
Djaafer-el-Sadik, qu'il n'est point mort et que Mousa est le Mahdi. 
D'autres Shïites, les Dhemmis, plus hétérodoxes encore, admettent 
que Mahomet était l'Envoyé d'Ali, mais qu'il abusa de sa mission 
pour se faire passer pour Prophète; ils se rapprochent, comme 
on le voit, des Ali-Elahyân ; d'autres prétendent qu'Ali, Moham- 
med, Fatime, Hasan et Hoseïn sont une seule et même personne. 
Un poète qui appartenait à cette dernière secte a dit : 

a Après Allah, cinq personnes ont régi la Loi musulmane : notre 
Prophète, ses deux petits-fils, le vieillard (Ali) et Fatime. » 

U y a même des Shïites qui prétendent qu'Ali et Mohammed 
sont deux divinités. 



— 53 — 

Après ces événements, les Abbassides poarsuivirent 
ses descendants à cause de leurs prétentions à Timamat 
et les enfants d'Ismaïl furent également contraints de se 
cacher ; plusieurs d'entre eux se réfugièrent dans l'Irak et 
dans le Khorasan, d'autres se rendirent dans le Maghreb. 
Quand Ismaïl mourut, son fils Mohamraed-ibn-Ismaïl qui 
était né du temps du grand Djaafer(i), et qui avait un an 
de plus que l'imam Mousa, se rendit dans l'Irak et se fixa 
à Rey ; il se retira ensuite sur le Démavend (2) ; la localité 
appelée Mohammed- Abad à Rey a été nommée d'après lui. 
Il eut plusieurs enfants qui s'enfuirent dans le Khorasan; 
ils allèrent jusqu'à Kandahar et se fixèrent sur les frontiè- 
res de l'Hindoustan ; les plus remarquables de leurs des- 
cendants se répandirent dans les villes de cette contrée et 
ils y firent de nombreux prosélytes. On rappela Moham- 
med-ibn-Ismaïl dans les contrées de l'Ouest ; il se rendit 
alors en Syrie, et comme il ne (réclama point l'imamat, 
personne ne songea à le persécuter; il mourut dans ce 
pays où une partie de ses descendants restèrent (3) » 

(i) Djaafer-i-boozourg, ce nom est très souvent donné à rimam 
Djaafer-el-Sadlk par les historiens et les théologiens persans. 

(a) Le gigantesque volcan sur lequel la légende iranienne a 
enchaîné le mauvais roi Zohak et qui borne au nord l'horizon 
de Téhéran. 

(3) Alâ-ed-Din, Tauteur du DJihân-Kousha dit que de son temps 
ils y étaient encore. (Ms. supp. persan 2o5, folio 167 recto.) 



VII 



L'IsmaïIisme est en réalité un contre-imamat, une réac- 
tion surtout politique contre Tlmamisme des Shïites qui 
reconnaissent les douze imams dont le dernier est el-Kaïm ; 
en effet, les cinq derniers ne sont pas reconnus par les 
Ismaïliens. Il serait trop long d'exposer ici les circons- 
tances politiques qui ont provoqué la naissance de cette 
secte et celles qui lui ont permis de -vivre et de se propager 
à travers le monde musulman ; ce qu'il y a de certain, c'est 
que les Ismaïliens ne sont qu'une secte hétérodoxe du 
Shïisme persan, lui-même hétérodoxe aux yeux du Sun- 
nisme officiel du Khalifat abbasside de Bagdad. 

Pour arriver à la connaissance complète des dogmes des 
Ismaîlis, les « adeptes )> devaient passer par neuf degrés 
d'initiation différents qu'on se gardait bien de faire franchir 
à tous les néophytes; d'après ce que racontent Nowaïri (i) 
et Makrizi, on voit fort bien qu^étant données deux per- 
sonnes qui voulaient entrer dans la secte, on ne leur 
apprenait point la même quantité de doctrine ; on com- 
mençait par les tâter, par s'enquérir de leur mentalité pour 
voir jusqu'à quel point il convenait d'aller ; il est certain 
que dans bien des cas on devait vite rebuter les prosélytes, 
peut-être même s'en débarrasser, si l'on voyait qu'ils se 
refusaient à admettre sans discussions les idées qu'on vou- 
lait leur inculquer. A part les missionnaires et les grands 
chefs, il devait y avoir à peu près autant d'ismaïlismes 
que d'individus, ou plutôt que de groupes ismaïlites. 

(i) Nowaïri ne fait que résumer ce qu'avait écrit un Shérif alide 
nommé Akhou-Mohsin et dont le nom complet était : Abou'-l- 
Hoseïn-Mohammed-ibn-Ali-ibn-el-Hoseîn-Ahmed-ibn-Ismaîl-ibn- 
Mohammed-ibn-IsmaîUibn-Djaafer-el-Sadik-ibn Mohammed - ibn- 
Ali-ibn-Hosein-ibn-Ali-ibn-Abou-Taleb. Cet auteur était évidem- 
ment très bien informé. 



— 55 — 

L'enseignement de la doctrine ismaïlite consistait à 
démolir successivement dans les différents degrés d'ini- 
tiation, ce qu'on avait dit dans les précédents pour arriver 
enfin à dire que la mission prophétique n'existait point, 
que les Prophètes ne sont que des philosophes (i), que la 
venue du Mahdi ne doit pas se comprendre dans son sens 
littéral et temporel, mais bien dans le sens ésotérique et 
spirituel, c'est-à-dire qu'il paraîtra dans le monde surna- 
turel, que la manifestation réelle du Mahdi est la prédi- 
cation de la doctrine, et enfin que les Arabes étaient mau- 
dits parce qu'ils avaient tué Hoseïn, tandis que les Persans 
étaient bénis pour avoir toujours porté secours à la famille 
d'Ali. 

Dans la doctrine primitive de la secte, d'après Nowaïri, 
il n'était question que de la venue de Mohammed-ibn- 
Ismaïl, et ce n'est que plus tard qu'on lui a substitué, évi- 
demment pour des raisons politiques qui nous échappent, 
le Mahdi Obeïd- Allah, dont on va bientôt voir le rôle en 
Afrique. 

En réalité, il n'y avait qu'un nombre extrêmement res- 
treint de personnes à qui l'on permettait d'atteindre le 
dernier degré d'initiation dans lequel on apprenait cpie 
Mohammed, fils d'Ismaïl, était bien mort et que s'il reve- 
nait dans le monde, ce n'était que d'une façon toute spiri- 
tuelle (a). C'étaient des confidences trop dangereuses pour 
qu'on les fît sans précautions à des gens dont on n'était 
pas absolument sûr. 

« Les Ismaïliens' dit Rashid-ed-Din (3), croyaient que 
l'imam .visible après Mohammed fut Ali et qu'après le 
Prophète, il y eut sept imams; d'après eux, il n'était 
pas besoin que l'imam fût visible et il y en eut quelques- 

(i) Toute réforme religieuse poussée jusqu'au bout, même avec 
la plus grande logique, en arrive fatalement à ce point. C'est ainsi 
que le Protestantisme outré nie complètement la divinité et la mis- 
sion prophétique de Jésus-Christ, pour le regarder seulement 
comme un sage, comme un philosophe. 

(2) DeSacy, Exposé de la Religion des DrazeSy Introd,, p. CLVII. 

(3) Dans la Djâmi'el'téifarikhm 



— 56 — 

uns de cachés qui se succédèrent sans interruption, comme 
la nuit et le jour; à toutes les époques, il y a toujours 
un imam visible et un imam caché (i). » 

D'après Ala-ed-Din-Ata-Mélik, l'auteur du Djihân- 
Kusha (2), les Ismaïliens disaient que le monde n'avait 
jamais été et ne sera jamais sans imam; que le père de 
tout imam est également imam, ainsi que le père de son 
père, et ainsi de suite jusqu'au Prophète Adam qui fut 
le premier imam. Ala-ed-Din ajoute que les Ismaïliens 
considéraient comme imam le fils de tout imam; ainsi 
énoncée, cette phrase contient une inexactitude, car il 
est évident, d'après la nature même de l'imamat, que 
parmi tous les fils d'un même imam, il n'y a et il ne 
peut y avoir qu'un seul imam; Ala-ed-Din a voulu dire, 
à n*en pas douter, qu'il fallait regarder comme imam le 
fils de l'imam qui avait été désigné par son père pour lui 
succéder. Dans ces conditions, il est impossible qu'un 
imam meure avant la naissance du fils qui doit exercer 
l'imamat après lui. 

a Durant le temps que l'imam n'est point visible, il faut 

(i) Les imams recomius par les Ismaïliens sont donc comme le 
rapporte Nowairl d'après Abou'1-Hasan-Mohammed-ibn-AU : 



Abou-Taleb 

i 

I 



I AU 



a Hasan 3 Hoseîn 

4 Ali-Zein-el-Abidin 

5 Mohammed-er4ladi 

6 Abou-Abd-AUah-Djaafer 

j el-Kaîm lUs dlsmall 

Cet el-Kaîm est Mohammed, fils d'Ismail, fils de Djaafer, et il fat 
imam à rezclusion d'Ismaîl ; les Shîites, qui admettaient Ismaïl 
pnis Mohammed son fils, n'étaient pas Ismaïliens. En réalité, 
les IsmaUiens devaient regarder Ismaïl et Mohammed comme nn 
seul personnage, une seule entité. 

(a) Manuscrit supp. pers. aoS, folio x57 recto. 



- 5j - 

que ses missionnaires et ses Prophètes vivent parmi les 
hommes pour que ceux-ci aient une preuve tangible de 
l'existence de Dieu ; ce sont les Prophètes qui ontapporté du 
ciel les livres S£icrés (ashâb-el-tenzît), tandis que les imams 
sont ceux qui les interprètent {ashâb-el'taaçîl) ; à toutes 
les époques, chacun des Prophètes a eu son Imam corres- 
pondant; l'imam contemporain d'Abraham était un per- 
sonnage dont le nom se trouve dans le Pentateuque écrit en 
langue syriaque et dont le sens en arabe est Mélik-el-Sid- 
dik (i) (le roi juste). 11 était le souverain de l'Islamisme ; 
quand Abraham alla le trouver, il lui donna dix bêtes de ses 
troupeaux; Khidr, cpii apprit la science infuse (lédéni) à 
Moïse était également imam ; pendant l'époque qui précéda 
l'Islam, les imams demeurèrent cachés ; à l'époque d'Ali, 
qui fut l'imam de l'époque de l'Islamisme, l'imamat rede- 
vint visible et les imams restèrent visibles depuis son 
époque jusqu'à celle d'Ismaîl et de Mohammed, son fils, 
qui fut le septième imam; ils devinrent de nouveau 
cachés depuis Ismaïl et Mohammed ; ces deux personna- 
ges furent les derniers imams visibles ; tous les autres 
sont et resteront cachés (mestour) jusqu'au moment où 
ils reparaîtront à nouveau. » 

L'auteur de l'ouvrage astronomique arabe intitulé Des- 
tour elrmonedjdjimîn, dont il n'existe qu'un seul manus- 
crit, et qui fut un partisan convaincu des Fatimites, ne 
s'explique pas beaucoup plus clairement que Rashid- 
ed-Dln sur la succession de l'imam Ismaïl. D'après lui, 
le premier imam caché fut Ismaïl, fils de Djaafer-el- 
Sadik, qui disparut en l'année i45 de l'hégire, deux ans 
et quelques mois avant la mort de son père et qui mou- 
rut cinq ans' après lui, à el-Arid ; il fut inhumé à el- 

(i) C'est de Melchîsédech qu'il est question ici. On voit que 
Rashid-ed-Din commet ici une faute ^^ssière de grammaire arabe, 
car il faudrait dire el-Mélik-el-Siddik, mais cette faute est cou- 
rante chez les auteurs persans qui veulent écrire en arabe ; c'est 
ainsi que dans l'un de ses ouvrages, le Bâb se désigne par l'ex- 
pression arabe noktèh-el-aoulèh, pour el-noktèh'^l-aottlèh, « le 
premier Point ». 



— 58 — 

Baki. Mohammed, fils d'Ismaïl, est le septième imam; 
il fut reconnu comme tel par son client, el-Moubarek. 
Plusieurs personnes admettent qu'il fut le dernier imam, 
€t cela leur fit donner le nom S! eUWakifiyjrèh (i). 
Haroun-el-Reshid ayant voulu persécuter Timam Mo- 
hammed, celui-ci se réfugia dans Tlnde où il trouva 
un asile. Il eut pour fils Djaafer, Ismaïl, Ahmed, Hose'in, 
Ali et Abd-er-Rahman. L'auteur daDestour'el-monedJdji' 
mîn confesse qu'il ignore quel fut au juste celui de 
ces enfants qui succéda à Mohammed, fils d'Ismaïl ; il 
se borne à dire que Mohammed, fils d'Isma'il, eut pour 
successeur les trois imams cachés, er-Rida, el-Wafi, el- 
Taki ; l'un d'eux se fixa à Salamiyya quand les Abbas- 
sides voulurent le persécuter (2). 

Les Ismaïliens croyaient, d'après Rashid-ed-Din, que 
Mousa-el-Ridha, fils de Djaafer-el-Sadik, était le dou- 
ble jMÂJJt ^Ixjo (3) d'Ismaïl et que Ali-ibn-Mousa-el-Ridha 
était le double de Mohammed-ibn-Ismaïl. 

La théorie de la succession des Prophètes que l'on trou- 
vera exposée en détail dans l'ouvrage de M. de Sacy sur 
la religion des Druzes, n'a rien de bien particulier, à cela 
près que les Ismaïliens y ont fait pénétrer Mohammed, fils 
d'Ismaïl. Chacun des prophètes dont les six premiers sont 
reconnus par le Sunnisme a un substitut qui vit en 

(i) J'emprunte quelques-uns de ces détails au travail de M. de 
Goêje intitulé Mémoire sur les Carmathes du Bahraîn et les 
Fatimides, page 22o3. M. de Goêje les a lui-même tirés en partie 
du manuscrit du Destour eUmonedjdjimin qui appartint à M. Gh. 
Schefer et qui a été acquis par la Bibliothèque Nationale, où il 
porte le n« 6968 du fonds arabe. Il en a publié un extrait fort 
important pour la question qui est traitée ici, mais sans le tra- 
duire. 

(a) Ibn-Khaldoun dit également que les Ismaïliens reconnaissent 
trois a imams cachés » après Ismaïl, fils de Djaafer-el-Sadik. Il 
leur donne les noms de Mohammed-ibn-Ismaîl, Djaafer-Mosaddik, 
iils de Mohammed, Mohammed, iils de Djaafer-Mosaddik ; après 
eux vient le Mahdi Obeïd-AUah. 

(3) Litt : a l'endroit, ou la personne dans laquelle l'âme se réin- 
carne. » 



- 59 - 

même temps que lui ; Ali, substitut de Mohammed, a eu 
pour successeurs dans cette fonction ses deux fils Ha- 
san et Hosein, puis les quatre imams suivants dont le 
dernier, Ismaîl, fils de Djaafer-el-Sadik,apourfilsMoham« 
med, qui est justement le septième prophète en même 
temps que le Mahdi des derniers âges. 

Voici la concordance des Prophètes parleurs ou expo- 
seurs jj-bli, c'est-à-dire qui exposent la doctrine céleste 
révélée aux imams et de leurs substituts d'après les 
théories des Ismaïliens : 

Prophètes Exposburs Substituts 

I Adam Seth 

a Noé Sem 

3 Abraham Isma!l (tiis d'Abraham) 

4 Moïse Josué 

5 Jésus-Christ Simon-Eéphas 

6 Mohammed Ali, qui a pour succes- 

seurs 



Hasan Hosein 

Ai 



Mohammed 

Djaafer 

Ismaîl 
I 



7 Mohammed- ibn-Ismail, le kaim-el-zéman ou sahib-el-zéman 

La hiérarchie de l'Ismaïlisme est la suivante : 

1^ L'élément sans nom et sans attributs, créateur du 
monde ; 

a^ Le Préexistant ; 

3® Le Suivant ; 

4® Le Prophète exposeur ; 

5® Le Substitut ; 

6^ Le Missionnaire. 

Or, d*après les Ismaïliens, le missionnaire peut, par 
l'étude et la sainteté, s'élever au degré du substitut et le 
remplacer; le substitut, à son tour, peut, aux mômes 



— 6o — 

conditions, remplacer le Prophète exposeur; le Pro- 
phète exposeur peut de même devenir Suivant, et le Sui- 
vant a la faculté de devenir Préexistant ; c'est-à-dire que 
tout être humain peut, puisqu'il lui est possible d'acqué- 
rir le degré de Missionnaire, s'élever au rang du Préexis- 
tant et le remplacer; cette théorie qui se retrouve dans le 
Soufisme revient à dire que rien n'existe, même pas la 
secte Ismaïlienne elle-même. C'est bien en ce sens que 
l'on peut donner à l'Ismaîlisme le nom de nihilisme reli- 
gieux; c'est de même que dans la secte des Druzes, on 
apprenait aux initiés que les khalifes fatimites n'étaient 
ni père ni fils les uns des autres, mais qu'ils étaient tous 
l'incarnation ou plutôt Thypostase, une sorte d'avatar 
'multiple d'un même principe primordial. 



VIII 



Uorigine de la secte des Karmathes qui faillit renver- 
ser le Khalifat abbasside n'est pas encore bien claire, mal- 
gré le travail de M. de Goëje ; ce qui paraît le plus cer- 
tain, c'est qu'ils furent nommés ainsi du nom d'un mis- 
sionnaire Ismaïlien qui s'appelait Hamdan, fils de Kar- 
math (i). Quoi qu'il en soit, Ibn-el-Djaûzi affirme qu'il y 
avait dans cette secte redoutable un homme qui descen- 
dait du roi sassanide de Perse, Béhram-Gour (2), et que ce 
fut lui qui provoqua la grande révolution karmathe dans 
le but d'arracher le pouvoir aux Abbassides pour le ren- 
dre aux Persans. Les Karmathes commencèrent par ébran- 
ler la foi des vrais croyants, puis ils proclamèrent la doc- 
trine de l'imamat ; un certain nombre d'entre eux profes- 
saient ouvertement la doctrine des Philosophes, c'est-à- 
dire des philosophes grecs, ce qui revient à dire, en ter- 
mes plus précis, qu'ils appartenaient au Soufisme modéré. 
Ils choisirent comme chef un nommé Abd-AUah, fils de 
Me'imoun, fils d'Amrou, fils de Saddak, fils de Kaddah- 
el-Ahvazî (3), originaire, comme on le voit, de la province 

(I) Ibn-Djaûzî cité par de Goëje, Mémoires sur les Carmathes 
du Bahrain, p. 206 ; cet auteur donne également plusieurs autres 
étymologies de ce nom. Cette secte ismaîiienne aurait été ainsi 
nommée parce que son fondateur se nommait Mohammed-el-War- 
rak-el-Mokarmab, originaire de Koufa; ou parce que son chef 
était un nommé Karmathouyyèh du Sas^nd de la Nabathène (min 
et savad min el EnbatJ ; les autres ét3rmologies ne valent guère la 
peine qu'on s*y arrête. 

(a) Peut-être ce personnage était-il Mohammed, fils d'Hoseïn- 
Dendan, secrétaire du prince Ahmed, fils d'Abd-el-Aziz, fils 
d'Abou-Dolaf. (De Goëje, ihid,^ p. i5.) 

(3) Nizam el-Moulk dit dans son Siasset-Nâmèh qu'Abd- Allah était 
tin habile escamoteur et qu'il connaissait à fond les tours de la 
magie blanche (trad. Schefer, p. 269). 



— 6a — 

de Perse qui porta dans Tantiquité le nom de Susiane 
et qui s'appelle aujourd'hui Khouzistân. Si le promoteur 
de la révolution karmathe était un descendant de Béhram- 
Gour le Sassanide, Maïmouu» le père d'Abd- Allah, était, 
suivant Abou'1-Féda, un Zendik (i), c'est-à-dire qu'il pro- 
fessait la doctrine de Mazdak, ou tout au moins, qu'il 
appartenait à une secte musulmane fortement iranisée. 
L'oncle d'Abd-Allah, Daïsan (^), appartenait à la secte 
des Dualistes {ThanaQixya) dans laquelle il est fort pro- 
bable qu'il faut reconnaître les Manichéens et les Mazdé- 
ens ; M. de Sacy ne croyait pas que ce mot désigne les 
Mazdéens (3), mais seulement une secte des Motazalli- 
tes ; cela est possible, car Makrizi (4) compte les Tha- 
naQiyjra parmi les Motazallites, mais dans un autre de 
ses ouvrages, le Kitab-eS'Solouk'li-maarifet'douçalrehmO' 
louk (5), il dit formellement que les Thanaçiyya ou Dua- 
listes sont une secte mazdéenne. D'ailleurs, si on ne veut 
pas voir une secte iranisée directement dans celle des 
Thanaoiyjra à laquelle appartenait l'oncle d'Abd-Allah, 
mais seulement une subdivision de celle des Motazalli- 
tes, il n'en est pas moins vrai que l'influence iranienne et 
mazdéenne s'est fait sentir dans cette dernière comme le 
prouve l'examen de ses dogmes. D'ailleurs, de toutes les I 

sectes hétérodoxes issues de l'Islamisme et plus partîcu- | 

I 
(i) Aboulféda, Annales moslemici, tome II, p. 3ii. 

(3) Nowaïri rapporte, d'après le sheîkh Aboul'-Hasan, que 
Malmoun était ûls de Daïsan; dans ces conditions, Abd-Allah i 

serait son petit-fils et non son neveu (Cf. de Sacy, Exposé de la i 

Religion des Druzes, Introd., page GLXYI). 

(3) C'est surtout dans les sectes hétérodoxes du Mazdéisme que ' 
le Dualisme absolu a iini par reléguer au second plan la plupart | 
des autres dogmes avestiques. i 

(4) De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, tome I", Introd., i 

p. Lxvm. 

(5) Ms. ar., 1726, fol. 3 verso : « Les Mages disaient qu'il y a j 
deux dieux, le premier, auteur du bien est la Lumière, et l'autre, 
auteur du mal, est les Ténèbres. On les appelle également les 
Dualistes {Thanaçiyya), » C'est en quelques mots la doctrine expo- 
sée dans le premier chapitre du Bundehesh. 



— 63 — 

lièrement de Vlsmaïlisme, c'est la secte desKarmathes qui 
offre le plus de rapports avec celle de l'imposteur Maz- 
dak ; c'est en effet une secte purement socialiste et même 
communiste, dans laquelle la communauté des femmes 
était la règle absolue. L'historien Beîbars-el-Mansouri (i) 
dit formellement que les Karmathes étaient des Ismea- 
liens qui avaient embrassé les doctrines de Zoroastre en 
adoptant les croyances des Mages et des Perses, et qu'ils 
se livraient à toutes sortes d'actes infâmes et abominables 
défendus par les lois musulmanes. 

Après la mort d'Abd- Allah, qui avait été obligé de quit- 
ter la Perse pour se réfugier dans la petite ville de Sala- 
miyya, en Syrie, son fils Ahmed devint le chef de la secte 
et ce fut l'un de ses missionnaires, nommé Hoseîn-Ahvazi, 
natif du Khouzistan^ qui convertit Hamdan-Karmath aux 
doctrines ismaïliennes. 

Suivant Ibn-el-Djaûzi, les Karmathes se disaient tous les 
vicaires ou successeurs UUi^ de l'imam Mohammed, fils 
d'Ismaîl, fils de l'Imam Djaafer-el-Sadik ; Beïbars-el- 
Mansouri dit que « quelques personnes étaient d'avis que 
les Ismaïliens ne furent qu'une division des Taalimis et que 
Karmath était l'un des partisans d'Ismaîl, fils de Djaafer^ 
fils de Mohammed, el-Sadik », mais il déclare que cette 
opinion n'est pas la sienne et qu'il ne saurait s'y ranger ; 
il affirme également qu'il y avait parmi les Karmathes 
des gens qui croyaient que Mohammed, fils de la Hanéfite 
était le Mahdi, qu'il était le même que Gabriel, que le 
Messie et que la Bête de l'Apocalypse qui doit sortir à la 
fin des temps (a). Si cette affirmation de Beîbars-el-Man- 

(i) Zuhdet el ûkret fi taarikh^l-hidjret, ms. ar. 1573, fol. 97 recto. 

(2) Ibid., fol. 97 r* 

^^ S^*^\ |.i*^ Uj^yS c,l3 (ilû.^a*xJl) f^Ju JL^ftU^î u' f^S JJ3 

G*est dans des termes presque identiques ce qne Féredj, fils 



- 64 - 

soari est exacte, elle montre qa*iine des sectes des Kar- 
mathes n'était en définitive qu'une branche de celle des 
Keïsanis, suivant lesquels Timamat serait passé au fils 
qu'Ali avait eu de la Hanéfite. Si Ton objectait à cette 
affirmation que Mohammed, fils de la Hanéfite, est bien 
antérieur à Tépoque des Karmathes et que les sectes ismaï- 
liennes, comme d'ailleurs toutes les sectes Shîites, atten- 
dent toutes un Mahdi, un imam futur, plutôt qu'elles 
n'en reconnaissent un dans le passé, il serait facile de 
répondre qu'au témoignage de Bar-Hébreus et d'Ibn-el- 
Athir, c'est justement en 270 de l'hégire, six ans seule- 
ment avant l'explosion de l'insurrection karmathe, que 
parut Féredj, fils d'Osman, le missionnaire du Mahdi 
Mohammed, fils de la Hanéfite. De plus, l'historien per- 
san Ala-ed-Din-Ala-Mélik-el-Djouvéini raconte, dans le 
Djihan-Kusha (i), qu'en l'année 258 de l'hégire, les Keïsanis 
qui se trouvaient au Maghreb saluèrent de leurs acclama- 
tions le Mahdi fatimite, fondateur de la célèbre dynastie 
des khalifes du Kaire. Ces trois renseignements concordent 
donc parfaitement. Il est vraisemblable qu'en efi*et, comme 
l'afli rme Be'ibars-el-Mansouri, une partie des Keïsanis se ral- 
lièrent au grand mouvement karmathe, comme au mouve- 
ment mahdiste, parce qu'ils y voyaient le moyen qu'ils 
avaient si longtemps cherché de renverser le Khalifat des 
Abbassides et de détruire l'orthodoxie sunnite. Il est pos- 
sible que plus d'un de ces Keïsanis n'adopta pas, au 
moins du premier coup, toutes les doctrines du Karma- 
thisme et que, dans ces Karmathes dont parle Beïbars-el- 
Mansouri, il faut comprendre non seulement les afiidés de 
Hamdan-Karmath, mais aussi tous les Shïites qui furent 
leurs alliée; cette évolution d'une partie des Shïites rentre 
les vraisemblances historiques. D'ailleurs, il est clair que 
certains Keïsanis, lassés par une attente de près d'un 
siècle et demi, et désespérant de voir apparaître Moham- 

d'Osman, l'homme du Savad de Koufa annonçait dès 370, suivant 
Ibn-el-Athir et Bar-Hébreas. 
(i) Ms. supp. Pers. 205. fol. 167 verso. 



— 65 — 

med, fils de la Hanéfite, oat dit se convertir aux opinions 
des Karmathes et des Mahdistes. Il ne s'agissait en défi* 
nitive pour eux que de changer de Mahdi, et nullement 
de renoncer à Tespoir de le voir paraître. Il est certain, 
d'ailleurs, que dans la secte karmathe comme dans toutes 
les sectes hétérodoxes de Tlslamisme, il y a eu des héré- 
sies internes provenant de syncrétismes étranges, opérés 
entre les dogmes de sectes voisines ou plutôt entre les 
dogmes de fractions de vieilles sectes qui adoptaient ceux 
d une secte nouvelle, sans vouloir et sans pouvoir renon- 
cer immédiatement et complètement à toutes leurs 
croyances et à tous leurs espoirs d'antan. 

En définitive, la secte des Karmathes ne fut qu'une 
division de la grande secte ismaïlienne caractérisée par 
cette croyance, qu'à côté du sens externe des versets du 
Koran ou de tout autre livre, il y a un sens interne, éso- 
térique et cabbalistique, que l'on ne peut arriver à saisi»» 
que grâce à une science particulière. 

Il en était de même des Khourrémis qui, au dire de 
Beïbars, suivaient les mômes règles qu'une des sectes des 
Mages sous le règne de Kobad et qui permettaient l'in- 
ceste et la communauté des femmes (i). On ne peut 
désigner plus clairement la secte fondée par l'imposteur 
Mazdek, celle que Khosrav-Anous hirvân persécuta dès son 
avènement au trône. Les Babékis, sectateurs de Babek-el- 
Khourrémi, rentraient également dans cette catégorie ; il 
y avait dans l'année une nuit oii toutes les femmes étaient 
réunies avec les hommes ; ils se jetaient sur elles et emme- 
naient chez eux celles dont ils parvenaient à s'emparer. 

(I) Beïbars el-Mansoari voit dans le nom de Khourrémis un 
dérivé du mot persan ^y^ khourrem «joyeux ». Il est plus vrai- 
semblable qu'il faut y voir un ethnique tiré du nom de la ville 
de - i Khourrem, qui est située à une faible distance d'Ardébil, 
et sur laquelle on pourra consulter le Dictionnaire géographique 
de la Perse, de M. Barbier de Meynard, page 206. 

i l^s.^3 ^JJJ) ^j»y^\ (j« Â^U^I jL^ftt yA «xU^U ^)l sUx4 «.^1 ^\ ^ y^ 



— 66 ^ 

Les Septénaires (el-Sabei}yèh)y croyaient que les sept pla- 
nètes régissent le monde inférieur. A part cette dernière 
secte qui semble plus spécialement se rattacher au Sabéïsme 
çt à la partie cabbalistique du Soufisme, sans d'ailleurs 
que cela l'empêche d'être dérivée du Mazdéisme, les 
autres sont toutes iraniennes, et il n'y faut point voir, 
comme semble le faire Beïbars-el-Mansouri, des subdivi- 
sions de la secte des Karmathes telle qu'elle fut fondée 
par Abd-AUah (i); deux d'entre elles au moins, celles 
des Khourrémis et des Babékis lui sont certainement de 
beaucoup antérieures ; elles se rattachent directement 
aux sectes hétérodoxes du Mazdéisme qui naquirent vers 
le IV® siècle ; on peut même dire que ce sont, sous des 
noms différents et à peine modifiées, les mêmes sectes que 
la politique de Khosrav-Anoushirvân n'avait pu anéantir 
entièrement. La secte Karmathe elle-même n'est que la 
continuation historique des sectes hétérodoxes du Maz- 
déisme au même titre que celles des Babékis et des Khour- 
rémis. 

(i) Zubdet-el'fikret fi taarik-eUhidjret, ms. ar. ibja, fol. 96 verso. 



IX 



Les commencements de la dynastie fatimite se ratta- 
chent directement à la révolution karmathe et à Tinsur- 
rection de Maïmoun-el-Kaddah ; aussi est-il indispensable 
d'exposer brièvement ces faits si l'on veut rendre claire 
l'origine de la dynastie du Mahdi Obeïd- Allah. 

« En Tannée 296, dit Rashid-ed-Din dans la Dj ami-eUtéça" 
rikh (i), Abd-Allah-ibn-Méïmoun-Kaddah qui était revêtu 
des habits du jeûne, de la prière et des œuvres pies (2), 
habitait dans le pays d'Asker-Mokrem, à l'endroit 
nommé Sabath-Abi-Nouh ; il était fort riche et avait de 
très nombreux partisans. Ses ennemis ayant commencé à 
le pourchasser, il s'enfuit à Bassora où il demeura dans le 
quartier des Béni-Okeïl ; de là, il se réfugia dans le Kou- 
histan et dans l'Ahvaz où il commença sa prédication ; il 
envoya ses lieutenants dans l'Irak, à Rey, Isfahan, Ha- 
madhan et Koum ; il donna ses instructions à Djaafer 
Makhzoum-Abou-Hatem-Ahmed-ibn-Hamdan-er-Razi (3) 
qui convertit un grand nombre d'individus à sa doctrine 
parmi les habitants du Deïlem ; Merdavidj, prince du 
Ghilan se rallia à lui; il donna également ses instructions 
àIbn-Souvadèh. Parmi les premiers missionnaires du Kho* 
rasan furent d'abord Khélef, et Abou-Abd-AUah-el-Kha- 
dim qui furent envoyés par les enfants de Meïmoun-el- 
Kaddah; après eux il y eut Abou-Saïd-el-Shaarani, et 

(i) Ces événements sont racontés par Rashiii ed-Din avec une 
exactitude et une clarté qu'on ne retrouve pas dans tous les 
ouvrages qui traitent de Thistoire, d'ailleurs si embrouillée, des 
Patimites, des Karmathes et des Ismaïliens, et surtout des rela- 
tions de ces différentes sectes entre elles. 

(3) Originaire de la ville de Rey, ou habitant dans cette ville 
depuis fort longtemps. 



— 68 — 

ensuite Aboul-Hasan-Ali-el-Mervroudi (i), qui vécut à 
l'époque de Nasr, fils d'Ahmed le Samanide, souverain 
du Khorasan, dont le Vizir était Mohammed-ibn-Mousa- 
el-Balkhi ; le prince et le vizir laissèrent la prédication se 
répandre dans le Khorasan, dans Tespérance de fortifier 
leur pouvoir et de donner de l'éclat à la dynastie Sama- 
mide (2). 

Un missionnaire fut ensuite envoyé dans le Seistan,il se 
nommait Ishak-Sindjari et portait le surnom de g^w>a>> ; 
il fut assassiné par ordre de Khélef-ibn-Ahmed-Sindjari. 
Un autre missionnaire fut envoyé dans le Khorasan, il 
se nommait Abou-Mohammed-el-Moueddeb. A cette épo- 
que, parut dans cette province un homme nommé Moham- 
med-ibn-Hasan, qui se fit passer pour inspiré du ciel et 
qui se rendit à Talékan et dans le Khorasan. 

A Alep et à Damas, parut également un homme qui 
disait être le Messie Jlit c-^r^Lo ; il se mit à prêcher les 
populations qui acceptèrent ce qu'il dirait. Il convei'tit 
ainsi une partie de la Syrie et délégua ses pouvoirs à Abd- 
el-Mélik-Kaukébi et à un nommé Ishak qui habitait la 
ville de Rey. Abd-el-Mélik s'installa à Girdèhkouh. Sur 
ces entrefaites, Hoseïn-ibn-Ali-Mervroudi mourut subite- 
ment et fut remplacé dans le Khorasan par Mohammed- 
ibn-Ahmed-Nakhshébi. Ce personnage se rendit dans la 
Transoxiane et demanda à l'émir du Khorasan, Nasr-ibn- 
Ahmed, le Samanide de se convertir. Le souverain répon- 
dit favorablement à ses avances. 

(i) Originaire de la ville de Merv er Roud. 

(2) Ce qui n'empêchait point les souverains de celte dynastie de 
se proclamer les vassaux du Khalifat abasside et de faire grand 
étalage du respect qu'ils ressentaient pour lui toutes les fois qu'ils 
le pouvaient. Gela seul suflirait à montrer combien la position 
des pontifes de Bagdad était précaire et ce fait prouve assez que 
ces dynasties sur lesquelles ils étayaient leur autorité étaient le 
roseau de la Bible qui était toujours prêt à leur percer la main. 
On peut lire dans le Siassei-Nàmèh du vizir Nizam-el-Moulk 
(trad. Ch. Schefer, chap. XL VIII, page 274)» comment les Bathé- 
niens faillirent s'emparer du Khorasan et comment les Samanides 
parvinrent à s'en débarrasser. 



- 69 - 

Le missionnaire prit une telle influence sur Fesprit de 
Témir Samanide que ce dernier ne put désormais se 
passer de ses conseils. Quand l'émir Nasr mourut, son 
fils lui succéda et fit mettre à mort tous les partisans et 
les amis de Mohammed-ibn-Ahmed-Nakhshébi(i). 

Abd-AUah-ibn-Meïmoun-Kaddah étant venu à perdre 
son père, se rendit en Syrie et se fixa à Salamiyya, à qua- 
tre fersengs de Homs. Il envoya des missionnaires de 
tous les côtés et mourut dans cette même localité. Il eut 
pour successeul* son fils Ahmed -ibn-Abd-AUah. Abou-1- 
Kasem-ibn-Djoushem (2) ibn-Zaran(ou Zadan) el-Toudjd- 
jarqui habitait Koufa et Mohammed-ibn-Fadl-el-Témimi 
se rendirent avec une foule considérable de gens en pèle-, 
rinage au mausolée d*Hoseïn, fils d'Ali. 

« Les Ismaïliens (3) envoyèrent deux individus dans le 

(i) Ceci rappelle tout à fait ce qui se passa en Perse à Tépoque 
sassauide quand le roi Kobad fut séduit par les doctrines anar- 
chistes de Mazdeket quand son iils Khosrav, à peine arrivé au trône, 
s'empressa de faire massacrer Timposteur avec tous ses parti- 
sans. 

(a) Il semble que le Djikân-Kousha, (ms. supp. persan 200, folio 
167 v«) donne à ce mot la forme Djoust ou Djousht *-^^y^, le ma- 
nuscrit ne portant pas de points diacritiques, il est impossible de 
dire quelle était la forme primitive. 

(3) Je tire cette partie historique d'un des chapitres de la 
Djami'eUtévarikh de Rashid-ed-Din. Ces événements y sont 
racontés avee une exactitude et une clarté que Ton n'est pas habi- 
tué à trouver dans les ouvrages qui traitent de l'histoire d'ail- 
leurs très compliquée des Fatimites, des Karmathes et des 
Ismaïliens et surtout des relations mutuelles de ces branches 
d'une même hétérodoxie. L'auteur du DJihân-Kusha donne une 
version différente de ces événements, je la reproduis ici suc- 
cinctement; bien qu'elle soit moins complète que le récit de Uashid 
ed-Din, il est bon d'en tenir compte (ms. supp. persan !k>5, folio 
i57 v'j. « Au milieu de l'insurrection karmatlie, un individu qui 
était Tun des missionnaires «oUâ des Ismaïliens et qui descen- 
dait d* Abd-AUah-ibn-Meïmoun-Kaddah vint à Koufa et dans 
l'Irak ; il était accompagné d'un enfant et dit : « Je suis le mis- 
sionnaire de l'Imam et la venue de llmam est proche! » Il envoya 
on homme appelé Ibn-el-Kasem, Uls de Djousht (?) dans le Yémen, 
pour s'y livrer à la prédication <XâS KL>y&^ Ij; il lui ordonna d'en- 



— 70 — 

Maghreb ; Tun d'eux s'appelait Halvani et l'autre Abou- 
Sofîan ; on leur dit : « Le Maghreb est un désert ; cultivez^ 
le et labourez-le pour que nous y allions faire les semailles 
et que nous en emportions la moisson ; » L'un se rendit dans 
le pays de Kétama, l'autre à Souk-el-Khames ; ils surent 
se concilier les gens de cette contrée et s'en faire des amis, 
puis ils leur prêchèrent leur doctrine. Tous les deux mou- 
rurent dans les contrées du Maghreb. A cette époque 
Abou- Abd- Allah-Hasan - ibn - Ahmed - ibn- Mohammed - el - 
Zakariya, connu sous le nom d'el-Shîi, se trouvait à Sanaa 
dans le Yémen, avec Abou'1-Kasem-ibn-Djoushem dont il 
était l'un des meilleurs officiers. Quand Abou-'l-Kasem 
apprit la mort de Halvani et d'Abou-Sofian, il dit à Abou- 
Abd-AUah-Shïi : « Halvani est allé dans le Maghreb, il y 

voyep des missionnaires de tous les côtés. Ce Belkasem se livra à 
une propagande effrénée et lit un grand nombre de prosélytes. Il 
envoya dans le Maghreb un individu nommé Bou-Abd-Allah-Soull 
Mohtésib, qui s'était converti à ses croyances, pour répandre sa 
doctrine dans ce pays. Les habitants du Maghreb s'étant conver- 
tis, il écrivit au petit-fiis de Meïmoun-el-Kaddah qui vint dans ce 
pays. Abou-Abd- Allah se rendit au devant de lui et lui dit : a Je 
gouverne le pays comme ton lieutenant, maintenant que tu es 
venuy c'est à toi de commander. » Le petit-iils de Meîmoun 
répondit : a J'ai dit anciennement que j'étais le missionnaire de 
l'Imam, parce que les temps messianiques n'étaient pas encore 
venus, mais aujourd'hui qu'ils sont arrivés, je proclame que c'est 
moi qui suis l'Imam, car je descends de Djaafer-el-Sadik. » C'est 
alors qu'il prit le nom d'Abd-Allah>ibn-el-Mehdl et qu'il appela 
son fils el-Kaïm-b i-amr- Allah-Mohammed . Il régna comme kha- 
life et les Maghrébins le reconnurent comme tel ainsi que les Keï- 
sànis, partisans de l'imamat de Mohammed, iils de la Hanéflte. 
Cela se passait en l'année 268. » 

Ala-ed-Din-Ata-Mélik dit que lorsque ce prince se vit au faîte 
des honneurs, son ardeur se ralentit et que le missionnaire Bou- 
Abd-AUah-Soufi eut des doutes sur son compte. Cette phrase 
n'est point claire et l'on ne sait pas si l'auteur persan veut dire 
que Soufi douta de la légitimité de sa mission ou plus simple- 
ment s'il se demandait si le p6tit-fils de Meîmoun était bien 
l'homme qu'il fallait pour la remplir. Quant au frère de Bou-Abd- 
Allah, qui se nommait Yousouf, il songea à lever l'étendard de 
la révolte. Le Mahdi craignant pour son autorité, lit massacrer 
Bou-Abd-Allah-Soufi et son frère Yousouf. 



— Jt — 

a défriché la terre de Kétama ; Aboa-Sofiau Va ensemencée, 
et voilà que tous les deux sont morts. Gomme cette terre 
a été mise en valeur, j'ai décidé que tu t'y rendrais avec 
des gens pour y faire la récolte. » Abou-Abd-Allah s'inclina 
respectueusement devant l'ordre de son chef et partit du 
Yémen ; il se rendit à la Mecque et de là il se mit en che- 
min pour gagner Kétama. » 

Cet Abou-Abd-Allah était un homme très intelligent et 
très adroit et de plus, il était versé dans la connaissance des 
sciences ou plutôt des prétendues sciences divinatoires, ce 
qui est très utile avec les Musulmans, surtout avec ceux 
du Maghreb. Il connaissait également les différentes reli- 
gions et savait parler les dialectes de l'Afrique occidentale 
ainsi que la langue des Berbers, de telle sorte qu'il était 
parfaitement au courant de l'état politique et religieux de 
l'Afrique du Nord. 

L'auteur du Destour-el-monadj djimin (i) dit que Abou- 
Abd-Allah entra dans l'Ifrikiyya en l'année 296 de l'hégire, 
cent trente-cinq années après que les premiers pionniers 
de l'Ismaîlisme y furent allés porter les doctrines de la 
secte ; le succès lui était d'ailleurs prédit, car on lui avait 
dit : « En l'année 96, il t'arrivera une chose merveilleuse. » 

4fA3[5^l v^Lû'l) ^^^juumjJI^ icL^JI^. Il annonça aux Berbers qu'un 
Mahdi allait paraître parmi eux et, suivant l'expression 
de Rashid-ed-Din^ ses discours affables et bienveillants lui 
donnèrent un grand ascendant sur ces populations à 
l'esprit simpliste. Le prince aghlébite de l'Ifrikiyya, 
Ibrahim, fils d'Ahmed, fils d'el-Aghleb, ayant appris ces 
faits, envoya demander au gouverneur delà ville de Milèh 
quel était cet homme dont la réputation s'était si vite 
répandue dans l'Afrique du Nord. Le gouverneur répondit 
à son maître que c'était un derviche qui se livrait à la pré- 
dication religieuse ; il faut croire qu'il ne paraissait pas 
bien dangereux, car le prince ne prit aucune mesure 
d'expulsion contre lui. Quand Abd-Allah se vit en sûreté 

(i) Texte publié par M. de Goeje, Mémoires sur les Carmathes 
du JBahrain et sur les Fatimides, page 3o3« 



- 7^ — 

de ce côté, il dit : <x Maintenant qu*Abou-Sofian et Halvani 
ont labouré, moi je vais semer. » Les Berbers de Kétama 
étaient divisés en deux troupes, dont Tune était hostile à 
Abd- Allah et cherchait à le tuer, mais le missionnaire sut 
échapper à toutes les embûches et, comme le dit Rashid- 
ed-Din, il échappa à leurs yeux, comme les fées se déro- 
bent aux yeux des démons. Cette persécution n'entrava 
point son apostolat et il prodigua l'argent, de telle 
sorte qu'il se fit en peu de temps un grand nombre 
d'adhérents. Quand il se vit à la tête d'une armée suffi- 
sante, il marcha sur Milèh dont le gouverneur Tavait jugé 
quelque temps auparavant comme un être à peu près inof- 
fensif, dans l'intention de s'en emparer; le prince aghlé- 
bite envoya immédiatement un corps de troupes pour le 
repousser. Abd-AUah dit alors aux Berbers : « Voici le 
moment où va venir le Mahdi, car il est dit que lorsque 
cette guerre sera terminée, il apparaîtra! » Quand les 
missionnaires de la secte qui étaient restés en Orient 
apprirent ces événements, ils dirent à Abd-AUah, fils 
d'ismaïl, qu'il devait se rendre à Kétama dans le Maghreb 
pour porter secours à Abd-AUah-el-Meshréki (i) qui allait 
avoir à lutter contre les forces de tous les souverains de 
l'Afrique du Nord. Les Shïites se préparèrent à passer 
dans ce pays, aussi le khalife abbasside el-Moktafi^-biUah 
ordonna au gouverneur du Kaire, Isa-el-Bousiri, de se 
saisir de tous les Shïites qu il trouverait dans cette ville. 
Le gouverneur s'empressa de mettre des espions partout 
pour obéir à l'ordre de son souverain ; or, parmi les poli- 

(i) Les divers historiens musulmans donnent à ce personnage 
tous les surnoms possibles, de telle sorte qu'il est souvent fort dif- 
cile de retrouver le • fil de leur récit. Abd-Allah-Meshréki, Abd- 
Allah-Shii, Abd-AUah-Soû, Abou-Abd-Allah-Sofi, Meshréki, Shïi 
sont un seul et même personnage auquel les chroniqueurs ont 
donné, des surnoms diilérents qui se rapportent à diverses circons- 
tances de sa vie religieuse ; l'un d'entre eux montre que cet Abd- 
Allah appartenait* en même temps qu'à l^mallisme, à la célèbre 
secte mystique des Soutis ; c'est là im fait d'une extrême impor- 
tance, moins pour l'étude de Tlsmaïlisme que pour celle du Sou- 
fisme, et j'aurai Toccasioud'y revenir bientôt dans un autre tcavail 



- 73 - 

ciers dlsa-el-Bousiri, il y avait un individu qui était affilié 
à une secte shïite ; il s'empressa de prévenir ses coreligion- 
naires des mesures qui allaient être prises contre eux et il 
leur conseilla de quitter sur le champ le Kaire et l'Egypte. 
Ils s'empressèrent de le faire et emportèrent avec eux leur 
argent. 

Suivant une autre version, rapportée également par 
Rashid-ed-Din, Isa-el-Bousiri ne fut pas absolument 
étranger à l'avis qui fut donné aux Shïites d'Egypte. Quoi 
qu'il en soit, le personnage qui devait être le Mahdi 
Obeïd- Allah, se rendit avec plusieurs marchands à Alexan- 
drie et il alla trouver le chef des Deilémites, Ali, fils de 
Wohoudan, qui était un descendant du Prophète et qui 
s'était retiré dans cette ville pour échapper à ses ennemis. 
Il lui dit qu'il était venu chercher un asile auprès de lui ; 
Ali, fils de Wohoudan, l'envoya, habillé en marchand, à 
Tripoli de Barbarie pendant que le khalife abbasside 
el-Motaded qui avait succédé à el-Motamed écrivait 
une lettre au prince de Sédjelmasa pour l'avertir de ce qui 
venait de se passer ; heureusement pour les Shïites, ce 
prince, soit qu'il ne crut point à l'imminence du danger, 
soit par négligence, ne tint aucun compte de l'avis du kha- 
life abbasside. Au même moment, Abou-Abd- Allah, le 
missionnaire, demeurait parmi les Berbers qu'il conver- 
tissait à ses croyances ; Obeïd-Allah lui envoya son frère 
Aboul'-l-Abbas à Kétama pour l'aider dans le comman- 
dement de l'armée berbère à la tête de laquelle il se trou- 
vait. 

Ils s'emparèrent de la capitale de l'Ifrikiyya ainsi que 
d'un butin immense; Zyadet- Allah,, fils d'el-Aghleb-el- 
Ifriki (i) dut évacuer la célèbre ville de Kaïrawan et les 
troupes d'Abou-Abd-AUah-Meshréki eurent bientôt fait de 
s'en emparer; au mois de Rédjeb de Tannée 296, Kétama 
avec tout le Maghreb recoûnaissait son autorité. Quand 

(i) Les souverains Aghlabites reconnaissaient la suzeraineté des 
khalifes abbasides de Bagdad. (Djiliàn-Kiisha, ms. supp. Persan 
ao5, folio i58 recto.) 



- 74 - 

le missionnaire ismaïlien put se rendre maître de Sedjel- 
masa, le Mahdi venait d'atteindre sa trente-septième année. 
Il ne tarda pas à tout diriger par lui-même et à ne laisser à 
Abou-Abd-Allah-el-Meshréki et à son frère Abou'-l-Abbas 
qu'tine autorité très secondaire ; cette mesure blessa profon- 
dément ces deux hommes sans lesquels la cause des Shîites 
n'aurait évidemment pas fait grand progrès dans le 
Maghreb, mais elle n'empêcha point les gens d'accourir 
en foule auprès du Mahdi Obeïd- Allah, ce qui était en 
définitive tout ce qu'il demandait. 

Là encore, ceux qui avaient été les artisans de la pre- 
mière heure et qui avaient sacrifié sans hésitation toute 
leur vie à un apostolat des plus rudes, au milieu des pires 
dangers, ne trouvèrent que l'ingratitude la plus révol- 
tante comme prix de leurs efforts. 

Un jour, le Mahdi, oubliant tout ce que les Shîites et 
lui-même devaient à Abd-Allah, demanda au peuple : 
« Ne suis-je point votre imam ? — Certainement si, lui 
répondit-on. — Vous m'avez juré fidélité et obéissance 
absolue ? » Les Berbers lui dirent que oui. « Eh bien, leur 
commanda-t-il, tuez ce vieillard Abou- Abd-Allah ! (i) 
— Je ne mérite point que tu rendes une pareille sen- 
tence contre moi, s'écria le vieux missionnaire. — Et moi, 
répliqua le Mahdi Obeïd-AUah, je ne pourrai jamais 
mener mes affaires à bon port et jusqu'au bout tant que 
tu vivras ! » Les Berbers, dit Rashid-ed-Din, se précipi- 
tèrent sur le malheureux comme des loups affamés et le 
massacrèrent. 

Il est certain qu'Abou-Abd-Allah avait fait, dans les 
derniers temps, une opposition très vive au Mahdi et que 
ce dernier n'était pas homme à le lui pardonner; il n'y 
faut point voir, à mon avis, la preuve qu'Abou-Abd-Allah 
considérait Obeïd-AUah comme un faux descendant d'Ali, 
mais uniquement le dépit d'un homme qui sentait son 
œuvre lui échapper et qui voyait qu'un autre n'avait qu'à 
étendre la main pour recueillir les fruits de tous ses efforts. 

(i) Cette phrase est en arabe dans le texte de*Rashid-ed-Din. 



- ^5- - 

En tout cas le crime est inexcusable, même si ce fut lui 
qui permit aux Shïites de s'emparer de la vallée du Nil et 
d'y fonder un puissant empire. 

D'après les historiens musulmans, la venue du Mahdi 
Obeïd-AUah avait été formellement prédite aux premiers 
jours de l'Islam par le Prophète qui avait dit : « A l'aube 
de la trois-centième année, le soleil se lèvera à son occi- 

dent. » l^yu ^ fj,^\ ^Xk) ioUUUJI ^!; Jl^ (i)- 
Us déclarent que cette étrange prédiction ne peut être 
interprétée autrement ; j'ignore sur quels faits ils s'appuient 
pour être aussi affirmatifs, le calcul du djomâl, appliqué 
à ^jM^I et aux différents noms du Mahdi ne m'a donné 
en effet aucun résultat. 

Les historiens partisans de la légitimité de la dynastie 

(i) Celte même année, dit Tauteur du Destour-el'inonadjdjimin 
<texte publié par M. de Goeje, dans son Mémoire sur les Carma- 
theSf p. 202], trois nuits du mois de Dhou'lkaada étant passées, 
Ibrahim, iils d'Ahmed, TAghlcbite, mourut après être sorti de 
lllrikiyya; avant sa mort et pendant cinq jours les étoiles tom- 
bèrent du ciel; sur ces entrefaites, le Précurseur ^^^lâ «ç^^^U» mourut 
et transféra l'imamat à el-Mahdi ; c'est ainsi que se trouva vérifiée 
cette parole : c A l'aube de la trois centième année, le soleil se 
lèvera à son occident. » Saadi dans son Gulistan s'est servi d'une 
façon bien ingénieuse de cette tradition dans l'histoire légère- 
ment scabreuse du kadi d'Hamadhan à qui il fait dire : « La porte 
du repentir ne sera pas fermée pour les serviteurs d'Allah jusqu'au 
moment où le soleil se lèvera à son occident. » {GalistaUf chapitre V, 
histoire ao.) 

Le mot shems, soleil étant en arabe du féminin, c'est a ce mot que 
se rapporte le suflixe pronominal féminin ha de maghréhihâ; 
l'expression « l'occident du soleil » s'emploie dans la bonne lit- 
térature pour dire le couchant. Je donnerai comme exemple 
ce vers cité par Yakout el-Hamavi dans son traité de géographie 
intitulé Modjem el-bouldan : 

« Et nous avons donné le pays de Roum et la Syrie jusqu'au soleil 
couchant au superbe Selm. » (Tome 1, page 4i8.) 



- 76 - 

fatimite rapportent plusieurs aventures miraculeuses qui 
seraient arrivées au Mahdi Obeïd- Allah au cours de sa 
mission et qu*il serait trop long de mentionner ici; la 
plus étrange est la suivante : durant la campagne qui 
se termina par la prise de Misr, et très peu de temps 
avant cette date, le Mahdi était assis un matin dans sa tente 
quand un chien s'approcha de lui et le regarda bien en 
face; il ordonna à ses émirs de faire entourer cet animal 
de soldats et de l'exciter de telle façon qu'il passât le Nil 
à la nage ; il leur recommanda en même temps de le suivre. 
Ils exécutèrent ses ordres ; le chien se précipita dans le 
fleuve, les soldats s'y jetèrent sans hésiter après lui et 
quand les habitants de Misr virent les troupes du Mahdi 
si près d'eux, ils leur livrèrent la place sans songer à 
résister plus longtemps. 



X 



Les historiens orientaux sont loin de s'accorder sur la 
généalogie du Mahdi fatimite, et plusieurs d'entre eux 
pensent qu'en réalité Obeïd- Allah ne se rattache nullement 
à l'auguste famille du Prophète, mais qu'il n'était qu'un 
aventurier, fils d'un de ces Shïites de Perse qui avaient 
entrepris de détruire l'Islam, ou plutôt d'en faire un régime 
communiste et anarchiste. Cette question n'a d'ailleurs 
qu'une importance très secondaire; en effet, les Shiites, 
comme les Soufis, ont toujours eu une conception extrême- 
ment élevée du droit divin, à laquelle les dynasties euro- 
péennes n ont jamais atteint : la parenté matérielle, tem- 
porelle, s'il est permis de s'exprimer ainsi, était à leurs 
yeux, et à juste titre, bien inférieure à la parenté spiri- 
tuelle, qui seule peut conserver la longue tradition politi- 
que et religieuse d'un parti ; la parenté matérielle n'est 
en réalité qu'un accident, tandis que la seconde est 
le résultat de la volonté. Il n'y a pas à douter qu'il y ait 
eu dans les ordres de Derviches, tels que les Nakhshibendis 
oulesMaulévis, une continuité de traditions que l'on cher- 
cherait vainement dans n'importe quelle famille souve- 
raine d'Occident. Aussi, quand Obeïd- Allah déclarait qu'il 
était le descendant spirituel de lïmam, il ne faisait qu'ex- 
primer une idée courante dans les sectes shïites, et très 
raisonnable pour leurs adeptes ; seuls les historiens sun- 
nites ne l'ont pas comprise ety ont vuun accaparement de 
parenté qui n'a jamais existé dans la pensée du Mahdi, s'il 
n'était pas réellement, comme il l'affirmait, le descendant 
authentique d'Ali. Cette opinion est d'ailleurs compré- 
hensible chez des sectaires anti-alides ; elle l'est moins 
chez les historiens occidentaux, peu au courant de 
ces questions, et qui méprisent profondément le Sou- 
fisme, sans se douter qu'il est presque tout l'Islamisme. 



- 78 - 

Ils ont adopté toutes faites les rancunes et les parti-pris 
des Sunnites sans se demander s'ils ne s'étaient pas laissés 
entraîner au-delà de la vérité, et même de la vraisem- 
blance, par leur rage contre les Alides. 

Quoi qu'il en soit, voici la généalogie officielle duMahdi 
Obeïd- Allah, celle qu'il reconnaissait comme la seule véri- 
table : Obeïd- Allah, fils d'Hasan, fils d'Ali, fils de Moham- 
med, fils d'Ali, fils de Timam Mousa, fils de l'imam Djaa- 
fer, fils de l'Imam Mohammed, fils de l'Imam Ali, fils de 
rimam Hasan, fils de l'imam Ali, fils d'Abou-Taleb (i). 

Cette généalogie rencontrait plus d'un incrédule, même 
en Egypte, àTépoque de la toute-puissance de la dynastie 
fondée par le Mahdi ; on y racontait volontiers que lors- 
que Moêzz, le quatrième khalife fatimite, était entré au 
Kaire, le chef des Alides s'était rendu au-devant de lui et 
l'avait prié de lui donner des preuves de sa noblesse (2). 
Le Fatimite lui aurait alors montré son sabre en lui jetant 
une bourse, et lui aurait dit : « Voici ma généalogie et 
voilà ma noblesse. » 

Cette histoire est parfaitement invraisemblable et, jus- 
qu'à preuve du contraire, il est permis de croire que si 
Moëzz-li-din-IIlahavait eu de pareils doutes sur sa noblesse, 
ce dont nous ne savons rien, il se serait empressé de n'en 
point faire part au chef des Alides du Kaire. Dans son mé- 
moire sur les Karmathes du Bahrem,M. de Goëje, repre- 
nant une théorie qui avait été émise en i836 par Quatre- 
mère dans le Journal Asiatique, rejette ccHume une 
fable inventée à plaisir la généalogie qui fait du Mahdi 
Obeïd- Allah un descendant du fils d'Abou-Taleb. Suivant 

(i) De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, Introd, p. 
CCCGXXXIX. 

(a) La noblesse, chez les Musulmans, consiste uniquement dans 
le titre de descendant du Prophète, c'est-à-dire, en d'autres termes, 
qu'il n'y a que les Alides qui soient nobles, et c'est pour cette 
raison qu'ils ont toujours réclamé la souveraineté. Ni les Omey- 
yades, ni les Abbasides, n'étaient nobles, au sens musulman, ils 
détenaient le pouvoir et régnaient sur llslam, mais sans y avoir 
aucun droit. 



— 79 — 

lui, la fausseté des prétentions des Fatimites n'était en 
Orient un sujet de doute pour personne. Telle n'était point 
cependant l'opinion des trois meilleurs historiens musul- 
mans sunnites, et certainement les plus consciencieux : 
Aboulféda, Taki-ed-Din-Ahmed-el-Makrizi (i) et Ibn-Khal- 
doun. Gomme le dit fort bien le second de ces auteurs, que 
Renan appelait à juste titre l'un des esprits les plus judi- 
cieux de l'Islamisme, les descendants authentiques d'Ali 
étaient très nombreux dans toute l'Egypte et dans les deux 
Maghreb; les Shïites avaient pour eux un respect qui 
tenait du fétichisme; comment dans ces conditions, 
' auraient-ils reconnu comme Imam un homme qui n'aurait 
point réellement été lui-même un Alide ? Il ne faut pas 
croire qu'il fut très difficile, au commencement du iv® siè- 
cle de l'hégire, de faire la preuve d'une généalogie alide; 
plus tard, à l'époque des Idrisites et des Sultans Shérifs 
du Maroc, ce fut une tout autre question, parce qu'évi- 
demment les généalogies s'étaient embrouillées et que 
des interpolations avaient pu s'y glisser. Ibn-Khaldoun, 
qui fut également l'un des esprits les plus distingués de 
l'Islamisme, l'un des très rares Musulmans qui aient vu 
dans l'histoire autre chose qu'une sèche énumération d'évé- 
nements et de dates, et qui en aient fait une étude philoso- 
phique, est aussi d'avis que les Fatimites descendent très 
réellement d'Ali (2); ces deux témoignages, d'ailleurs très 
désintéressés puisque les deux auteurs qui les émettent 
étaient sunnites, et même très sunnites, surtout Ibn-Khal- 
doun, ont beaucoup plus d'importance que M. de Goëje 
n'est porté à leur en attribuer. 

La plupart des généalogistes partisans de la légitimité 
alide des Fatimites et, à mon sens, les seuls qui soient dans 
la vérité historique, font descendre le Mahdi Obeïd- Allah 
d'un fils de Mohammed, fils d'Isma'il, fils de l'imam 

(i) De Sacy, Chrestomatie Arabe, tome II, première partie, 
pages 88 et suivantes. 

(a) Prolégomènes ^ trad. de Slane> Notices et Extraits, t. XIX» 
p. 40. 



— 8o — 

Djaafer-el-Sadik, nommé Abd-AUah. M. de Goêje refuse 
d'admettre cette généalogie parce que chez plusieurs 
auteurs, Abd-AUah ne parait pas dans la liste des Ois de 
Mohammsd-ibn-Ismaïl ; c'est ainsi que le célèbre historien 
arabe Mohammed-ibn-Djérir-el-Tabari est d'avis que 
Mohammed-ibn-Ismaïl n'a jamais eu de fils nommé Abd- 
Allah. 

Comme on l'a vu un peu plus haut, l'auteur du Destour- 
eUmonadjdjimîn ne dit pas lequel des six (ils de Moham- 
med-ibn-Ismaïl, Djaafer, Ismaîl, Ahmed (r), Hoseïn, Ali 
et Abd-er-Rahman, il regarde comme l'imam légitime. 

Je suis assez porté à croire que cet Abd-AUah, ancêtre 
du Mahdi, est le même personnage que l'Abd-er-Rahman 
du Destour'el'monad/djlinîn, fils de Mohammed-ibn- 
Ismaïl, et que l'autre Abd-er-Rahman dont il parle, sans 
que l'on sache au juste où l'intercaler dans la descendance 
de Mohammed-ibn-Ismaïl (2). 

L'auteur du DJihan-Kusha(3)j Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el- 
Djouveïni, qui me paraît plus clair que le Destour-el- 
monadjdjimîn et que toutes les autres chroniques, dit que 
d'après les Ismaïliens, il y eut trois imams cachés qui 
se nommaient Mohammed, Ibn- Ahmed, Ibn-Léis, et qui 
étaient surnommés Radi, Raki et Taki ; de plus, le Mahdi 

(i) Ahmed, le cinquième des imams cachés, occupait ilmamat 
vers Tannée 278 de l'hégire ; de Sacy, Exposé de la Religion des 
Druzes, Introd.y p. LXVIi. 

(2) Il y a en effet des exemples de cas où, dans un nom com- 
posé de Abd « esclave de » et d*un des 99 adjectifs qui dési- 
gnent les atlributs d'Allah dans le tesbih, Rahman, Kérim, etc., 
•cet adjectif est remplacé par le mot Allah qui à lui seul, au point 
de vue théologique, a la valeur totale de toutes ces épithètes; 
autrement dit Abdel-Rahman, Abd-el-Kérim, Abd-el-Ghaffour, 
peuvent devenir simplement Abd-Allah. Je ne dis pas qu'il y a 
beaucoup d'exemples de ce fait, mais il y en a. Je citerai le sui- 
vant : rhistorien d*Alep, Kémal el-Din ibn el-Adim, (ms. ar. 1666, 
folio 171 v«), nomme el-Mokaddem Abd-Allah, un émir syrien 
auquel Ibn el-Athir (Historiens orientaux des Croisades) donne le 
nom d'el-Mokaddem Abd el-Mélik, ce qui prouve suflisamment 
l^xistence de ce procédé. 

(3) Man. Supp. Persan 2o5, folio i58 t«. 



— 8i -• 

Obeîd- Allah était le fîls de rimam Taki; dans ces condi^ 
tions, il est bien évident, malgré le silence d'ailleurs 
inexplicable du Destoar-eUmonadjdjimîn, que les Ismaï- 
liens considéraient l'Imamat comme s'étant transmis 
directement de Djaafer-el-Sadik à Ismaîl, puis à son fils • 
Mohammed, puis aux trois imams cachés, et enfin au 
Mahdi Obeïd-Allah" 

Cette généalogie se trouve énoncée d'une façon beau- 
coup plus claire dans le Mokaffa de Taki-ed-Din Ahmed 
el-Makrizi et dans un passage d'un historien qu'lbn-Khal- 
likan cite sans le nommer, et dont l'opinion est également 
rapportée par Aboul-Mahasen dans le Nodjoum ; d'après 
cette généalogie, le Mahdi Obeïd-Allah est fils de l'imam 
Taki, petit-fils de l'imam Wafi, et arrière-petit-fîls de 
rimam Radi ; ces trois imams cachés étant nommés el- 
mestourin fi zat Allah, « ceux qui sont cachés dans l'es- 
sence d'Allah », et l'imam Radi étant le même personnage 
qu'Abd- Allah, fils de Mohammed, fils d'Ismaïl, fils de 
Djaater-el-Sadik. Makrizi donne à l'imam Taki le nom 
d'Hosein, et à l'imam Wafi celui d'Ahmed. 

Un auteur nommé le sheïkh Abou-'l-Nasr-el-Bokhari dit 
bien que la généalogie des khalifes fatimites n'est point 
fixe (i); cela ne signifie nullement qu'ils ne descendent 
point de Fatima, mais simplement, comme le dit Ibn- 
Khallikan, qu'on ne s'accorde point sur quelques-uns des 
personnages intermédiaires entre Fatima et le Mahdi 
Obeïd-Allah. L'auteur de cet ouvrage, qui est un Shïite 
convaincu, dit en effet, et formellement (2), qu'Obeïd- Allah 
se nommait Abou-Mohammed-ibn-Mohammed-el-Hébib- 

(i) Ms. ap. 2021, fol. 143 V». 

(2) Ms. ar. 2021, fol. i34 p*. D'autres généalogies rapportées par 
Rashid ed-Din dans la Djami el-tévarikht le font descendre 'de 
Djaafer el-Sélami, 111s de Mohammed, ûls dlsmaîl, fils de Djaafer 
el-Sadik ; d'après une autre, plus curieuse encore, il serait le des- 
cendant de Mohammed-el-Hébib, fils d'Abd-Allah, fils de Meîmoun- 
Mohammed, fils d'Ismaïl, fils de Djaafer el-Sadik. On voit que 
cette dernière généalogie combine la généalogie réelle des Alides 
et celle de Ma'imoun el-Kaddah, le fondateur de la secte des Karma- 



— Sa — ^ 

ibn-Djaafer-ibn-Mohammed-ibn-lsmaïl, et d'autres généa- 
logistes en font le fils de Djaafer, fils d'Hoseîn, fils d'Ha- 
san, fils de Mohammed, fils de-Djaafar-el-Sha'ïr, fils de 
Mohammed, fils d'Ismaïl. La première de ces deux généa* 
logies est celle qu'adopte le célèbre historien berber 
Ibn-Khaldoun. ^ 

L'auteur de V Histoire de la ville de Kaïrawan, cité par 
Aboul-Mahasen dans son Histoire d'Égjypte, admet une 
généalogie suivant laquelle le Mahdi Obeïd- Allah est fils 
d'Hoseïn, fils d'Ali, fils de Mohammed, fils d'Ali er-Razi, 
fils de Mousa el-Kazem, Timam, qui dans le Shïisme 
orthodoxe, succéda légalement à son père Djaafer-el- 
Sadik après qu'Ismaïl eût été déshérité. Cette généalogie 
est celle d'un groupe de partisans des Fatimites non 
Ismaïliens. 

On voit qu'en définitive les auteurs orientaux les plus 
sérieux, généalogistes de métier ou historiens, s'accor- 
dent pour faire du Mahdi Obeïd-AUah le descendant 
du fils de l'imam Djaafer-el-Sadik ; cela a une impor- 
tance tout autre que les quelques divergences qui existent 
entre la partie de cette généalogie qui s'étend depuis 
Djaafer-el-Sadik jusqu'au Mahdi ; car il faut bien remar- 
quer que la plupart de ces personnages intermédiaires 
sont parfaitement inconnus et qu'en tout cas, ils n'eurent 
qu'une importance des plus secondaires ; ce fait sufiit à 
expliquer la divergence des généalogistes sur ce point. 

Nous allons examiner maintenant la généalogie du 
Mahdi Obeîd- Allah qui est donnée par les ennemis des 
khalifes fatimites, et qui a fort bien pu être forgée par 
eux de toutes pièces ; il est certain que les khalifes abbas- 
sides en particulier n'ont pas dû hésiter à user de ce 
procédé pour disqualifier leurs concurrents, et à en abu- 
ser, même en ayant en main toutes les preuves de l'au- 
thenticité de la descendance alide du Mahdi Obeïd- Allah. 

thés, de façon à contenter à la fois les partisans et les adversaires 
de l'origine fatimite du Mahdi Obeid-AUah. On va voir en effet 
que les antifatimites prétendaient que le Mahdi n'était que te 
descendant du célèbre chef Karmathe. 



— SS- 
II ne faut pas, comme nousledisions plus haut, regarder 
comme une preuve absolue de la non-légitimité des pré- 
tentions d'Obeïd- Allah, le Mahdi, ce fait que le mission* 
naire Abd-AUah-el-Meshréki lui lit une violente opposi- 
tion quand il fut arrivé dans le Maghreb ; c'était unique- 
ment par qu'il sentait que son rôle était fini et qu'il en 
ressentait un dépit très naturel. En tout cas, Abd-Allah-el- 
Meshréki aurait été à peu près le seul de son avis, puisque 
les Berbers n'hésitèrent pas à obéir au Mahdi quand il 
leur ordonna d'assassiner l'infortuné missionnaire. 

L'historien arabe Tabari, qui était un sunnite farouche, 
rapporte qu'Obeïd- Allah ne descendait nullement d'Ali, 
mais du célèbre Meïmoun-el-Kaddah, et qu'il était fils de 
Mohammed, fils d'Abd-er-Rahman-el-Basri, originaire de 
la ville persane d'Asker-Mokrem, qui aurait habité pen- 
dant plusieurs années à Bassora, d'où son nom d'el- 
Basri (i). D'après le DJihan-Kusha d'Ala-ed-Din-Ata-Mé- 
lik, certains Musulmans du Maghreb disaient que le Mahdi 
était un descendant d'Abd- Allah -ibn- Salem -el-Basri, 
l'un des missionnaires ou dais de la secte Ismaïlienne (2). 
Les généalogistes sunnites ont tout fait pour rattacher 
Obeïd-Allah à Meïmoun-el-Kaddah, mais il faut reconnaî- 
tre qu'il ont été encore plus embarrassés pour le faire 
que les historiens shïites ne le sont, ou plutôt ne paraissent 
l'être, pour le rattacher à Ali, fils d'Abou-Taleb. Les gé- 
néalogies qu'ils ont dressées sont tout aussi flottantes et 
dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi, sans parti 
pris, on leur accorderait plus de créance qu'aux seconds qui 
ont au moins l'avantage de dire des choses vraisembla- 
bles et quelquefois raisonnables. Autrement dit, Tabari (3) 
donne au Mahdi la généalogie suivante : 

(i) De Goëje, Mémoires sur les Carmathes du Bahraïn, p. la. 

(2) Ms. Supp. Persan 2o5, fol. i58 r'. 

(3) Ala-ed-Din-Ata-Mélik dit dans le Djihan-Kusha qne ce sont 
les Musulmans de Bagdad et de llrak qui prétendaient qu'Obeïd- 
Allah était le descendant du célèbre révolutionnaire Karmathe ; 
par Musulmans de Badgad et de l'Irak, il est bien clair qu'il faut 
entendre les sujets sunnites des Abbasides> ennemis jurés des 
Fatimites. 



- 84 - 
Meîmoon-el-Kaddah 

Abd-eivRahman-el-Basri (i) 

I 

Mohammed 

Obeïd-AUah 

Le Kitab-el'Fihrist (2) indique la généalogie suivante 
qui est toute différente : 

Meîmoun-el-Kaddah 

I 
Abd-AUah 

\ 

Mohammed Ahmed Hoseîn 

I 
Obeïd-AUah-el-Mahdi 

D après l'auteur de ce traité, Mohammed et Ahmed 
auraient tous les deux succédé à leur père. 

L'historien égyptien Nowaïri (3) donne une troisième 
généalogie qui est encore différente et que voici : 

Meîmoun-el-Kaddah 

I 

Abd-Allah 

I 

Ahmed 

! . 

I ^ I 

Mohammed- Abou-Shalaglagh Hoseîn 

Obeïd-AUah-el-Mahdi 

Cette généalogie du Mahdi Obeîd- Allah, qui est celle 
à laquelle Rashid-ed-Din se rallie dans la Djami-el'teQa' 

(i) Si cette généalogie est exacte, ce dont personne ne saurait 
fournir de preuves, on voit que les Shïites ont essayé de faire 
entrer Abd-er-Rahman-el-Basri dans la généalogie alide, en fai- 
sant de ce personnage le lils de Mohammed-ibn-Ismail, fils de 
rimam Djaafer-el-Sadik. 

(a) De Goêje, Mémoire sur l£s Carmathes du Bahraïn et les 
JfatimideSy pages 19, ao et ai. 

(3 De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, Introd,, p. 
CCCCXXXVIU. 



— 85 — 

rikh diffère de celle du Kitab-eUFihrist par ce fait que 
Mohammed et Hoseïn sont les fils d'Ahmed au lieu d'être 
ses frères ; Hoseïn succéda à Ahmed comme chef de la 
secte des Karmathes et Mohammed-Abou-Shalaghlagh 
devint le tuteur de son neveu Obeïd- Allah IcMahdi ; sur 
ce point encore, comme sur les précédents, ni les généalo- 
gistes, ni les historiens antifatimites ne parviennent à 
s'entendre : les uns donnent comme tuteurs du Mahdi, 
Ahmed, fils d'Abd-AUah, fils de Meïmoun, son oncle 
d'après le Kitab-el-Fihrist, son grand-oncle d'après 
Nowaïri ; il est probable que cette opinion était celle 
des personnes qui admettaient que Mohammed, i^hmed 
et Hoseïn étaient les trois frères ou l'hypostase d'un 
même personnage ; d'autres prétendaient qu'Obeïd-Allah- 
el-Mahdi eut comme tuteur un personnage nommé 
Ahmed, fils de Mohammed, fils d'Abd-AUah-el-Meïmoun, 
autrement dit ils admettaient une généalogie ainsi éta- 
blie : 

Meîmoun-el-Kaddah 

I 

Abd-Allah 

! 

Mohammed-Abou-Shalaghlagh Hoseïn 

Ahmed Obeïd-Allan-el-Mahdi 

Cette généalogie consiste, comme on le voit, à regarder 
Ahmed, non comme le fils d'Abd-AUah, frère suivant le 
Kitab-el'Fihrist de Mohammed-Abou-Shalaghlagh et de 
Hoseïn, leur père d'après Nowaïri, mais bien comme le 
fils de Mohammed-Abou-Shalaghlagh, et le cousin du 
Mahdi Obeïd-AUah. 

Ces généalogies ne sont pas irréductibles à celle du 
Kitab-el-Fihrist, si l'on admet, comme le propose M. de 
Goëje, qu'Ahmed, fils d' Abd-Allah et Mohammed-Abou- 
Shalaghlagh ne sont qu'une seule et même personne, au- 
trement dit que Nowaïri a déplacé Ahmed, fils d' Abd- 
Allah ; dans cette hypothèse, on retombe sur la généalo- 
gie du Kitab-el'Fihrist ; mais il est bon de remarquer 



— 86 — 

que ce n'est là qu'une hypothèse et qu'elle est absolument 
contredite par un fait très simple, à savoir que les généa- 
logies du Fihrist et de Nowaïri ne sont que des déforma- 
tions voulues de la généalogie admise par un grand nom- 
bre de Shïités, et qui se trouve exposée par Makrizi et par 
Ibn-Khallikan. Cette généalogie est la suivante : 

Djaal*er-el-Sadik 

Ismaîl 

Mohammed 

Abd-AUah = Timam Radi 
Hoseïn =z Timam Wafi 
Ahmed = l'imam Taki 
Le Mahdi 

On n'a qu'à comparer ce tableau avec celui qui est 
donné par Nôwaïri pour voir immédiatement "qu'ils sont 
identiques, à cela près que l'historien sunnite a remplacé 
Mohammed, fils d'Ismaïl et petit-fils de Djaafer el-Sadik 
par le révolutionnaire karmathe Meïmoun el-Kaddah. 
Cela se passe de plus ample commentaire, car le pro- 
cédé est tangible ; la généalogie du Kitab-el-Fihrist est 
une déformation encore plus avancée de celle qui est 
fournie par Makrizi. On voit très bien comment la généa- 
logie shïite, dans laquelle figurent les trois imams qui 
sont « cachés dans l'Essence d'Allah », et qui répond admi- 
rablement aux théories métaphysiques de l'imamisme, a 
été déformée par les Sunnites, tandis qu'on ne voit pasdu 
tout par quel miracle les Shïites, en combinant des généa- 
logies telles que celles qui nous sont données par le 
Fihirst et par Nowaïri, auraient pu en établir une qui 
s'accorde avec leurs théories. 

En tout cas, ce fait montre d'une façon irréfutable que 
non seulement les auteurs sunnites ne connaissaient pas 
mieux que les Shïites la généalogie du Mahdi, mais 
encore qu'ils leur ont emprunté cette généalogie du 



- 87 - 

Mahdi pour Testropier. D'autres donnent des généalogies 
forgées de toutes pièces, qu'il est matériellement impossi- 
ble de rattacher à celles du Fikrist ou de Tabari (i). 

Ils disent qu'Obeïd- Allah est fils de Saïd, fils d'Hoseïn, 
fils d'Ahmed, fils d'Abd-Allah-Kaddah, fils de Daïsan, 
fils de Saïd-Ghadbân ; ce dernier personnage était origi- 
naire de la ville de Râm-Hormuz en Susiane et il apparte- 
nait à la secte des Khourrémis, dans laquelle les histo- 
riens musulmans reconnaissent une secte mazdéenne (a) 
et dont les dogmes se rapprochent en effet beaucoup 
de ceux de l'hétérodoxie mazdéenne ; il composa même 
un livre pour soutenir les doctrines des Zendiks. 
Même si Ton admettait cette généalogie, on voit que le 
Mahdi Obeïd-AUah n'en serait pas moins le descendant 
d'une famille d'origine persane, et que ses ancêtres appar- 
tiendraient à l'une des sectes hétérodoxes du Magisme ; c'est 
ce qu'affirme d'une façon bien nette le kadi Abou-Bekr- 
Ibn-Bakkalani, dont l'opinion est rapportée par Aboul- 
Mahasen dans sa célèbre histoire d'Egypte intitulée el-Nod- 
yoam-eZ-ZaAir^/i Ci); d'après cet auteur, el-Kaddah, l'an- 
cêtre d'Obeïd- Allah, appartenait à la religion des Mages, 
c'est-à-dire au Mazdéisme, et les prétentions alides d'Obeïd- 
AUah au Maghreb auraient été facilitées par ce fait qu'au- 
cun des Oulémas de ce pays lointain ne connaissait sa véri- 
table généalogie. C'est là une raison des plus singulières 
qui se puissent invoquer et elle fait aussi peu d'honneur à 
Bakkalani qui Ta inventée qu'à Aboul-Mahasen qui la 
acceptée ; si les Oulémas africains avaient eu tant de 
doutes que le prétend Bakkalani sur la généalogie alide 
du futur Mahdi, il est à croire qu'ils ne l'auraient pas 
aussi généralement reconnu comme le descendant du fils 
d'Abou-Taleb. En tout cas, cet historien affirme qu'Obeïd- 
AUah était un farouche bathénien et qu'il ne songeait qu'à 

(i) Sylvestre de Sacy, Exposé de la religion des Druzes; 
Introd.y page GCCCXXXVIII. 

(3j Leyde, tome II, pages 446 et 559. 



— 88 — 

détruire rislamisme. Le kadi Abd-el-Djebbar-el-Basri, éga- 
lement cité par Aboul-Mahasen dans le Nodjoum, va en- 
core plus loin et dit que l'ancêtre des khalifes fatimites fut 
un certain Saïd dont le père était juif, et exerçait la profes- 
sion de forgeron à Salamiy y a. Ce Saïd prétendit un beau j our 
qu'il était le fils d el-Hoseïn, fils de Mohammed, fils d'Ah- 
med, fils d'Àbd- Allah, fils de Meimoun^el-Kaddah. On 
voit que d'après cette théorie, le Mahdi, bien loin d'être 
un alide, ne serait même pas un descendant du célèbre 
Meïmoun-el-Kaddah, mais tout simplement le fils d'un for- 
geron juif de Syrie ; cette opinion était assez peu vrai- 
semblable pour que beaucoup de personnes, parmi les- 
quelles Abd-el-Djebbar-el-Basri cite un Ismaïlien nommé 
Aboul-Kasem-el-Abiad-el-Alévi, aient admis que ce Saïd 
avait au moins pour mère l'épouse d'el-Hoseïn-ibn-Mo- 
hammed et que ce fut ce dernier, descendant authentique 
de Meimoun-el-Kaddah, qui prit la peine de l'élever ; il 
l'afiiliaà la secte Ismaïlienne et l'aurait fait épouser la fille 
d'Abou-Shalaghlagh ; ce serait seulement au Maghreb, que 
ce Saïd aurait prit le nom d'Obeïd- Allah et le surnom 
d'Abou-Mohammed, en même temps qu'il aurait nommé 
son fils el-Hasan. Il est à peine besoin de faire remarquer 
combien cette histoire est compliquée et qu'elle suppose 
de la part d'el-Hosein-ibn-Mohammed une mansuétude et 
une tolérance qui ne se trouvent généralement pas plus • 
dans rislam qu'ailleurs ; en d'autres termes ce récit 
d'Abd-el-Djebbar-cl-Basri est bien peu vraisemblable et 
frise l'absurdité. 



XI 



Je terminerai cet exposé de la généalogie du Mahdi 
Obeïd-Allah par son histoire telle qu'elle est racontée par 
Fadl-AUah-Rashid-ed-Din dans la DJami-at-taparikh. 
Elle ne diflPère pas sensiblement de celle qu'adopta Ala-ed- 
Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni dans son grand ouvrage histo- 
rique intitulé Djihan-Kusha. 

« Djaafer-el-Sadik avait envoyé son petit-fils Moham- 
med'ibn-Ismaîl avec Abou-Shaker - Meîmoun - el - Disani 
connu sous le nom de Meïmoun-el-Kaddah, dans le Taba- 
rîstan ; après la mort de Djaafer-el-Sadik, Meïmoun-el- 
Kaddah confia son fils Abd-Allah à Mohammed-Ibn- 
Ismaïl en lui disant : « La parenté charnelle ne provient 
que de la naissance matérielle de l'enfant, tandis que la 
parenté spirituelle provient de l'attachement que l'on a pour 
telle personne ; tu dis que quelqu'un est le fils d'un homme 
parce qu'il naît de ses œuvres, mais celui qui a reçu d'un 
autre la Science et l'intelligence qui sont l'essence de la 
vie spirituelle, n'est-il pas son fils plus proche encore ? 
Quant à moi, je suis né spirituellement de Mohammed- 
ibn-Ismaîl, et à cause des secrets de la Science qu'il m'a 
révélés, il convient que je me dise son fils ». Bref, il finit 
par dire : « Abd-Allah est le fils de Mohammed-ibn-Ismaïl, 
son héritier présomptif; il me l'a confié pour l'élever et 
pour que je le sauve des embûches que ses ennemis lui 
tendent. » Quand Abd-Allah eut atteint l'âge de dix-sept 
ans, Meîmoun-el-Kaddah proclama effectivement qu'il était 
rimam et les Shïites ne firent aucune difficulté pour le 
reconnaître comme tel. Meïmoun-el-Kaddah mourut dans 
la petite ville de Salamiyya, en Syrie, près de Homs, et 
son fils Abou-Shalaghlagh se rendit dans l'Irak et à 
Koufa avec son fils ; il dit : « Je suis le missionnaire de 



— 90 — 

rimam et la venue de rimam est proche (i). » Il envoya 
dans le Yémen un missionnaire nommé Abou'-l-Kasem 
et il lui ordonna d'en envoyer dans toutes les parties du 
monde. Abou'-l-Kasem fit des conversions dans le Yémen 
et envoya Abd-AUah-el-Meshréki à Kétama (dans le Ma- 
ghreb); en même temps, il écrivit au fils d'Abd-Allah-ibn- 
Meîmoun-Kaddah pour le mander auprès de lui et l'exci- 
ter à se livrer à la prédication ; ce dernier se rendit dans 
le Maghreb et quand Abd-AUah-el-Meshréki se fut em-» 
paré de Kaïrawan et de Sedjelmasa, il le reçut de son 
mieux et lui offrit de lui déléguer la Mission. Abd-Allah- 
ibn-Meïmoun-Kaddah lui répondit : « J'ai dit il y a quel- 
que temps que j'étais le Précurseur de l'imam ; comme 
jusqu'à présent l'imam n'est point paru, je vais dire que 
nous sommes au moment de son apparition, et que moi, je 
suis le Mahdi, l'un des enfants d'Ismaîl, fils de Djaafer-el- 
Sadik. » 

Suivant d'autres récits, quand Abd-AUah-ibn-Meïmoun- 
Kaddah mourut, ses enfants prétendirent qu'ils étaient les 
descendants d'Akil, le fils préféré d'Abou-Taleb et ils agi- 
rent dans le plus grand secret. 

Ahmed, fils d'Abd- Allah, fils de Meïmoun-Kaddah 
mourut en laissant un fils nommé Mohammed ; ce 
Mohammed eut trois fils : Ahmed,Hasan et Hoseïu; à Sa- 
lamiyya et à Bagdad, il y eut également un des fils de 
Meïmoun-Kaddah, nommé Abou-Shalaghlagh, cet individu 
déclara qu'il était l'Imam à venir w*I cxa^^U?, et il était en 
correspondance avec le Yémen, le Maghreb et le Savad. 
Comme il n'avait point d'enfants, il adopta celui d'une 
femme qui avait été mariée à un Juif, et lui donna le sur- 
nom d'Abou-Abd-AUah. Sur ces entrefaites, il arriva 
qu'Hoseïn, fils de Mohammed étant venu à mourir, ses 
fidèles le déclarèrent son successeur, et il prétendit à 
l'imamat. Mais les gens lui dirent : « Vous n'y avez point 
droit, car vous descendez d'Akil, fils d'Abou-Taleb. » Il 

(i) On a déjà vu cette x)hrase plus haut, il est probable que 
c'était la formule consacrée. 



_ 91 — 

répondit : « Je vous le dis en vérité, je suis l'un des des- 
cendants de Djaafer-el-Sadik. » Voyant san» doute qu'il 
ne réussirait pas dans cet endroit, il se rendit dans le 
Maghreb auprès d'Abd-Allah-Shïi. Abou-Abd- Allah tint 
durant un certain temps le Mahdi ismaïlien caché dans 
sa maison, et il attendit le moment propice pour déclarer 
que la venue de Tlmam était proche. Cet instant ne tarda 
d'ailleurs pas à arriver. Les gens, intrigués de ses maniè- 
res, lui demandèrent quelle était la cause d'une conduite 
aussi étrange. Après leur avoir fait jurer de garder le 
secret le plus rigoureux sur les choses qu'il allait leur ré- 
véler, il leur dit : « Je suis le Maître du temps (sahib-i-zé- 
mari), car je porte le même nom et le même surnom que 
le Prophète ; c'est ainsi qu'il nous a prévenus ; les temps 
messianiques (vakt'i-zohour) ne sont pas encore arrivés 
mais on peut les prévoir d'après ce qui est dit dans le 
Koran. » Ces paroles firent une impression très profonde 
sur les Maghrébins qui, dès l'année suivante, demandèrent 
à voir le Mahdi dont on leur avait parlé. Abou-Abd- 
Allah leur dit d'élever une haute construction pour qu'il 
puisse se montrer; ils bâtirent une haute maison qu'ils 
ornèrent de tapis et de tentures. Un jour, le Mahdi sortit 
de sa retraite et fut acclamé par près de dix mille person- 
nes ; il s'assit lui-môme sur le trône qui lui avait été pré- 
paré et c'est ainsi, d'après Rashid-ed-Din, que s'exécuta 
sans violences et sans troubles l'une des révolutions les 
plus formidables de l'Islamisme. 

Il est assez remarquable que les livres des Druzes fassent 
du Mahdi Obeïd- Allah le descendant de Meïmoun-el-Kad- 
dah; je ne sais s'il faut y voir une preuve absolue du fait 
qu'Hamza et les missionnaires de la secte niaient qu'il fût 
un des descendants de l'Imam Djaafer-el-Saddiketpar con- 
séquent d'Ali. Il est certain, comme on l'a vu, que plusieurs 
fractions de l'Islamisme hétérodoxe avaient fait rentrer 
Meïmoun-el-Kaddah dans la famille alide. 



XII 



- C'est sous le règne du khalife fatimite el-Hakem-bl- 
amr- Allah que naquît Tune des sectes les plus puissantes 
et les plus vivaces de l'ismaïlisme, celle des Druzès (i). 

Le khalife fatimite el-Hakem, descendant à la cinquième 
génération du Mahdi Obeïd-AUah, ne voulut point se 
contenter du rôle d'imam qui avait suffi à ses prédéces- 
seurs et il prétendit à la divinité. Cette prétention n'était 
pas le moins du monde, comme on le croit généralement, 
une marque de folie de la part du khalife fatimite, mais 
le résultat de l'évolution naturelle des doctrines ismaî- 
liennes et en général des théories ésotériques. Puisque le 
missionnaire peut s'élever à travers les degrés de la hiérar- 
chie mystique jusqu'à devenir le Préexistant et aie rempla- 
cer, il n'y a rien que de très naturel à ce que le chef de la 
secte ait cru un jour qu'il était une hypostase de la Divinité, 
ou mieux encore qu'il était Allah en personne ; il en fut 
de même quand il soutint qu'il était identique au Messie 
Jésus-Christ, ûls de Marie (s). Le missionnnaire Ismaïlien 
pouvant s'élever à la dignité de Prophète et le remplacer, 
peut-être soit Mohammed, fils d'Abd- Allah, soit Moham- 
med, fils d'Ismaîl, soit l'un quelconque de ses prédéces- 
seurs, le Messie, Moïse, Abraham, Noé ou Adam, puis- 
qu'en définitive tous ces prophètes ne sont que les hypos- 
tases d'une seule et même Divinité ; à plus forte raison 
l'imam est-il identique à Jésus-Christ. C'est ainsi que les 
Ismaïliens disent que les khalifes ne sont ni fils ni pères les 

(i) En réalité, les Fatimites et les Druzes ne sont que les deux 
branches à peine distinctes d'une même secte, comme Hamza le 
reconnaissait lui-même. (De Sacy, ibid.. Introduction, page CCXL). 

(a) L'avènement du Messie sous le nom de Jésus-Ohrist est 
appelé le a Commencement », Son apparition sous le nom de 
Hamza est la « Fin ». (De Sacy, ibid., tome II, p. i5i.) 



- 93 - 

uns des autres, maïs uniquement les aspects d'un person- 
nage unique qui peut s'identifier à volonté avec les Pro- 
phètes ou avec la Divinité. Cette théorie dont nous ne con- 
naissons certainement pas les principaux secrets, revient 
à dire qu'il n'y a qu'un Être primordial, une Ame du 
monde, dont tous les êtres vivants ne sont que l'émanation 
et auquel ils retournent après un nombre indéfini d'hypos- 
tases; c'est à très peu de chose près l'essentiel de la 
doctrine soufie. 

Dans la prétendue folie d'el-Hakem, il ne faut voir que 
le développement exagéré d'une idée anti-abbasside, qui 
devint de bonne heure chez lui une monomânie, et le 
résultat d'une logique poussée à ses limites les plus 
extr.êmes. 

A part des défenses ridicules, comme celles faites aux 
Chrétiens et aux Juifs, et qui se répétèrent d'ailleurs plus 
tard, aussi bien sous les Ayyoubites et les Manilouks et 
même sous le règne des Turcs (jue pendant son règne, il y 
a dans toutes ses prohibitions une logique parfaite, qui 
consiste à chercher à anéantir le souvenir de tout ce qui a 
causé un tort quelconque à la famille d'Ali ; il défendit de 
manger de la méloukhia parce que Moaviyya l'aimait, de 
la roquette parce que c'était Aïsha qui en avait introduit 
l'usage; on ne devait point faire de bière parce qu'Ali 
n'avait point de goût pour cette boisson. Ces prohibitions 
sont la suite toute naturelle de la malédiction qu'el- 
Hakem fit prononcer eu SgS (i) de l'hégire contre les 
premiers khalifes et de la construction au Kaire d'un col- 
lège destiné à l'enseignement de la doctrine des Bathé- 
niens. Sous les faits les plus bizarres et les plus incom- 
préhensibles d'el-Hakem se cache toujours une cause anti- 
abbasside, et c'est bien à tort qu'on a voulu y voir les 
indices d'une névrose spéciale. 

(i) Ce que fit el-Hakem dans cette circonstance ne dépasse pas 
les ordonnances des princes Bouyyides qui firent graver sur les 
portes des mosquées : « Qu'Allah maudisse Moaviyya, fils d'Abou- 
Soiian, celui qui a usé de violence envers Fatima et qui a empê- 
ché el-Hasan de reposer dans le tombeau de son aïeul ! x> 



- 94 - 

C'est vers l'an 4^5 de Thégire qu'un missionnaire 
ismaïlien, vraisemblablement d'origine persane(i), nommé 
Hamza, fils d'Ali, fils d'Ahmed-el-Hadi, prit le titre de 
^^AAA^wXl ^^:>[^ et commença à répandre la doctrine 
suivant laquelle le khalife fa timi te était l'hypostase de la 
divinité ; pour attirera lui les Chrétiens Coptes qui, comme 
on le sait, formaient alors une communauté très impor- 
tante en Egypte, Hamza leur disait qu'el-Hakem n'était autre 
que le Messie ; toute bizarre que paraisse cette affirmation, 
elle n'en est pas moins très logique, comme on vient de le 
voir, et de plus il est intéressant de remarquer que les 
attributs du Messie sont à peu de chose près identiques 
à ceux du dernier Imam (2), Hamza enseignait que la 
Divinité s'était manifestée à plusieurs reprises aux yeux 
des hommes et que la dernière de ses incarnations était le 
khalife fatimite el-Hakem-bi-amr- Allah (3). 

Dans la théorie Ismaïlienne, le Mahdi n'est point lui- 
même une incarnation de la Divinité, mais seulement son 
fils el-Kaïm, le deuxième khalife fatimite; le Mahdi n'est 
lui-même qu'Aboû-l-Kaïm ou Huddjet-el-Kdim « la 
Preuve de Kaïm » (4). 

(i) L*hislorien el-Makin dit formellement qu'Hamza était un daî 
étranger ; Nowaïri assure qu'il était persan et originaire de la ville 
de Zouzen, sur laquelle on peut consulter le Dictionnaire géogror 
phique de la Perse, de M. Barbier de Meynard. Aboul-Mahasen dit 
dans son Histoire d'Egypte qu'il était Bathénien. Le nom que 
Hamza donnait à la Divinité «^■â.;^ bârkhodâ indique suOisam- 
ment son origine iranienne ; il est curieux que bârkhodâ soit jus- 
tement le nom que les Soulis exaltés donnent à l'Etre Unique. 

(2) Voir de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, Introduc- 
tion, p. GGGLXXXIV. 

(3) Les signes qui doivent précéder le retour d'el-Hakem sur la 
terre sont les mêmes que ceux qui doivent annoncer aux Musul- 
mans le jour de la résurrection. 

(4) ^UlII &35- le mot hudjdjet ou hodjdja « Preuve » s'emploie 
pour désigner l'un des grades de la hiérarchie religieuse des Ismaï- 
liens; l'historien persan Rashid-ed-Din nous apprend dans sa 
Djami-el'tevarikh que le hudjdjet est un missionnaire qui se dis- 
tingue particulièrement dans la mission qui lui a été conûée. Le 
mot {jIa^ borhân est employé dans le même sens par les Souûs. 



- 95 - 

Gomme il ne peut y avoir que sept Imams cachés, de 
même qu'il n'y a que sept cieux et sept terres (i), et que 
el-Kaïm ne fut pas le dernier fatimite, Hamza déclara que 
ce prince et les quatre khalifes qui lui succédèrent sur le 
trône d'Egypte, el-Mansour, el-Moëzz, el-Aziz et el-Hakem, 
n'étaient que des incarnations différentes, des hypostases 
d'une seule et même personne, et qu'ils n'étaient ni ancêtres 
ni descendants les uns des autres. Cela revient à dire que 
le Mahdi Obeïd-AUah ne fut que le Précurseur du khalife 
el-Hakem, puisque ce dernier est le même qu'el-Kaïm. 

La véritable forme de cette audacieuse doctrine qui 
devait être si mal accueillie en Egypte, fut donnée par un 
Ismaïlien qui fut converti à cette théorie de la divinité 
d'el-Hakem par un missionnaire nommé Ali, fils d'Ahmed- 
el-Habbal. 

Cet individu se nommait Noushtîkin-ibn-Ismaïl-Darazi (2); 
comme l'indique son nom de Noushtikin, il était d'origine 
turque (3); l'historien arabe el-Makin dit que c'était un 
missionnaire de la secte des Ismaïliens et qu'il était 
persan. Ces deux qualités ethniques sont loin d'être in- 
compatibles, quand l'on songe au nombre de Turks qui, 
à partir du second siècle de l'hégire et même probable- 
ment bien avant cette époque, vécurent de la civilisation 
et de la culture iraniennes. Quoi qu'il en soit, ce Noushti- 
kin ne tarda pas à chercher à se soustraire à la tutelle 
d'Hamza - ibn- Ali -ibn- Ahmed ; il prétendit à l'Imamat 
et prit le titre de Setf-el-iman (4) « Glaive de la foi », 

(i) Les sept terres et les sepl climats des Musulmans sont un 
emprunt à peine déguisé aux sept Karshvares ou continents dont 
on trouve les noms dans TAvesta. 

(2) Les historiens qui citent le nom de ce personnage le don* 
nent sous des formes assez différentes. Les livres des Druzes le 
nomment Darazi, ce qui doit être la vraie leçon tandis que cer- 
tains manuscrits d*Abou'-l-Mahasen l'appellent Darzi. 

(3) C'est-à-dire natif, soit de la contrée qui est aujourd'hui le 
T.urkestan Russe, soit du Turkestan Chinois. 

(4) D'après le el-ghayet wé-l-masiket, cité par de Sacy, Exposé de la 
Religion des Druzes^ Introd, p. CCCXCI, note i. On fit remarquer 
à Noushtikin que le surnom de Glaive de la Foi n'avait aucun 



- 96 - 

de « Prince des Directeurs » (i) et de Hejyat-el'moste- 
djibin. 

Darazi qui était un impulsif et un homme pressé, alla 
encore plus loin qu*Hamza n'avait osé le faire, et il déclara 
qu'el-Hakem était le Créateur de l'Univers : à cet effet, il 
composa un ouvrage dans lequel il enseignait que l'âme 
d'Adam avait passé dans Ali, et qu'à son tour l'âme d'Ali 
avait passé dans celle de tous les ancêtres d'el-Hakem et 
qu'elle s'était enfin arrêtée à lui (2). Darazi vint lire son 
opuscule au peuple dans une des grandes mosquées du 
Kaire ; cette audace révolta les assistants qui se précipi- 
tèrent sur lui, saccagèrent tout ce qui leur tomba sous la 
main et l'auraient infailliblement écharpé s'il ne s'était 
empressé de fuir. 

Ël-Hakem, qui l'avait certainement incité à agir ainsi, 
n'osa pas le soutenir officiellement, car il y allait de son 
trône, mais il lui fit passer de l'argent et lui conseilla de 
se rendre en Syrie. Cet imprudent personnage alla en effet 
s'établir dans la vallée de Teïm-AUah sur le territoire de 
Banias et il y recruta de nombreux adeptes qui reçurent 
le nom de Druzes (3). 

sens, car la Foi n^a que faire d'un sabre et qu'il n'y avait que 
les Fidèles qui s'en servissent ; néanmoins il garda son surnom et 
n'eut point tout à fait tort, au moins de ce côté, car on trouve 
dans le protocole musulman une quantité d'autres titres auxquels 
il serait facile d'opposer la même critique; les noms de Seîf-ed- 
Din, Hosam-ed-Din, « Sabre de la religion ii>, Seîf-el-miUeh-wé-l- 
Douniâ-wé-1-Hakk-wé-l-Din, « Sabre de la Religion, du monde, de 
la vérité et de la Foi » sont parmi les plus répandus, et ni la reli- 
gion, ni le monde, ni la vérité ne se servent de sabre, 
(i) Le elrghajret-wé'l'nasihet explique ce titre par jj^â. (Ji 

: (2) ^ 

Abou-1-Mabasen, Histoire d'Egypte, ms. ar. 1778, fol. 87 r*. 

(3) Il paraît d'après le récit de certains historiens que Darazi fui 
mis à mort en 410 de l'hégire par ordre d'el-Hakem ; ainsi que plu- 



— 97 — 

Hamza ne pardonna pas à Darazi d'avoir cherché à le 
supplanter et d'avoir échoué si piteusement ; il est certain 
que Darazi eut mieux fait de laisser agir Hamza, qui était 
un homme très prudent, que de se livrer à une pareille 
escapade qui n'avança pas, bien au contraire, les affaires 
de la secte. Aussi Hamza, dans ses écrits, prodigue-t-il a 
Darazi les noms de veau, de porc, de Satan et d'autres 
aménités du même genre (i). 

Le khalife el-Hakem ne se tint pas pour battu et peu de 
temps après la fuite de Noushtikin-Darazi (2), il décida un 
personnage que Nowaïri appelle Hasan-ibn-Haidara-Fer- 
ghani-el-Akhram à proclamer sa divinité. Le nom de cet 
individu dit assez quel était son pays d'origine ; c'était la 
province turque de Ferghana dans le Ma-vara-nnahar, et 
il était, comme on le voit, compatriote de Noushtikin- 
Darazi. Cet el-Akhram réunit un nombre assez grand 
d'adhérents pour en former une petite secte, et quand il la 
crut assez considérable, il se décida à tenter l'aventure. 

a Un jour, dit Aboul-Mahasen dans le Nodjoum-ez'zahi- 
ra-fi'akhbar'Tnolouk-MisT'Wé-l'Kakira, el-Akhram sortit 
du Kaire à cheval, avec cinquante de ses compagnons, et 
prit la route de Misr ; il entra dans la grande mosquée 
toujours à cheval, ainsi que sa troupe ; le Kadi des Kadis 
Ibn-el-Avvam tenait alors une séance au cours de laquelle 
il examinait des questions juridiques. Les gens d'el-Akhram 
se jetèrent sur les assistants et les dépouillèrent de leurs 
vêtements, puis ils donnèrent au Kadi une requête pour 
qu'il y fasse droit; elle commençait par ces mots : « Au 
nom d'eUHakem, le Clément, le Miséricordieux ! » (3) 

sieurs de ses partisans (de Sacy, Exposé de la Religion des Dru- 
zes, tome II, p. 190). 

(i) De Sacy, ibid», tome II, p. i85. 

(2) L'historien égyptien AbouM-Mahasen prétend au contraire 
que ce fut avant la folle tentative de Darazi. 

13) 
*5U»»I ^jM iU.; ^Ji:^ i Cf5Î; HyûUJI j^ p^ill 2:7^ pL^ill J^ i yli'L^ 

^1 sU^i (g*6^^ f^V J^ ^^i *xj9^ «X^b L^^ ^^ J^'>3 fà^ O^aaS^ 



- 98 - 

Le premier moment de stupeur passé, les assistants 
indignés se ruèrent sur les partisans d'el-Akhram et les 
massacrèrent à peu près tous, tandis que leur chef imitait 
Darazi et prenait la fuite à toute bride. On ne sait ce qu'il 
devint. Depuis ce temps, il paraît qu'el-Hakem renonça à 
ces tentatives qui n'aboutissaient à aucun résultat et il 
laissa Hamza élaborer tranquillement la doctrine compli- 
quée qui devint celle des Druzes. Le dogme le plus impor- 
tant en est qu'après la disparition d'el-Hakem, il n'y aura 
plus à attendre d'autre manifestation de la Divinité jusqu'au 
moment où il réapparaîtra. C'est en effet sa venue que les 
Druzes attendent depuis neuf siècles dans les montagnes 
du Liban (i). 

^^UlU \yX^y ^^ ^y^^ o-^' !><4^ f^ i 7^=^ *^ LJU. pl^l 

lis^^y tT^y' r^^ ^*^ ^y>^ 005 <^y3 L^ Â*5j 

Aboa-1-Mahasen, Histoire d* Egypte , ms. ar. 1778, fol. 86 ir». Il est 
à peine besoin de faire remarquer à quel point cette formule est 
sacrilège; elle est copiée sur la formule bien connue : « Au nom 
d'Allah, le Clément, le Miséricordieux ! » 

(i) On sait que les Druzes passent pour adorer une idole qui a 
la forme d'une vache et qui ne serait autre que la représentation 
du khalife el-Hakem-bi-amr- Allah ; M. de Sacy ne croyait point que 
cet animal fut l'image d'el-Hakem, mais bien celle de son adver- 
saire, le démon Iblis ; cependant on sait que les Ismaïliens ren- 
daient un culte au veau, peut-être même à la gazelle; il est évi- 
demment étrange de voir une secte musulmane, si hétérodoxe soit 
elle, adorer un homme sous une forme aussi vile et aussi dégra- 
dante que celle d'un animal , mais c'est un fait qui, malgré tout, 
ne saurait guère être mis en doute. M. Casanova a trouvé au 
Kaire une petite figurine en terre cuite, si grossièrement travail- 
lée qu'on ne peut voir au juste si elle représente un bélier ou un 
mouton, et sur laquelle est tracée à la pointe l'inscription sui- 
vante : 

M. Casanova a fait remarquer avec beaucoup de sagacité que le 
nom de ^b ^l el Hakem-billah qui se trouve sur ce petit monu- 
ment, a été abrégé par faute de place de la forme plus complète 
M\ ^b ^\A el-Hakem-bi-amr-Allah. Il en a rapproché un fait ana- 
logue qui se remarque dans les inscriptions gravées sur les mon- 
naies du khalife abbaside el-Nasir-li^din- Allah dont le nom, pour 



— 99 — 

La mort d'el-Hakem marqaa la fin de la période reli- 
gieuse de la dynastie des Fatimites et les princes qui lui 
succédèrent sur le trône du Khalifat ne paraissent pas 
s'être beaucoup préoccupés de se faire passer pour des 
incarnations de la Divinité ; il est vrai que les mauvais 
jours ne tardèrent pas à survenir, et que des soucis d'un 
ordre tout différent ne laissèrent plus guère aux descen- 
dants du Mahdi le temps de penser aux théories ismaï- 
liennes et aux prétentions de leurs ancêtres ; ce n'était pas 
au milieu des défaites qui se succédaient en Syrie et des 
attaques des Francs que Mostanser 6u Mostéali avaient 
chance de réussir là où Hakem avait échoué (i). 

Ce qu'il y a de certain, c'est que tous les historiens 
s'accordent à dire qu'el-Hakem savait que le jour où il fut 
tué et le lendemain, il courrait un très grand danger. Beau- 
coup de gens refusèrent de croire à la mort du khalife et 
plus d'un imposteur essaya d'en profiter. Hamza disparut 
à peu près de la scène, mais il continua à rédiger ses livres 
en secret et à réunir des adhérents. 

les mêmes raisons, est abrégé en el-Nasir-lillah ^ yoUJ) ; c'est 
donc le nom du célèbre khalife fatimite el-Hakem-bi-amr-Allah 
qui se lit sur cette figurine de terre cuite. M. Casanova traduit 
cette inscription « Vimam c'est el-Hakim-biilah. » Peut-être faut-il 
lui donner un sens plus étendu ; il est évident que celui qui a fait 
cette figurine était un partisan des Fatimites et que, par consé- 
quent, il était bien convaincu que Vimam était el-Hakem-bi-amr- 
Allah; je crois dans ces conditions, qu'il a voulu faire compren- 
prendre : « (voilà la représentation de) l'imam ; et (ïlmam) c'est el- 
Hakem-bi-amr-Allah. » On trouvera une reproduction de ce 
curieux monument avec une dissertation de M. Casanova dans la 
Revue Archéologique de 1891, sous le titre Figurine en terre cuite 
avec Inscription arabe. J'ajouterai que lesDruzes donnent au kha- 
life el-Hakem le nom de el-Kaim-el-Hakim-bizatihi. qui montre 
sufiisamment qu'ils le considèrent comme la Divinité par excel- 
lence. 

(i) L'historien arabe Ibn-el-Azrak-el-Farïki, qui est de la fin du 
VI' siècle de l'hégire, rapporte cependant que des gens voulurent 
faire passer Mostéali comme une émanation de la Divinité et qu'ils 
prétendirent qu'il connaissait le passé et qu'il pouvait prédire 
l'avenir; mais des termes mêmes de cet auteur, il est visible que 
ces prétentions ne venaient pas de Mostéali et qu'il les subit plutôt 
qu'il ne les inventa. Cette tentative dut rapidement avorter. 



— lOO — 

On retrouve naturellement dans les doctrines des Druzes 
les deux points fondamentaux de rismaîlisme (i) : la 
théorie suivant laquelle le dernier Prophète est en même 
temps le dernier imam, et le système du microcosme, qui 
ne peut guère avoir été emprunté qu'à l'Iran (2). Chez les 
Druzes les sept cieux sont les sept imams cachés (3). 

Le i'"' ciel est l'imam Ismaïl, fils de Djaaler; le prophète 
correspondant est Adam. 

Le 2° ciel est l'imam Mohammed, son fils ; le prophète 
correspondant est Noé. 

Le 3« ciel est Ahmed, son fils ; le prophète correspondant 
est Abraham. 

Le 4® ciel est Abd- Allah, fils d'Ahmed; le prophète cor- 
respondant est Moïse. 

Le 5*^ ciel est Mohammed-el-Mahdi ; fils d' Abd- Allah, le 
prophète correspondant est Jésus. 

Le 6' ciel est Hoseïn, fils de Mohammed ; le prophète 
correspondant est Mohammed. 

Le 7« ciel est Abd-AUah, père du Mahdi. autrement dit 
Obeïd- Allah, ouSaïd, ou encore xAbou'-l-Kaïm ; le prophète 
correspondant est Saïd, c'est-à-dire le même que l'imam. 

(i) Je compte montrer plus tard que leur système cabalistique 
est, à peu de chose près, celui des Soulis et qu'il en dérive comme 
celui des Hourouiis et du Babisme. 

(2) On pourrait dire que cette théorie a été empruntée à l'Hellé- 
nisme plutôt qu'à riranisme, car les historiens musulmans s'ac- 
cordent à dire que les idées des philosophes grecs avaient forte- 
ment influé sur les dogmes de l'Ismaïlibme et des sectes secon- 
daires qui en dérivent; mais il est bon de remarquer que les 
philosophes grecs n'étaient guère connus dans l'Islam que par 
Aristote, et que Platon lui-même y fut toujours plus célèbre 
comme médecin que comme philosophe. It est incontestable que 

• les doctrines philosophiques d' Aristote, de Platon et plus encore 
de Plotin, et celles de Philon forment la base de la philosophie 
musulmane; mais la doctrine philosophique du monde musulman 
ne peut qu'artificiellement se séparer de l'ésotérisme, qui est une 
chose persane ou plutôt iranienne. D'ailleurs, comme j'ai eu l'oc- 
casion de le dire plus haut, la doctrine philosophique et ésotéri- 
que des sectes hétérodoxes de l'Islamisme est, au fond, la même 

. que celle du Souiisme. 

(3) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes j tome II, p. 38- 



XIII 



L'origine de la secte hétérodoxe des Nosairis ou Ansaris 
qui vivent dans les montagnes de Syrie, est moins connue 
et moins claire que celle des précédentes. M. de Sacy (i) 
les considérait comme une secte de Bathéniens (2) ; il est le 
premier qui ait démontré que les Nosaïris ne sont ni des 
Karmathes, ni des Druzes, mais il a admis avec raison 
qu'ils sont une branche dérivée de la secte karmathe. D'a- 
près le Catéchisme des Druzes, la secte des Nosaïris date* 
rait d'el-Hakem; un homme, nommé Nosaïri, s'imagina de 
nier la divinité du khalife fatimite et celle de ses prédéces- 
seurs, jusqu'au Mahdi el-Kaïm exclusivement ; il disait que 
la divinité d'Ali, qui était incontestable, s'était manifestée 
dans les douze imams et qu elle était disparue après 
Mohammed-el-Kaïm-el-Jlahdi. Au fond, cette théorie était 
celle d'une secte imamiste qui n'admettait point qu'el- 
Kaïm, el-Mansour, el-Moezz, el-Aziz et le khalife el-Hakem- 
bi-amr-AUah fussent un môme personnage ou plutôt 
l'hypôstase d'une seule Divinité. Ils ne croyaient pas 
davantage qu'el-Hakem fût cette Divinité et Hamza son 
imam. 

Il est plus probable que les théories des Druzes et des 
partisans d'el-Hakem ne furent pas acceptées par tous les 
Ismaïliens et qu'un grand nombre d'entre eux professaient 
l'opinion que le Catéchisme attribue à Nosaïri, mais je 
crois qu'il y a là une erreur, voulue ou non, plutôt voulue, 
de Hamza, et que la secte des Nosaïris ou Ansaris se rat- 
tache à l'une des premières sectes hétérodoxes de l'Isla- 
misme. 

Dans son excellente étude sur les sectes musulmanes 

fi) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, t. II, p. 567. 
12) Ibid., t. Il, p. 562. 



— 102 — 

qu'il a fait entrer comme troisième chapitre dans ses Pro-- 
dromi ad refatationem Alcorani, Maracci dit avec raison 
que le dogme fondamental des Nosaïris ou Ansaris est 
qu'Ali est une hypostase de la Divinité et que la mission 
de Mahomet était toute secondaire comparée à la sienne. 
Ils croyaient également que les esprits divins peuvent 
apparaître aux hommes sous forme humaine et le démon 
sous forme animale (i). 

Gela revient à dire que les Nosaïris ne sont qu'une bran- 
che des Ali-Ilahvyân ou divinisateurs d'Ali, les plus 
hétérodoxes de tous les Shïites, puisqu'il nient dès les 
premières heures de l'Islam, la mission de Mahomet 
pour lui substituer celle d'Ali. Il serait curieux que cette 
secte insensée des Ali-Ilahiyân se rattachât à celle des 
Keîsanis dont il a été parlé plus haut. Ce quidistingue prin- 
cipalement les Keîsanis des autres sectes hétérodoxes du 
Sh'iisme iranien, c'est le rôle qu'ils font jouer à larchange 
Gabriel et la divinisation d'Ali, qui est le dogme essentiel 
de la religion nosaïrie. On a vu plus haut comment el- 
Féredj, fils d'Osman, annonçait que le Mahdi Mohammed, 
iils d'Ali, était l'incarnation tangible de l'ange Gabriel 
dont une autre des hypostases avait été, sept siècles 
auparavant, Jean, fils de Zacharie. Rien dans le récit d'Ibn- 
el-Athir, d'Aboul-Féda et de Bar-Hébreus ne permet de 
déterminer quel était le rôle d'Ali dans la secte Keîsanie, 
mais ce que dit Shehristani ne permet pas de douter que 
ses adeptes considéraient Ali comme une Divinité : il 
est bon de remarquer, d'ailleurs, que le silence de ces 
trois auteurs dont l'un était chrétien et les deux autres 
sunnites, n'autorise nullement à mettre en doute l'afiir- 

(i) «r Hi (Nasirîtœ) asserimt, apparitionem spiritus cam corpore 
materiali non posse negari, eum Gabriel apparuerit in figura 
hominis et Satanas in figura animalis bruti : et ita Deum appa- 
raisse in figura xoO Ali et filiorum ejus, et loquutum esse, per 
linguam eorum et apprehendisse per manus eorum. » AlcoranuSt 
textus nnweraus».. his omnibus prœmissus est Prodromns..» 
ductore Ludovico Marraccio, Patavii, MDGXGVUI, Proetromas, 
§ 3, p. 84. 



— io3 — 

mation très nette de Shehristani, qui fait des Keïsanis un 
cas particulier des Ghalis ou adorateurs d'Ali ; ils n'ont 
pas voulu, en parlant des Nosa'iris, insister sur un fait 
qui leur semblait révoltant : plus d'un historien musul- 
man orthodoxe n'a pas agi plus franchement quand il 
avait à parler des sectes shïites. 

Mohammed, fils d'Ali et de la Hanéfite, n'étant que le 
Mahdi, une hypostase de Jésus-Christ, il n'y arien que de 
tout naturel à ce qu'Ali soit la Divinité primordiale, dont 
Moïse, puis Jésus, puis Mahomet, et enfin le fils d'Ali et de 
la Hanéfite sont les Prophètes successifs. En tout cas» 
l'importance du rôle attribué à l'ange Gabriel dans les 
théories des Nosaïris et la divinisation d'Ali, prouvent 
que leur secte se rattache, à travers des intermédiaires 
dont la plupart sont aujourd'hui disparus, à la secte qui, 
renouvelant les premières tentatives de Mahomet, essaya 
de fondre le Christianisme, le Judaïsme et l'Islamisme 
dans un même syncrétisme. 

Volney raconte (i) que les Nosaïris actuels se divisent 
en plusieurs sectes qui adorent les unes le soleil, les au- 
tres des chiens ; c'est un fait qui n'a rien de surprenant 
quand l'on pense que les Druzes, dont la doctrine telle 
qu'elle fut exposée par Hamza était si abstraite et si esoté- 
rique, adoraient une vache, représentation mystique du 
Messie de la secte, le khalife fatimite el-Hakem-bi-amr- 
AUah(a). 

(i) Voyage en Syrie et en Egypte^ tome 11, page 5. 

(a) On trouvera ea appendice quelques-uns des arguments qui 
portent à penser que la secte des Nosaïris, comme celle 'des Yézi- 
dis, se rattache à la secte des Keïsanis. Ces développements ne 
seraient pas à leur plade ici, vu le peu d'importance de cette secte. 

Malgré l'étrangeté de ses doctrines secte et bien qu'elle ait 
beaucoup moins d'importance que celle des Druzes, il serait inté- 
ressant de faire pour elle ce que de Sacy a fait pour les dogmes 
des iidèles du khalife fatimite el-Hakem-bi-ami"- Allah. Des extraits 
choisis au hasard dans ces traités risquent de ne donner qu'une 
idée assez inexacte de la religion des Nosaïris. 



XIV 



L*UQe des sectes isinaîliennes les plus redoutables par 
son fanatisme est bien connue en Europe sous le nom 
d'Assassins, grâce au rôle fort louche qu'elle joua 
durant tout le temps des Croisades ; les princes chré- 
tiens et musulmans n'hésitaient pas à recourir au poi- 
gnards de ces sectaires pour se débarrasser des person- 
nages qui les gênaient ; c'est ainsi que Saladin faillit être 
assassiné au siège de la petite ville d'Azaz ; le comte de 
Tripoli, le marquis, comme l'appellent les historiens ara- 
bes, fut moins heureux que lui et tomba sous les coups de 
deux Ismaïliens qui avaient poussé l'audace jusqu'à se 
déguiser en prêtres chrétiens. La puissance de cette 
secte était telle que ses chefs, du haut de leur nid d'aigle 
d'Alamout, défièrent les attaques de Saladin lui-même et 
que ses successeurs durent se résigner à tolérer le voisi- 
nage de ces fanatiques. Il serait d'ailleurs inexact de 
croire, comme on le fait assez volontiers en Occi- 
dent, que ces crimes leur étaient pour ainsi dire im- 
posés par leurs croyances ; la doctrine ismaïlienne et 
shïite en général n'a jamais fait de l'assassinat politique 
et du régicide, une obligation religieuse pour ses adeptes ; 
si la secte des Ismaïliens d'Alamout est devenu de très 
bonne heure une redoutable Sainte-Wehme, elle le doit 
uniquement aux circonstances politiques particulière- 
ment tragiques au milieu desquelles elle vint au monde, 
et aux bouleversements qui ébranlaient le trône des Sul- 
tans Seldjoukides, laissant la voie libre à l'invasion mon- 
gole ; leur religion n'y est pour rien. 

L'origine de cette secte est trop connue pour qu'il soit 
nécessaire d'y insister ici (i). 

(i) Lé lecteur pourra se reporter au tome III de V Histoire des 
Mongols depuis Tchingaiz Khan.,,, de d'Ohsson, i85a; et au 



— io5 — 

Les Fatimites du Kaire entretenaient des missionnai» 
res en Perse, où il y avait un très grand nombre de parti- 
sans de la doctrine suivant laquelle Timaniat alide reve- 
nait de droit à Ismaïl, fils de Djaafer-el-SadiketnonàMousa- 
el-Kazem. L'undeces missionnaires était un nommé Hasan, 
fils de Sabbah, plus généralement connu sous le nom d'Ha- 
san-i-Sabbah. Ce personnage disait être le fils d'Ali, fils 
de Mohammed, fils deDjaafer, fils d'Hoseïn-ibn-el-Sabbah- 
el-Himyari-el-Yéméni ; c'est-à-dire qu'il prétendait appar- 
tenir à la célèbre tribu de Himyar qui, à l'époque anté- 
islamique, fournit des rois au Yémen (i). Le vizir Nizam- 
el-Moulk, qui devait plus tard périr de la main d'un des 
affidés d'Hasan-i-Sabbah, prétendait qu'il ne descendait 
nullement des rois du Yémen, mais qu'il était simple- 
ment le fils d'un hétérodoxe qui habitait à Reï (2). 

Si quelqu'un sut à quoi s'en tenir sur la véritable généa- 
logie d'Hasan, c'est bien Nizam-el Moulk qui fut son con- 
disciple durant de longues années, ainsi que le célèbre 
poète et mathématicien Omar-Kheyyam ; mais il ne faut 
pas oublier que le vizir était animé d'une haine mortelle 
contre Hasan-i-Sabbah, et qu'il ne laissa pas échapper une 
occasion de le perdre dans l'esprit du sultan Seldjoukide*, 
les faisant naître quand elles ne se présentaient pas d'elles 
mêmes. Pour arriver à créer une secte aussi terrible avec 

tome U de la traduction française de ï Histoire de Perse, de Mal- 
coim. 

(i) Le père de Hasan était venu de Koufa à Koum; c'est dans 
cette villeque naquit Hasan. L'anti^urinisme farouche d'Hasan i-Sab- 
bah s'explique, au moins en partie, par le fait qu'il passa quelques 
années de son enfance à Koum. Cette ville fut de tout temps l'un des 
centres du Shïisme; le géographe arabe Yakout-el-Hamawi aliirme 
que de son temps, on n'y trouvait pas un seul sunnite, et que la 
population était très montée contre ceux que leurs fonctions 
administratives mettaient dans l'obligation d'y venir résider 
(Barbier de Meynard, Dictionnaire géographique.,, de la Perse, 
p. ^og). C'est à Koum que se trouve le tombeau de la iille de 
l'imam el-Rida, qui est l'un des monuments les plus vénérés des 
Shïites. 

(2) Mirkhond, Rauzet-el-sé/a dans Notices et Extraits des Manus- 
crits de la Bibliothèque Impériale, tome IX, 181 3, page i43 



— io6 — 

de si petits moyens et en partant de si bas, il fallait évi- 
demment que les mécontents fussent en nombre infini 
mais il fallait égalemment qu'Hasan fût d'une intelligence 
extraordinaire et d'une volonté de fer ; il paraît qu'étant 
employé à la cour du sultan Alp-Arslan, il accomplissait 
des travaux incroyables de statistique en dix fois moins 
de temps que le premier ministre ; un jour qu'Hasan de- 
vait en résumer un devant le sultan, Nizam-el-Moulk s'in- 
troduisit chez lui et brouilla ses fiches qui n'étaient point 
numérotées, de telle sorte qu'Hasan ne put retrouver le 
fil de ses calculs ; le sultan le prenant pour un sot, le 
chassa de son service, et Nizam-el-Moulk n'eut plus à crain- 
dre qu'Hasan lui prit sa place ; il est vra^ que cette petite 
supercherie se paya par le coup de poignard de 1092. 

Dans son autobiographie (i) qui, autant qu'on en peut 
juger, est écrite avec assez de sincérité, Hasan ne 
dit point qu'il fut le fils d'un ismaïli, mais bien d'un 
shïite, et il est à présumer qu'il ne l'aurait point caché si 
cela eut été exact, comme le prétend Nizam-el-Moulk, car 
il n'avait aucun intérêt à agir ainsi, au contraire. La tra- 
duction de cette courte autobiographie est la meilleure 
source de l'histoire des commencements de la secte des 
Assassins. 

« Dans ma jeunesse, dit-il, à partir de sept ans, j'eus un 
grand amour pour toutes les sciences, et je cherchai par tous 
les moyens possibles à devenir un savant ; je m'instruisis 
ainsi jusqu'à l'âge de dix-sept ans. J'appartenais à la secte 
de mes parents, celle qui reconnaît les douze imams. Je 
vis à Reï un allidé (réjik) qui se nommait Amirèh-Sorab ; 
de temps à autre, il exposait la doctrine des khalifes du 
Kaire, suivant en cela l'exemple de Nasir-i-Khosrau (2), 

(i) J'emprunte cette biographie à Fadl-AUah-Rashid-ed-Din qui 
l'a reproduite dans sa DJami-at tawarikh, sans doute intégrale- 
ment ; Mirkhond l'a également copiée dans son RauzeUelséfa fi 
siret el enbia wé-l molouk-wé-l-khonléfa, mais suivant $a désas- 
treuse habitude, en l'abrégeant, et en faisant disparaître plusieurs 
des passages les plus caractéristiques. 

(a) Nasiri-IChosrau F Alide est l'un des personnages les plus étranges 
qui aient appartenu à l'hétérodoxie musulmane; on pourra con- 



— lO'J — 

la Preuve du Khorasan {hodjdjat-UKhorasân), quoique ce 
ne fut point une chose aisée à faire ; à Tépoque du sultan 
Mahmoud-Abou-Ali-Simdjour, un grand nombre de gens 
avaient adopté cette doctrine, et l'émir Samanide, Nasr, 
ûls d'Ahmed, ainsi que beaucoup des grands personnages 
de la cour de Bokhara s'y étaient ralliés. Je lui dis : « Ja- 
mais je n'aurai de doute sur la véracité de l'Islamisme 
et aucun respect humain ne me détournera de mes devoirs 
religieux ; je crois fermement qu'il y a un Dieu, vivant, 
éternel, tout-puissant, qui entend les prières des hommes 
et qui voit leurs besoins; je crois qu'il y a eu un Pro- 
phète, un imam (Ali), qu'il y a des choses licites et 
d'autres qui ne le sont pas, qu'il y a un paradis et un 
enfer, des choses ordonnées et d'autres prohibées. Je 
pense que c'est là la loi de tout le monde et en particulier 
celle des Shïites ; jamais je n'arriverai à croire qu'il faille 
chercher la Vérité en dehors de l'Islamisme. La secte 
des Ismaïliens n'est qu'une secte de philosophes (i) ». 

« Cet Emirèh-Sorab était un homme honorable ; la pre- 
mière fois qu'il eut un entretien avec moi, il me dit : 
« Voici quelles sont les théories des Ismaïliens. )> Je lui 
répondis : « O mon ami ! ne me répète pas leurs paroles, 
car ce sont des gens excommuniés et leur doctrine est 
hétérodoxe ! » Nous continuâmes à converser et à discu- 
ter ; il ébranla mes convictions en m'exposant ses doc- 
trines ; je ne savais pas m' être livré quand, en réalité, 
ses paroles avaient pénétré profondément dans mon âme. 
Je lui dis au cours de cette conversation : « En tout cas, 
quand quelqu'un meurt en professant les croyances de 
cette secte, tout le monde dit : « Voilà le cercueil d'un infi- 
dèle », car le peuple, suivant son habitude constante, se fait 

salter sur lui TexceUente notice que M. Rieu a insérée dans son 
Catalogue of the persian manuscripts in the British Muséum^ 
tome T', page 379, et qui a servi de base à la préface du Séfer^ 
Nàmèhy de Nasiri-Khosrau, publié par M. Gh. Schefer, dans la 
Bibliothèque de TEcole des Langues Orientales Vivantes. 
(i) Par conséquent des disciples des Grecs, des Soufis. 



— io8 

des idées fausses et erronées. J'ai vu plusieurs Nizariens(i) 
pieux qui s'acquittaient rigoureusement de leurs devoirs 
religieux, et qui en même temps se livraient à la boisson. 
Quant à moi, j'ai pour elle la plus grande répulsion, car 
je sais qu'elle équivaut à tous les péchés et qu'elle est la 
mère de tous les vices.» — Emirèh me dit: «La nuit, quand 
ilt'arrivera dépenser alors que tu seras couché, tu verras 
que ce que je t'ai dit te convaincra (2).» — Sur ces entrefai- 
tes, je fus séparé de lui et je trouvai beaucoup de choses 
dans leurs livres au sujet de l'imamat d'Ismaïl, la 
Preuve. J'interrogeai sur ce sujet plusieurs personnes, 
mais je n'en reçus pas de réponse satisfaisante. Je médis : 
« Cet imamat dépend cependant d'une façon absolue de 
traditions ou de textes koraniques et de passages des 
livres de Loi, mais moi je ne sais vraiment pas quels ils 
sont (3). » Sur ces entrefaites, je tombai très gravement 
malade, et Dieu voulut que ma peau se séparât de ma 
chair (4). « // changea sa chair contre une chair plus 
saine et son sang contre un sang plus généreux ». 
Je réfléchis en moi-même que cette doctrine était évidem- 
ment la Vérité, mais c'était par suite de mon extrême 
frayeur que je ne m'y ralliais point. Je me disais : « Le 
terme fatal viendra, et si je ne suis pas arrivé à la Vérité, je 
suis un homme perdu ». A la fin, je me tirai de cette terrible 
maladie et je recouvrai la santé. Je trouvai un autre Ismaï- 
lien nommé Bou-Nedjm-Sarradj à qui je posai des ques- 
tions sur la doctrine de cette secte, il me les expliqua et 
me les commenta longuement. Il y avait un autre person- 
nage, nommé JVJoumin, à qui le sheïkh Abd-el-Mé- 
lik-Attash avait permis de se livrer à l'apostolat. Je 
le priai de me donner l'investiture et de m'aflilier à cette 

(1) Partisans des khalifes fatimîtes du Kaire, autrement dit 
Karmathes ou, ce qui revient au même, Ismaîlieus. 
■ (21 Ou qu'il est absolument nécessaire que tu t'y conformes. 

(3) Le texte se sert ici des mots nass et taukif dont le sens, au 
point de vue théologique, est suffisamment établi dans Lane, An 
ardbic-english lexicon, p. 2797. 

(4) Lilt. que ma chair et ma peau lissent deux choses différentes. 



— I09 — 

secte ; il me répondit : « Toi qui te nommes Hasan. ton 
stade est plus élevé que le mien qui suis Moumin. Com- 
ment pourrais-je recevoir ton serment «x^ et comment 
pourrais-je te faire déclarer que tu reconnais Timam ? » 
Après de vives instances, il finit par recevoir mon ser- 
ment. Au mois de Ramadan de Tannée 464, Abd-el-Mélik- 
Attash, qui à cette époque était missionnaire (daï) pour 
rirâk, vint à Reï et approuva ma conduite, il me chargea 
même de le suppléer dans la Mission et me dit : « llfaut que 
tu te rendes auprès de notre Maître. » Le khalife était alors 
el-Mostanser-BilIah. En Tannée 467, le sheïkh Abd-el-Mé- 
lik Attash quitta Reï et se rendit à Isfahan. En 469, après 
qu'il m'eut choisi comme vicaire, je me décidai à aller au 
Kaire ; je partis d'Isfahan par la rpute de TAzerbeïdjan, 
après m'être rappelé les angoisses et les souffrances que 
j'avais endurées et j'arrivai à Méyafarkin. » 

Hasan-i-Sabbah par via t au Kaire le dix-septième jour du 
mois de Safer de Tannée ^'ji ; le khalife el-Mostanser- 
Billah envoya pour le recevoir le Grand Missionnaire et 
plusieurs de ses principaux officiers ; Hasan demeura un an 
et demi dans la capitale, comblé d'honneurs par tout le 
monde, mais sans voir une seule fois el-Mostanser qui lui 
accordait toutes les faveurs. Quelques-uns des courtisans 
du khalife fatimite finirent même pars'inquiéterdelafaçon 
dont Hasan- i-Sabbah était traité et ils craignirent qu'il 
n'atteignit dans Tempire égyptien une position qui les 
éclipsât ; el-Mostéali-Billah, fils d'el-Mostanser, qui était 
le deuxième ^ et l'héritier présomptif, faisait partie 
des mécontents ainsi que le généralissime Redr-el- 
Djémali ; el-Mostanser ne put, ou ne sut défendre 
Hasân'-i-Sabbah contre cette coalition et celui-ci dût 
quitter TEgypte ; il s'embarqua à Alexandrie. « Soudain, 
dit Rashid-ed-Din, une violente tempête s'éleva qui dé- 
gréa le bâtiment ; cela jeta la consternation dans Téqui- 
.page, tandis que notre maître (iS'irf7i<5=Hasan-i-Sabbah) 
restait parfaitement tranquille ; l'un des matelots lui 
demanda : « Comment peux -tu garder ton sang-froid au 



— IIO ^- 

milieu de pareilles circonstaaces. » Hasan répondit : « El- 
Mostanser-Billah m'avait averti de cet incident et il m'a 
prévenu qu'il n'y a aucune crainte à avoir, c'est pour- 
quoi je ne m'en occupe pas. » 

Le vent poussa le navire à Djibala qui, à cette épo- 
que, était entre les mains des Francs ; le kadi de cette 
ville ayant reconnu Hasan-i-Sabbah, l'emmena chez lui et 
lui donna l'hospitalité dans sa propre maison. 

C'est au mois de Redjeb de l'année 4^3 de l'hégire 
qu'Hasan monta à la forteresse d'Alamout dont il ne sor- 
tit pas une seule fois jusqu'au jour de sa mort, occupé à 
rédiger les règlements de la secte et à écrire des livres 
religieux qui sont tous disparus. Quand Djélal-ed-Din- 
Hasan-ibn-Mohammed-ibn-Hasan se fut rallié à l'Isla- 
misme orthodoxe, et qu'il eut reçu du khalife abbasside le 
titre de « Nouveau Musulman » {Non- Musulman), il 
lança l'anathème contre la mémoire de ses ancêtres (i) et 
fît brûler les ouvrages d'Hasan-i-Sabbah (2); il paraît que 
l'exécution ne fut pas complète ; en effet, quand le khan 
Houlagou s'empara d'Alamout, le sahih-Udwan Ala-ed- 
Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni, vizii: et conseiller d'état, fut 
chargé de trier les livres qui se trouvaient dans les forte- 
resses ismsaliennes et de brûler tous ceux qui étaient rela- 
tifs à la religion et à l'histoire de la secte (3). 

On ne sait au juste à quel mobile obéit Hasan-i-Sabbah 
en fondant la secte des Ismaïliens d'Alamout, ni quel fut 
son but; peut-être fut-ce par ambition personnelle, quoi- 
que tous les historiens, même ceux qui sont les plus pré- 
Ci) Cette coutume se retrouve dans la religion orthodoxe russe ; 
toute personne qui l'embrasse doit maudire la mémoire de ses 
parents ; on ne faisait même pas jusqu'à ces derniers temps d'ex- 
ception pour, les princesses qui abandonnent leur religion quand 
elles épousent un membre de la famille impériale. 

(a) Mirkhond, Rauzet-el-séfa, dans Notices et Extraits, tome IX, 
p. 172- 

(3) Ala-ed-Din raconte lui-même ce fait dans sa chronique inti- 
tulée DJihaJi'Kusha. Il parcourut au moins quelques-uns de ces 
ouvrages et c'est avec les renseignements qu'il en tira qu'il com- 
posa son chapitre sur les doctrines des Bàthéniens. 



— III — 

venus contre lui, le représentent beaucoup plus comme 
un mystique et un homme très simple, que comme un 
vulgaire ambitieux ; il ne faut pas perdre de vue qu'Ha- 
san se considéra toujours comme le missionnaire du 
khalife fatimite du Kaire, el-Mostanser-billah-Aboa- 
Témim-Maad ; il est probable qu'il resta toute sa vie à la 
disposition de ce prince, n'attendant qu'un signe de lui 
pour tenter à nouveau l'aventure qui avait si mal réussi 
à Darazi et à Hamza sous le règne d'el-Hakem-bi-amr- 
Allah; mais le signal ne vint pas, parce que Mostanser 
n'avait pas l'audace de son aïeul et que, d'ailleurs, les temps 
étaient bien changés; ce n'était pas dans des calamités 
au milieu desquelles l'Egypte se débattait désespérément 
que le khalife pouvait songer, si ce fut jamais son idée, 
à reprendre pour son compte les théories d'el-Hakem. 
Il est certain, quoique l'on ne possède guère de docu- 
ments sur la politique des Ismaïliens d' Alamout, qu'après 
lamort de Mostanser, Hasan-i-Sabbah se considéra comme 
le défenseur des descendants de Nizar ; Mostanser avait 
deux fils, Nizar, qui aurait dû être l'héritier légitime, et 
Mostéali ; contrairement à tout droit dynastique, ce fut 
Mostéali qui monta sur le trône, et Nizâr fut assassiné 
par ses ordres (i). Hasan prit le parti de Nizar contre 
Mostéali, comme tout loyal sujet des Fatimites eût dû le 
faire. On a vu plus haut que ce furent les intrigues de ce 
prince qui forcèrent le chef ismaïlien à quitter précipi- 
tamment le Kaire. Ce fait a même une importance beau- 
coup plus grande, comme on va le voir. Suivant Mir- 
khond (2), certains Ismaïliens racontaient qu'un des 
confidents du khalife el-Mostanser , nommé Abou'-l-Hasan- 
Saidi, était venu du Kaire à Alamout, un an après la mort 

(i) L'un des meilleurs historiens de l'Egypte, Abou'-l-Mahasen, 
raconte, dans la el'Nodjonm-^l-zahira'fi'molouk'Misrwa''l'Kahi-' 
ra, cette révolution de palais qui éclata à la veille de la première 
expédition des Francs en Palestine. 

(2) Rauzet-el-sé/a dans Notices et Extraits^ tome IX, p. 167. 
Rashid-ed-Din raconte quelque chose d'analogue dans sa chroni- 
que. 



— lia — 

du khalife, apportant avec lui uu enfant qui n'était autre 
que le fils de Nizar; c'était à cet enfant que revenait Ti ma- 
rnât après la mort de son père, car Mostéali n'était qu'un 
usurpateur. Abou'-l-Hasan confia ce secret à Hasan-i-Sab- 
bah qui éleva le fils de Nizar ; une vingtaine d'années envi- 
ron après cet événement, le fils de Nizai» s étant marié, eut 
un fils que l'on nomma Ala-Zikrihi-Esselam (i); au môme 
moment, la femme du prince d'Alamout, Mohammed, fils 
de Kyâ-Bouzourg-Oumid, fils de Hasan-i-Sabbah, venait 
d'accoucher ; on en profita pour substituer le fils du fils de 
Nizar à celui du prince ismaïlien, et c'est ainsi que le 
descendant légitime des khalifes fatimitesduKaire, l'imam 
véritable, devint prince des Ismaïliens. D'autres Ismaï- 
liens allaient encore plus loin et prétendaient que le fils 
de Nizar avait eu des relations adultères avec Tépouse 
de Mohammed, fils de Bouzourg-Oumid, et que le qua- 
trième prince Ismaïlien d'Alamout, Ala-Zikrihi-Essélam, 
était son fils. 

Cette légende, car ce récit a évidemment été inventé 
de toutes pièces dans un but facile à comprendre, ne se 
trouve pas seulement dans la chronique de Mirkliond, 
mais cet auteiir est le seul qui la rapporte d'une façon 
à peu près raisonnable. 

L'historien arabe Ibn-el-Azrak-el-Fariki prétend au 
contraire qu'après l'avènement de Mostéali, Nizar resta 
caché au Kaire, et qu'Hasan-i-Sabbah l'y vint trouver 
d'Alamout; Nizar aurait épousé la fille du chef Ismaïlien 
et en aurait eu un fils nommé Mohammed-el-Moustafa ou 
Mohammed-el-Kaïm, lequel, à son tour, aurait eu un fils 
nommé Nizar comme son grand-père, qui aurait par con- 
séquent été à la fois le khalife fatimite légitime et le 
prince des Ismaïliens d'Alamout. Cette assertion, tout 
comme celle de Mirkhond, n'a pas d'autre but que de faire 
des chefs ismaîliens les descendants du Mahdi fatimite 
Obeïd-AUah. 

(i) piLJI »y5j J.fi ce qui signifie « que le salut soit sur sa men- 
tion ou sur son souvenir x>. 



— ii3 — 

Le vizir de Ghazan, Fadl-Allah-Rashid-ed-Din raconte 
dans sa chroniqae intitulée Djamiet-téwarikh, que le 
prince ismaïlien Rokn-ed-Din-Khourshah est fils d*Ala- 
ed-Din-Mohammed, fils de Djélal-ed-Din-Hasan, fils de 
Nour-ed-Din, connu sous le nom de Ala-Zikrihi-Ëssélam, 
fils d'el-Kaher-bi-kouwet-AUah, fils d'el-Mohtédi-billah, 
fils d'el-Hadi-ila- Allah, fils d'el-Moustafa-li-din-Allah- 
Nizar , fils du khalife fatimite el-Mostanser-billah. Il est 
surprenant qu'un historien aussi sérieux et généralement 
aussi consciencieux que Rashid-ed-Din, ait admis une 
pareille généalogie sans s'apercevoir de son absurdité. En 
effet, Mostanser-billah est mort en 1094 de l'ère chré- 
tienne, c'est donc en 1095 environ qu'on apporta à Ala- 
mout le fils de l'infortuné Nizar ; le fils du fils de Nizar, 
Ala-Zikrihi-Essélam estnéeniia6, puisque Mirkhond dit 
qu'il est né la même année que le fils de Mohammed, fils 
deKyâ-Bourzoug-Oumid. Or, dans cet intervalle de 3a an- 
nées, il est impossible de faire tenir les quatre intermé- 
diaires que Rashid-ed-Din place entre Ala-Zikrihi-Es- 
sélam et le khalife fatimite el-Mostanser-billah ; la même 
objection vaut contre la généalogie donnée par l'auteur du 
Omdet'eUtâlib-fi'néseb'âUAboU'Tâlib. 

Cet auteur dont les termes en ce passage sont assez peu 
clairs et même inexacts (i) dit que Ala-Zikrihi-Essélam 
qu'il appelle Ala-ed-Din, prince de la citadelle de l'Occi- 
dent (lire d'Alamout) était le fils de Djélal-ed-Din-Hasan, 
fils d'Ala- ed-Din-Mohammed, fils d'Abou-Abd-Allah- 
Hoseïn, fils d'el-Mostafa-li-din-AUah-Nizar; il est inutile, 
après ce qui a été dit pour Rashid-ed-Din, de s'attarder 
à relever les erreurs de cette généalogie absurde. 

(i) Arabe 3031, folio i45 recto. 



XV 



. La Perse mise à part, c'est dans le Maghreb, et en général 
dans les pays de l'Afrique du Nord, que la doctrine mah- 
diste a été le plus rapidement et le plus complètement 
acceptée ; il serait trop long d'examiner ici les causes mul- 
tiples de ce fait qui ne laisse pas d'être assez étrange à 
première vue, car il semble que la théorie messianique 
étaitbien idéaliste pour les Berbers de l'Atlas et pour les 
nègres du Kordofan. La chute de la dynastie fatimite du 
Kaire laissait les Maghrébins sans imam, car tous les prin- 
ces de la famille d'el-Adid-li-Din-Allah avaient été soi- 
gneusement enfermés par Saladin et ils ne pouvaient se 
rallier aux Assassins qui prétendaient être, comme on Ta 
vu plus haut, les descendants du fils de Nizar et par consé- 
quent du Mahdi Obeïd- Allah. Non seulement les Africains 
en étaient fort éloignés, mais encore aurait-il fallu qu'ils 
fussent certains de l'authenticité de cette histoire bizarre. 

La place d'imam ne resta pas longtemps vacante et il 
est bien probable que plus d'un ambitieux attendait de- 
puis longtemps le moment de proclamer sa mission 
divine; les derniers Fatimites n'avaient plus aucune au- 
torité dans ce Maghreb qui les avait acclamés à l'époque 
d'Obeïd- Allah, et Mohammed-ibn-Toumert mourut en 1 163, 
huit ans avant le dernier khalife du Kaire, el-Adid-li-din- 
AUah, après s'être fait reconnaître comme le Mahdi par 
les Berbers de l'Atlas, et après avoir soumis à son autorité 
le Maroc et la plus grande partie de l'Espagne, (i) 

Les Sultans Shérifs qui régnent aujourd'hui encore sur 
le Maroc, déclarent n'exercer la souveraineté temporelle 
qu'en qualité de descendants d'Ali, fils d'Abou-Taleb, au 

(i) Ibn-Khaldoun, Histoire des Berbers, traduite par Mac 
Gluckin de Slane, tome II, p. i6i; Ibn-KhalUkan, Biographical 
Dictionary^ traduit par le même, tome II, p. i8a. 



— ii5 — 

même titre qae les Fatimites d'Egypte et les Séfévîs de 
l'Iran. Deux dynasties de Shérifs alides se sont succédées 
sur le trône du Maroc, la première, celle des Saadiens est 
éteinte depuis le milieu du xvii« siècle, époque à laquelle 
le pouvoir souverain passa aux mains des princes de 
Sédjelmasa, les Shérifs Filalis. 

L'ancêtre des souverains de la première dynastie shéri- 
iîenne du Maroc vint dans ce pays du petit port de 
Yanbo (i), près de la Mecque, au commencement du viii^ 
siècle de l'hégire, et c'est à cette même époque que l'an- 
cêtre des Shérifs Filalis, qui étaient également des des- 
cendants du Prophète, vinrent à Sédjelmasa (2). 

Ce fait n'a rien de surprenant quand l'on sait avec quelle 
facilité et avec quelles faibles ressources, les sectateurs 
de l'Islam entreprennent des voyages extrêmement lon^s 
à travers toute l'étendue des pays musulmans. Aujour- 
d'hui encore, il n'est point rare de voir des prédicateurs 
venir de Yanbo jusqu'en Algérie pour faire des sermons 
et recevoir pour tout salaire une cinquantaine de francs. 

Quoique la généalogie qui fait des Sultans Shérifs 
du Maroc les descendants d'Ali, fils d'Abou-Taleb, soit 
probablement exacte, elle n'en a pas moins été atta- 
quée par leurs adversaires avec le même parti-pris et la 
même violence que celles des khalifes Fatimites d'Egypte. 

(ij Les premiers Musulmans ne craignaient pas d'entreprendre 
des expéditions autrement lointaines et bien plus dangereuses : 
l'ancêtre de Tune des familles royales qui régnèrent sur Mada- 
gascar, celle des Antaïmoro était un Shïite, un partisan des 
douze imams, qui vint de Moka dans la grande île africaine où il 
se fixa dans la vallée de Matatana ; les Antaïihoro qui furent très 
puissants à Madagascar au Moyen- Age sont aujourd'hui réduits à 
an état des plus misérables. Les chroniques malgaches donnent à 
cet émigrant le nom d'Andriamboaziribc, il se maria avec 
Andriambarilanirano et eut pour fils Vazaha Firoforo, Vazaha 
Voloïmpo et Vazaha Sandranato. Le premier des rois Antaïmoro 
fut Ramakarano, les quatre premiers régnèrent au capAinbahoahé, 
les autres au village d'Ivatoarivo. 

(2) Ibn-el-Kadi dans le Dorret-eUsolouk fi-men-hava-el-monlk- 
min-^l'inoloukf cité par Mohammed-es-Saghir dans le Nozhet-el- 
hadl (Houdas, page 18). 



— ii6 — 

Il est bon de remarquer dès à présent qu'elle offre moins 
de variations que celle du Mahdi Obeïd-Allah, mais il ne 
faudrait pas en tirer cette conclusion que son authenti- 
cité est plus généralement reconnue, cela tient seulement 
à ce fait qu'elle est rapportée par un plus petit nombre 
d'historiens et que les causes des divergences diminue par 
cela même. 

Le principal de ces historiens est l'auteur du Nozhet-eU 
hadi'bi'akhbar-molouk-el'karTi'el'hadi (i), Mohammed- 
el-Saghir-ibn-el-Hadjdj-ibn-Abd-Allah-el-Oufrânî, qui 
s'appuie pour cette question sur l'autorité de plusieurs 
chroniques parmi lesquelles il convient de citer le el' 
montéka-el-maksour- ala-maasir - khilafet - eZ - Sultan - 
Aboul'AbbaS'Ahmed-el'Mansour, par Aboul-Abbas- 
Ahmed-ibn-Mohammed-ibn-Mohammed-ibn-el-Afia, sur- 
nommé Ibn-el-Kadi, et le Z>o/Te^-^Z-soZottA:, d'Ibn-el-Kadi. 
D'après ces différents auteurs, l'ancêtre de la dynastie 
des Shérifs du Maroc, Abou-Abd-Allah-el-Kaïm-bi-amr- 
Allah (2), qui prit le titre à' Emir-el-mouminin et de kha- 
life au commencement du xvi® siècle, était le descen- 
dant à la i8<» génération de Kasem, fils de Mohamoied- 
el-Nefs-el-Zakia (Mohammed, l'âme pure), fils d'Abd- 
Allah-el-Kamil, fils d'Hasan, fils d'AU, fils d'Abou-Taleb 
et de Fatima la pure. Cette généalogie était la plus répan- 
due au Maroc à l'époque à laquelle écrivait Mohammed- 
el-Saghir-el-Oufrânî, mais il parait, d'après les termes 
mêmes de cet historien, qu'elle n'est point absolument 
exacte. En effet, Mohammed-el-Nefs-el-Zakia n'eut point 
de fils nommé Kasem, et sa descendance ne peut, suivant 
deux célèbres généalogistes, el-Mekki-el-Samarkandi et 
el-Mesnévi, s'établir que de la façon suivante : Mo- 
hammed-el-Nefs-el-Zakia, père d'Abd -Allah -el-Ashter, 

(I) Publié et traduit par M. Houdas dans la Bibliothèque de 
VEcole des Langues Orientales, UI* série, vol. II et III. 

(a) Ou raconte que ce prince eut un song^e qui lui prédit a 
grandeur à laquelle atteindraient ses descendants. Cette légende 
se retrouve en Orient à Torigine de presque toutes les dynasties, 
aussi bien pour les Mozafférides que pour les Bouïides. 



— IIJ — 

père de Mohammed, père d*Hasan le borgne, qui fut 
assassiné sous le règne du khalife el-Motaz-billah (866- 
868). Cet Hasan le borgne eut quatre fils dont le dernier 
se nommait Kasem. C'est de ce personnage que descen- 
drait le fondateur de la dynastie des Shérifs Maghrébins. 

Les ennemis de ces princes, qui étaient légion au 
Maroc, et en particulier les Shérifs de Sédjelmasa dont ils 
se disaient cousins, prétendaient que cette généalogie 
était fausse et qu'ils avaient cherché sans aucun droit à 
rattacher un de leurs ancêtres à un descendant d'Ali ; une 
opinion assez généralement répandue parmi leurs adver- 
saires était qu'ils étaient issus des Béni-Saad, fils de Bekr, 
fils de Hawazin, tribu à laquelle appartenait Halima-el- 
Saadiyya, la dernière nourrice du Prophète Mohammed. 
C'est même pour cette raison qu'on leur a donné le titre de 
Shérifs Saadiens, qu'ils n'ont jamais pris eux-mêmes, et 
qu'ils défendaient absolument d'employer dans leur pro- 
tocole, car il n'avait été inventé que par ceux qui niaient 
leur noblesse (i). 

Le premier des Shérifs de Sédjelmasa dont Iç descendant, 
Abd-el-Aziz, règne aujourd'hui sur le Maroc(2), fiitMaulay 

(I) Houdas, Nozhet-elrhadi, trad., p. i6. 

(a) Voici la succession de ces princes jusqu'au commencement 
du XIX* siècle. Quelques-uns n'ont fait que passer sur le trône, 
être renversés, puis restaurés, j'indique par les mots bis, ter, les 
différents règnes de ces souverains qni portent tous le titre de 
Maulay : 

el-Shérif-ibn-Ali (i) 

Mohammed (2) er-Réshid (3) Ismaîl (4) 

el-Zéhébi Abd-el-Mélik Abd-AUah Ali Mostadi Zeïn-el-Abidin 
(5, 6 bis) (6) (7, 8 bia, 9 bis, (8) (9, 11) (10) 

10 bis y 
II bis, la bis) 

Sidi-Mohammed (la, i3) 



I I 

Yézid (14) Soleîman (i5) 



Abd-el-Aziz (1900) 



— ii8 — 

Hasan, fils d'el-Kasem, qui fat appelé en 664 de Thégire 
(xa65 J.-C), de Yanbo à Sédjelmasa par le vœu unanime 
des habitants de cette contrée. Cet Hasan, fils d'el-Ka- 
sem, qu'on appelle souvent Hasan-el-Dakhil, était le descen- 
dant, à la quinzième génération, deMohammed-el-Nefs-el- 
Zakia (Mohammed Tâme pure) ; or, si la généalogie des 
Shérifs de Sédjelmasa donnée par Mohammed-el-Saghir- 
el-Oufrani dans le NozheteUhadi (i), d'après un grand 
nombre d'ouvrages qu'il serait trop long d'énumérer 
ici (a), est d'une autorité incontestable, il s'en suit immé- 
diatement que celle des Sultans Shérifs Saadiens l'est éga- 
lement et au même titre. En effet, ces deux généalogies 
ont une partie qui leur est commune jusqu'à Mohammed, 
descendant à la 17® génération d'Ali, comme l'indique le 
tableau suivant, dans lequel les noms des Shérifs Saadiens 
sont imprimés en italiques. 

Abou-Taleb 

L 

I 

Hasan-el-Sibt 

I 

Hasan 

I 

Abd-AUah-el-Kamil 

Mohammed-el-Nefs-el-Zakya 

Kasem 

Ismaîl 

Ahmed 

Hasan 

I 
Ali 

I 
Abou-Bekr 

I 

(i) Hondas, ibid,, page 47^ et le Maroc de i63i à 1812, Introd., 
page 9. 

(a) La principale de ces chroniques est le ed-donr-eUséni-fi- 
men-bé'FcLS'Tnin-el-néseb'el-hasanî, par Abou-Mohammed-Abd-el- 
Sélam-el-Kadiri. 



— 119 — 

Hasan 

I 

Mohammed-Abou-Arfa 

Abd-Allah 

Hasan 

Mohammed 

Aboa'-l-Kasem 

Mohammed 



Ahmed Kasem 

I I 

Zidan Hasan 

Makhlouf Mohammed 

I I 

Ali Hasan 

I I 

Abd-^r-Rahman Ali-el-Shérif 

Mohammed-eîrKaîm-biamr- Allah Yousouf 



Mohammed'el-Mahdl 



A 



Mohammed 

el-Shérif 

Personne ne conteste aux Shérifs Saadiens la partie de 
leur généalogie qui s'étend de Mohammed-el-Kaïm-bi- 
amr- Allah à Ahmed, fils de Mohammed et frère de Kasem, 
père de Hasan-el-Dakhil, le premier Shérif hasanien de 
Sedjelmasa. 

Or si Mohammed, fils d'Aboul-Kasem, est bien le des- 
cendant d'Ali pour la généalogie des Shérifs de Sedjel- 
masa, il l'est également pour celle des Shérifs Saadiens, 
puisque Mohammed, fils d'Aboul-Kasem, est leur ancêtre 
commun, et que cette partie de la généalogie est commune 
aux deux branches des Alides du Maghreb (i). Il faut 

(i) En efTet Mohammed-el-Saghir-el-Onfrânî dit dans le NozheU 
eUhadi (Hondas, texte, page 6), jjb Jlî.i3JI ^\3 ^Ji ^^ 0.^1 yl^ 



— I20 — 

croire que romission de trois noms entre Mohammed-el- 
Nefs-el-Zakia et Kasem dans la liste des ancêtres des Shé- 
rifs de Sedjelmasa avait moins d'importance que dans 
celle des Shérift Saadiens pour les ennemis de ces der- 
niers. 

On a vu plus haut que d'après les auteurs musulmans» 
la venue du Mahdi fatimite avait été prédite par une tradi- 
tion attribuée à Mahomet; les historiens maghrébins ont 
trouvé qu'une parole du Prince des Prophètes ne suffisait 
point pour annoncer celle du premier sultan de la dynas- 
tie des Shérifs, et ils prétendent que c'est Allah lui-même 
qui l'a annoncée dans le Koran. Un nommé Sidi-Ali-ibn- 
Haroun (i) trouvait que l'avènement de la dynastie Shé- 
rifienne dans le pays arrosé parl'Oued-Draa, était prédit 
par le verset io5 de la XXI« Sourate. « Nous : avons écrit 
dans les Psaumes, après l'invocation : Certes, la terre sera 
l'héritage de mes serviteurs vertueux »^^?JÎ i U.AiS'ooUf^ 
^jj^UaJ! 4^:»La-^ L^j-j c>j^5 (j' j^ôJ] ù<x> ç^ 

Il parait que la conquête de l'Egypte par Sultan Sélim 
rOsmanli était également prédite par ce verset, car le 
nombre représenté par Joi)^ dans le djomâl {o) est le 
même que celui qui est représenté par Sélim, de plus l'ad- 

Jli IjJl ^j^ JJI3 ^\S 0JI3 

« Et le seyyid Hasan, iiis de Kasem, qui (Hasan) entra le premier 
dans le pays de Sedjelmasa... était le fils de Toncle parternel de 
leur grand-père (aux Shérifs Saadiens) qui entra le premier dans 
le pays de TOued-Draa; c'est Zidân, fils d'Ahmed, fils de 
Mohammed, père de Kasem, père d'Hasan, qui entra (dans le pays 
de Sedjelmasa). » 

(i) Hondas , NozheUeUhadi-'bUakhbcu^moloÛk'eUkiirn-el'hadi , 
trad., page a5. 

(a) Pour la définition du djomâl je ne saurais mieux faire que 
reproduire la note a de la page 28 de la traduction du Nozhet-eU 
hadi, de M. Hondas : a Le mot djomâl signifie addition; par 
suite on donne ce nom à une sorte de procédé de divination qui 
consiste à additionner la valeur numérique des lettres d*un texte 
du Coran pour connaître la date à laquelle un fait déterminé doit 
se produire. » 



— 121 — 

dition des trois lettres du mot j^S donne 920 qui est l'année 
durant laquelle le sultan osmanli vainquit Touman-Bay 
de telle sorte que ce verset, ainsi interprété, devient : 
« Sélim ! nous avons écrit dans les Psaumes après l'invo- 
cation : Certes, après 920, la terre sera l'héritage de me& 
serviteurs vertueux. » Ce procédé divinatoire d'une appli- 
cation aisée, appliqué aux différents noms du premier 
sultan Shérif ne donne rien de bien satisfaisant; il n'y a 
que la date de 920 qui concorde avec l'époque à laquelle 
la dynastie shérifienne arriva au pouvoir dans le Ma- 
ghreb. L'auteur du Nozhet-el-hadi déclare lui-même qu'il 
ignore comment l'on pouvait tirer cette prédiction de ce 
verset. Il est prudent d'imiter sa réserve. 

L'agitation madhiste ne se termina pas au Maroc avec 
l'avènement des Shérifs originaires de Yanbo, et l'onpeut 
dire qu'elle existe encore à l'état latent dans ce pays, 
n'attendant qu'une conflagration européenne pour éclater 
avec la même violence qu'aux siècles de jadis. 

Abou-1-Kasem-ibn-Ahmed-ez-Ziani raconte dans le eZ- 
tordjeman-el-moareb'an'donvel'el'Mashrek'We'-l'Magh- 
reb, qu'en l'année 1197 de l'hégire (1783 J.-C.) « il y eut 
une émeute suscitée par le missionnaire {daï) el-Hadjdj- 
el-Yemmouri; ce personnage se livrait à l'apostolat et pré- 
tendait être l'envoyé du « Maître du Temps (2) ». 

(i) Après les conquêtes en Syrie qui amenèrent la chute défini- 
tive de Jérusalem, le Sultan el-Mélik-el-Naser-Salah-ed-Din-You- 
souf-lbn-Ayyoub lit écrire au khalife de Bagdad, el-Nasir-li-din- 
Allah par le katlb Imad-ed-Din-el-Isfahani, une lettre commençant 
par cette même formule. Djémal-ed-Din-ibn-Wasil nous en a con- 
servé une partie dans son grand ouvrage historique intitulé 
MoferredJ-el-kéroub'fi'akhbâr'molouk -Béni - Axyoub , manuscrit 
arabe 1702. 

• Nous avons écrit dans les Psaumes après Vinvocation : Certes, 
la terre sera Vhéritage de mes serviteurs vertueux. » Louange à 
Allah qui a réalisé cette promesse, qui a élevé notre sainte reli- 
gion au-dessus de toutes les autres, celles du passé comme celles 
de Tavenir I... » 

(2) iLi^b JL5l 4^^3 j'Sv. u^c5«J^' <^>V è^ J^J Mî ^^ ^A 

O. Houdas, Le Maroc de i63i à 1812, extraits de V ouvrage inti- 



— 122 — 

On voit par ces quelques mots de l'historien maghrébin 
que rien n'était changé dans les habitudes des mission- 
naires des sectes ismaïliennes ou simplement shîites. Tout 
comme Abd-AUah-el-Meshréki, el-Hadjdj-el-Yemmouri 
sut acquérir une grande renommée chez les Berbers et il 
parvint à leur faire croire tout ce qu'il disait; mais le 
sultan Sidi-Mohammed, fils d'Abd-Allah, fils d'Ismaïl, 
envoya contre lui des troupes qui le défirent, et il périt de 
la main du bourreau. Le Mahdi dont il annonçait la venue 
prochaine ne trouva pas le moment propice pour appa- 
raître et de ce côté, tout rentra dans l'ordre au Maroc. 

tulé EttordJemçLn. Paris, Imprimerie Nationale, 1886, p. 83 du texte 
arabe. 



XVI 



Des trois grandes divisions de l'hérésie fatimite, ce fat 
la secte des Ismaïliens ou Assassins qui resta la dernière 
pour le plus grand dam du Sunnisme orthodoxe. On sait 
que le frère de Fempereur de Chine Mangkou-Kaan, Hou- 
lagou, l'anéantit en 1266 de notre ère, et que son dernier chef 
mourut au milieu des solitudes de la Tartarie, en revenant 
de la cour du Fils du Ciel qui ne l'avait même pas admis 
à contempler son impériale Majesté. Cette date marque 
une division bien nette dans l'histoire de l'hétérodoxie 
musulmane, car les bouleversements politiques causés par 
les deux invasions mongoles changèrent entièrement la 
face du monde de l'Islam. A partir de ce moment, une 
grande partie des pays qui le composaient, la Perse en 
particulier, devinrent jusqu'au commencement du xvi® siè- 
cle, la proie des hordes turques et mongoles qui étaient 
sorties des steppes glacées et des toundras de la Tartarie ; 
les autres, ceux qui avaient échappé à cette avalanche, res- 
tèrent sur le qui- vive, hypnotisés par l'épouvante etcroyant 
toujours entendre le galop des cavaliers aux coursiers 
bardés de fer, jusqu'à ce que la terreur mongole se fut 
définitivement évanouie. La double invasion des Tartares 
de Djingiz-Khakan et des Turks de Timour-Kourkan ne 
s'étendit pas, autant que l'auraient voulu les deux con- 
quérants, jusqu'aux grèves de la mer occidentale, et par 
deux fois elle vint se briser contre les troupes presque 
invincibles des Sultans Mamlouks du Kaire. Ce fut le salut 
de l'Occident, qui ne s'en douta guère : sans les défaites 
d'Aïn-Djaloutet de Homs, l'invasion se serait indéfiniment 
étendue vers l'Ouest, et les Mongols, plus heureux que leurs 
ancêtres les Huns, seraient venus planter leurs étendards 
jusque sur les murs des capitales de l'Occident. L'Asie 



— 124 "" 

paya pour TEurope, et pendant deux siècles et demi, la 
Perse fut livrée, sans défense, à toutes les brutalités 
des vainqueurs. L'empire fondé dans l'Iran par la postérité 
de Djingiz-Khakan s'était tellement effrité en un laps de 
temps très court, que Timour n'eut qu'à se présenter pour 
recueillir sa succession, mais quand les descendants de 
Timour euienl à leur tour dilapidé et gâché l'immense 
héritage que leur avait légué le grand conquérant, il ne 
restait plus rien dans le pays d'Iran, qui fut à la veille 
de devenir la proie des brigands turitomans des tribus du 
Mouton noir et du Mouton blanc. 

Par bonheur, la Perse put confier la garde de ses des- 
tinées à une famille que ses vertus illustraient plus 
encore que sa noblesse, et dont les premiers rois la sau- 
vèrent de l'anarchie intérieure autant que de l'invasion 
étrangère. 

Depuis la chute de la dynastie Sassanide jusqu'à l'avène- 
ment des Sété vis avec Shah-Ismaïl, la Perse n'avait jamais 
eu d'existence politique indépendante. Suivant les hasards 
des époques et de sa destinée, elle avait été une province 
de l'empire des Khalifes ou des Seldjoukides, l'apanage 
de l'une des branches cadettes de la dynastie mongole, ou 
un morceau de l'empire de Timour, que les descendants 
du conquérant ne tardèrent pas à se disputer l'épée à la 
main. C'est à cette dynastie de mystiques et de derviches 
que revient la gloire de lui avoir rendu son indépendance 
et d'en avoir lait une unité politique, qui compta dans les 
destinées cie l'Asie, autrement que ne l'avait fait la pro- 
vince perdue dans l'immensité de l'empire de Khoabilaîoa 
de Timour- Kourkan. 

Shah-Isinaii (i) était le descendant à la dix-huitième 
génération de Timam Mousa-el-Kazem, fils de Djaafer-el- 
Sadik et huitième imam des Shïites imamis ; ses ancêtres 
habitaient la petite ville d'Ardébil, et ils y avaient acquis 
par leurs austérités un renom de sainteté auquel le grand 

(i) Les Séi'evis, imamistes ou partisans des 12 imams n'avaient 
rien de commun avec les sectes révolutionnaires ismalliennes du 
Shiisme iranien. 



— 125 — 

Timour ne dédaigna pas de rendre un hommage public. 
L'avènement de cette dynastie de moines ou plutôt de Sou- 
fis,au trône de Perse est l'un des faits capitaux de l'histoire 
de cette contrée, et l'on ne saurait lui trouver aucun paral- 
lèle à cause du caractère mixte, à la fois politique et reli- 
gieux des descendants du Prophète. Après la mort d'Henri 
IV un Jésuite se fût assis sur le trône de France que ce ne 
serait pas encore un fait comparable à l'avènement du clé- 
ricalisme mystique et ésotérique des Séfévis. Une faut pas 
oublier en effet que tout Alides et nobles qu'ils fussent, les 
Séfévis n'en étaient pas moins de bons religieux, des der- 
viches, tout comme Djélal-ed-Din-Roumi, l'immortel auteur 
du MesnéçL Ce rapprochement fait mieux comprendre à 
quel point est étrange l'avènement de la dynastie fondée 
par Shah Ismaïl; et cependant, ces derviches dont les 
ancêtres passaient leurs journées et leurs nuits en prières 
et en méditations, sont avec les Sassanides, la dynastie la 
plus brillante qui aitrégné sur la terre d'Iran. Ce n'était pas 
la première fois d'ailleurs, que le cléricalisine escaladait, 
dans la personne d'un prêtre, les marches du trône de 
Perse ; un fait identique s'était produit près de vingt siècles 
auparavant, au lendemain de la mort ou du suicide de 
Kambyse, lorsque le Mage Smerdis, qui, selon toutes les 
vraisemblances historiques, n'était qu'un imposteur, s'em- 
para de la couronne de Perse et régna tranquillement pen- 
dant neuf mois. Sans Darius et ses six frères d'armes, rien ne 
dit que le moine n'eût pas fait souche de rois, et que les 
Achémenides n'auraient pas été définitivement exclus d'un 
trône qui leur revenait de plein droit. 



XVII 



On a vu que c'est dans la doctrine de la secte des Ismaï- 
liens que la théorie des imams cachés (mestour) et du 
Mahdi se trouve exposée avec le plus de netteté; si elle pa- 
rait quelquefois un peu flottante, cela tient uniquement à ce 
fait que presque tous les historiens musulmans qpii nous 
ont fait connaître leurs dogmes, les considéraient comme 
des monstruosités. C'est dans cette secte maudite du Sun- 
nisme orthodoxe que se manifeste le plus clairement ce 
nihilisme religieux auquel correspondait, dans l'ordre 
social, le communisme le plus absolu. Nous allons montrer 
que ce système politique et théologique a été presque 
entièrement emprunté à la Perse d'avant l'Islam, comme 
les historiens musulmans l'ont parfaitement reconnu : en 
définitive, l'étrange religion ismaïlienne se rattache direc- 
tement à celle que Timposteur Mazdak tenta de fonder à 
la fin du règne des Sassanides, et leur doctriçe n'est que 
le développement historique de celles qui séduisirent 
les dernières années du bon roi Khosroès Perviz. 

Le Shïisme iranien qui a traversé tout l'Islam en provo- 
quant des révolutions sans nombre, depuis les frontières 
de Chine jusqu'aux grèves lointaines que viennent battre 
les flots de l'Atlantique, est né de la réaction du génie 
messianique iranien contre l'esprit sémitique, dont le but 
était justement d'anéantir la croyance au Messianisme. On 
peut aller plus loin encore et montrer que le Mahdi des 
Shïites est emprunté à un personnage qui a son existence 
propre dans la religion mazdéenne, le Kéanide Bahram le 
Victorieux. 

Comme je l'ai fait remarquer dans un article antérieur (i), 

(i) De l'influence de la religion mazdéenne sur les croyances 
des peuples turcs, extrait de la Revue de VHistoire des Religions 
de i8gy. 



— 127 — 

le récit de lajSn du monde tel qu'il se trouve exposé dans les 
livres mazdéens, n'est pas primitif, et il dérive certainement 
d'une interpolation dont il est facile de deviner Torigine. 
Il semble bien que dans la légende primitive, le Messie, 
on oserait presque dire le Mahdi des Mazdéens, qui devait 
paraître à la fin de la douzième période millénaire du 
monde, pour accomplir la résurrection et achever l'œuvre 
du Prophète, était Bahram-Amavand (i) (Verethraghna- 
Amavanta), que ce prophète fut Djemshid, le roi Soleil, ou 
Zoroastre (a). L'intercalation dans la légende mazdéenne 
de la geste de Zoroastre a complètement bouleversé le 
dogme iranien, et il a fallu faire de la place aux nouveaux 
venus aux dépens des anciens ; c'est alors qu'on réduisit 
Djemshid à n'être plus que le roi glorieux de la légende 
iranienne, en lui retirant le Prophétisme et que le Messie 
Bahram Amavand devint un succédané incolore et aux trois 
quarts inutile, des trois Messies, fils à venir de Zoroastre. 
Je ne reviendrai pas sur l'étrange légende, évidemment 
forgée après coup, d'Ukhshyat-ereta, d'Ukhshyat-nemo et 
de Saoshyant (3) ; ce ne sont que de froides abstractions 
théologiques dont le rôle s'explique aussi mal que possible 
et dont l'utilité est des plus contestables. Je n'insisterai 
pas plus longtemps sur cette question, car elle deman- 
derait pour être étudiée à fond des développements beau- 
coup trop considérables ; mais je crois qu'on ne peut guère 
douter que le vrai Messie de l'Iran fût Bahram- Amavand, 
dépossédé de son Messianisme au profit des trois fils de 
Zoroastre, comme Djemshid avait été dépouillé de son 
Prophétisme au profit de leur père. L'universalité de la 
mission de Bahram Amavand est suffisamment prouvée 

(I) Ibid, 

(a) Primitivement Zoroastre n'avait aucun des attributs de la 
Prophétie ; il était simplement Tun des membres de la dynas- 
tie des prêtres de Haoma; j'étudierai un jour, sous l'empire de 
quelle préoccupation et à quelle époque les théosophes mazdéens 
ont fait entrer le cycle de Haoma et de ses prêtres dans le cycle 
prophétique et royal de Tlran. 

(3j Ibid. 



— 128 — 

par un passage du Grand Bundehesh pehlvi, qui est 
cependant dérivé du Néo-Avesta et rédigé avec le même 
parti pris de substituer le cycle de Zoroastre à l'antique 
légende royale de l'Iran : « En ce temps-là, viendra du 
Kavoulistan (i) un homme en qui résidera la gloire de la 
famille des divins Kcanides; il se nommera Yahram et 
tous les hommes le suivront; il sera souverain de l'Inde, 
souverain de la Grèce, souverain du Turkestan et de tous 
les pays ; il abolira toutes les mauvaises croyances, res- 
taurera la religion de Zoroastre, et personne ne pourra 
plus avoir une autre croyance ». On se demande ce que 
viennent faire après cela les trois Messies, fils de 
Zoroastre (2). 

C'est la théorie messianique zoroastrienne qui a inllué 
sur la formation du Mahdisme musulman ; dans la théorie 
ismaïlienne, la plus parfaite de tout le Shïisme, l'appa- 
rition du Mahdi est précédée par la venue de trois imams 
cachés ^yLu*^ (3). Je suis très tenté de voir dans ces trois 
imams cachés la copie des trois fils de Zoroastre, 
Ukhshyat-ereta, Ukhshyat-nemo et Saoshyant et dans le 
Mahdi, Bahram Amavand. 

L'explication du nombre douze des imams est plus dif- 
ficile et doit se rattacher à des calculs cabbalistiques dont 
nous ne connaissons pas l'origine, et analogues à ceux < 
qui font les délices des Soufis. Peut-être, mais ce n'est 
là qu'une hypothèse tout-à-fait hasardée, ce nombre cor- 
respond-il aux douze périodes du monde dans la cosmo- 
gonie iranienne. En tout cas, aujourd'hui que l'on est 

(I) Le pays de Kaboul, qui pour les Mazdéens du Néo-Avesta 
était une dépendance politique de Tlnde. 

(a) Zak'i angàm min kôat-i Kàçulisiân êvak-i ^a7im/ân£t 
manaah gadâ patash min dàtak-i bakân Kâi Vahrâm karittuid; 
hamâk martàm Ivatâ olâ li-alshar yahvùnd u pûn-ic Hindàkàn ù 
Hràm u Tàrkistân u hamûk kôst pâtakhshâhîh obdûnil ; hdmâk 
avâràn gîravishn IVal yakhaanfinit din-î Zariàhasht vinârit iah 
pàn hic giravishn ol padtâkih là tuvân yàtûntan, 

(3) Autrement dit, le Mahdi est le dernier de la période que Ton 
appelle dans le Mahdisme la a période des quatre cachés ». 



— 129 — 

revenu de la théorie trop commode des mythes solaires, 
personne ne songera plus à voir dans les douze imams la 
personnification des douze signes du Zodiaque. 

On saitque dans la théorie cosmogonique du Mazdéisme, 
l'existence du monde est divisée en douze périodes d'une 
durée égale; dans l'Avesta et dans les livres du Néo-Maz- 
déïsme, la durée de chacune de ces périodes est de mille 
ans ; il serait imprudent d'affirmer qu'il en était de 
même dans le Mazdéïsme primitif (i). Chacune de ces pé- 
riodes était sous la domination d'un astérisme, et vrai- 
semblablement aussi d'un représentant de la divinité, dont 
la mission n'allait pas jusqu'au Prophétisme ; il reste 
assez de traces de cette constitution primitive du monde 
mazdéen dans le Néo-x\vesta pour qu'on puisse la recons- 
tituer en entier; ce n'était qu'à la fin du monde que devait 
paraître le Messie. 

Il est certain que l'hétérodoxie musulmane n'a pas tiré 
ridée messianique de son propre fonds, mais qu'elle l'a 
emprunte à l'étranger et on va voir qu'il y a de grandes 
chances pour qu'elle l'ait emprunté à la Perse mazdéenne. 
Il faut écarter le judaïsme, car malgré l'opinion générale- 

(i) Il est très probable qu'il ne faut pas voir dans cette division 
de la vie du monde une tentative pour baser la mesure du temps 
sidéral sur la précession des équinoxes. On sait qu'il faut envi- 
ron a6,ooo ans pour que le point vernal ait décrit toute la circonfé- 
rence de l'écliptique, en admettant que ce mouvement de rétro- 
gradation soit continu et uniforme. L'obliquité de l'éclip tique 
variant suivant une équation qui n'est point connue, la durée du 
mouvement de rétrogradatioa du point vernal n'est qu'approxi- 
mativement de 26,000 ans, et il se peut qu'elle soit encore modi- 
fiée par une foule d'autres constantes sidérales. Dans ces condi- 
tions il est très possible que les astronomes de l'antiquité aient 
attribué à la rétrogradation du point vernal une durée de 
34*000 ans divisée en 12 périodes de deux millénaires, pen- 
dant lesquelles le point vernal décrivait un arc de 3o"» de l'éclipti- 
que. La précession des équinoxes passe pour avoir été découverte 
par le célèbre astronome grec Hipparque, en l'année 128 avant 
notre ère, mais il est très probable que ce mouvement de rétro- 
gradation apparente du point vernal avait été observé à des épo- 
ques très reculées par les astronomes égyptiens et chaldéens 
qui furent les maîtres de la science hellénique. 



— i3o — 

ment reçue, il n'a joué qu'un rôle très effacé dans la forma-^ 
tion de l'Islam, bien inférieur à celui du Christianisme ; 
en admettant même que le Messianisme du Shîisme soit 
emprunté de toutes pièces au Judaïsme, cela ne ferait que 
déplacer la question de quelques siècles, car il n'y a 
aucun doute que le Messiamisme du peuple juif ne soit 
lui-même d'origine iranienne (i). 

Le Mahdi, le dernier imam des Shïites, est si visible- 
ment identique à Bahram le Victorieux, que les Mazdéens 
n'ont pas hésité un instant à les identifier. Si étrange que 
ce fait paraisse à première vue, il n'en est pas moins très 
réel et il s'explique d'ailleurs aisément. 11 était clair, peu 
de temps après la conquête, que le Mazdéisme avait défi- 
nitivement sombré dans les catastrophes de Kadésia et de 
Nihavend, et qu'une restauration des Sassanides était 
impossible ; les Parsis le comprirent si bien qu'ils allèrent 
chercher dans l'Inde des maîtres plus cléments. Les Maz- 
déens ne pouvaient songer à se rallier à l'Islam qui est 
l'antipode de leur religion, mais ils pouvaient tolérer 
auprès d'eux et accepter dans une certaine mesure, une 
formule religieuse ennemie de l'Islamisme, quoiqu'en 
dérivant, et qui n'avait d'autre but que de détruire l'ordre 
de choses créé par les successeurs de Mahomet. C'est ce 
fait qui explique pourquoi dans la dernière moitié du 
XIX® siècle, tant de Guèbres ont adopté le Babisme : c'est 
qu'ils voyaient tout naturellement dans le Bâb Ali- 
Mohammed, le Mahdi des temps messianiques, autre, 
ment dit leur Bahram- Amavand. Il est certain que cette 
curieuse tendance d'esprit des Mazdéens restés en Perse 
remonte bien plus haut, comme le démontrent plusieurs 
passages d'ouvrages des Guèbres. Dans un texte pehlvi 
que j'ai publié dans la Reçue de V Histoire des Religions^ 
on trouve une phrase, qui au premier abord, est des plus 
énigmatiques : « Quand viendra-t-il, ce jour où arrivera 
des Indes un messager annonçant la venue du roi Bah- 

(i) Je compte revenir en détail sur cette question, dont il serait 
trop long d'indiquer ici les grandes lignes. 



— i3i — 

ram de Tlndoustan, avec mille éléphants, montés par des 
chefs, portant des étendards qui flottent au vent, comme 
en portent les souverains à la tête des armées (i). » Il est 
difficile de déterminer d'une façon précise la date à la- 
quelle ce texte a été écrit ; un fait certain et très impor- 
tant, c'est qu'il a été écrit en Perse et non aux Indes, 
comme tant d'autres textes pehlvis; le plus ancien 
manuscrit où il se trouve remonte au xiv® siècle, c'est l'ap- 
proximation la plus grande que l'on puisse donner pour 
la date de la rédaction de ce traité, mais rien ne dit qu*il 
n'est pas très antérieur. Ce document n'est d'ailleurs pas 
isolé dans la littérature qui s'est formée autour des débris 
du Néo-Avesta. Dans un recueil factice auquel Anquetil- 
Duperron a donné le nom de Petit Raçaêty et qui a été 
formé d'extraits divers dans la première moitié du 
XVI® siècle, on trouve quatre vers plus explicites encore 
que le texte pehlvi traduit plus haut, et qui se rap- 
prochent assez de la légende du Bahman Yesht pour 
que l'on puisse croire qu'ils sont extraits d'un rifaci- 
mento poétique de cet ouvrage : « Il y aura un roi de 
l'Inde et de la Chine, de la race des Kéanides, au jour de 
la vengeance (2) ; il aura un fils dont les désirs seront tou- 
jours conformes à la Loi, et que l'on nommera Bahram. 
Le signe de sa venue dans le monde sera une pluie d'étoi- 
les qui tombera du ciel. Ce sera au jour Bâd du mois 
Abân que naîtra ce Khosroès de la race sainte (3). » 

(i) Amat yahvànât amat piyak-i yâtûnit min Hindàkân amat 
yâtânit zak Shah Vâhrâm min Hindûkân amatpil-it hazar madam 
sarân u madam roishâ il pilpân amat àrâstak drafsh yakhsanû- 
nit pun aiçin-'i shatrôyârân IV-âîn sipâh madam yadrûnand» 
(Textes Religieux pehlvis^ extrait de la Revue de l'Histoire des 
Religions de l'année 1895). 

(3} Le jour où les Iraniens tireront vengeance des défaites que 
leur infligèrent les Musulmans, et qui entraînèrent la chute de la 
dynastie sassanide ainsi que la disparition du Mazdéisme comme 
religion d'état. 

(3J Manuscrit Supplément Persan 47, folio 181 recto (Cf. Textes 
pehlvis historiques et légendaires extrait de la Revue Archéologique^ 
de 1895). 



— i3^ - 

Dans un volume qui a également appartenu à Anquetil 
Duperron, on lit ce qui suit : <x Dans quel endroit apparaî- 
tra le Kéanide Bahram ? — Du côté où se lève le soleil, 
dans le pays qui est entre l'Inde et la Chine ; c'est de ce 
côté que Ton dit qu'il viendra (i). Le signe de sa naissance 
dans ce pays est connu, c'est une pluie d'étoiles qui tom- 
beront du ciel... On a dit que c'était à l'âge de trente 
ans qu'il paraîtrait dans ce pays (2)... Ce sera dans 
Tannée 903 du comput Parsi, à partir de la mort de l'em- 
pereur Yezdegerd. Dieu sait le reste et ce qui est 
caché (3). » 

On a vu que plusieurs des descendants dlsmaïl, fils de 
l'imam Djaafer-el-Sadik, s'étaient réfugiés aux Indes pour 
échapper aux persécutions des Abbassides et à la moii; 
dont ils étaient constamment menacés. Il se forma en 
Perse, dans un certain groupe de partisans d'ismaîl 
et de ses descendants, une opinion suivant laquelle le 
Mahdi devait revenir de l'Inde où s'étaient réfugiés ces 
proscrits, et les Mazdéens de Perse acceptèrent cette 
théorie ; rien en effet, dans la littérature mazdéenne 
ancienne, n'indique l'endroit d'où viendra le Messie 
Bahrâm Amavand, tandis que l'on sait exactement où 
naîtront les trois Messies, fils à venir de Zoroastre, dans 
la province du Séïstan. Le principal est que l'on soit cer- 
tain que l'identification du Mahdi et de Bahram Amavand 
est déjà fort ancienne et qu'elle n'est pas une innovation 
de date récente, introduite dans un Mazdéisme factice 
et fin de siècle comme celui de plus d'un Parsi de Surate 
ou de Bombay. 

La théorie des imams cachés et du Mahdisme n'est pas 

(i) Les aatorités sur lesquelles s*appuie l'auteur du Rivajret 
auquel ce passage est emprunté. 

(2) Ce qui coïncide avec ce que raconte le Bahman Yesht, 

(3) Manuscrit Supplément Persan 5i, fol. 147 v». Dans le Grand 
Rivayet d' Anquetil, il est dit que le Messie des Mazdéens est 
appelé de noms divers suivant les différentes sectes (ms. supp. 

Persan 46, folio 6 recto). Cette expression est obscure, mais je ne 
crois pas qu'il y faille voir une allusion aux sectes musulmanes. 



— i33 — 

le seul point de la doctrine des Ismaïliens qui soit em 
prunté au Mazdéisme. Uun des faits les plus étranges que 
l'on remarque dans cette doctrine est leur façon de re- 
trouver dans le nom du Prophète Mohammed, la repré- 
sentation schématique du corps humain ou microcosme. 

D'après Nowaïri, le nom de Mohammed s'écrit ainsi 
en koufique redressé >-o-2o ; ils disaient que la tête était 
représentée par le mim initial «, les deux bras par le ha ^, 
le ventre par le second mim ^ et les deux jambes par le 
dal â. 

Uélif] représentait également l'homme debout, le lam J 
le représentait à genoux tandis que le hé a le montrait 
prosterné à terre ; la réunion de ces trois lettres !, J, et » 
forme le mot aJI, qui n'est autre que le nom de Dieu. 

Cette théorie bizarre se rapproche, comme on le voit, 
autant des procédés de la Kabbale juive que de ceux du 
Mazdéisme ; il est certain que la valeur numérale des let- 
tres et des mots jouait un grand rôle dans les conceptions 
cosmogoniques des Iraniens ; c'est ainsi que le créateur 
Ahura-Mazda tira le monde de la formule Ahuna-Vairya 
et que les vingt-et-nn mots qui la composent correspondent 
aux vingt-et-un chapitres de l'Avesta ; il est plus que pro- 

(i) Sylvestre de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, 
Introd. p. CCin. On retrouve cette interprétation cabalistique du 
nom du Prophète- Mohammed dans des œuvres dues à des Soufis 
exaltés, écrites tant en arabe qu'en persan; elle fait partie 
intégrante de la théorie cabalistique de Tunité trine et du système 
cabalistique qui considère les lettres de Talphabet arabe comme 
étant les éléments du macrocosme et du microcosme ; on ne peut 
l'en séparer, et Ton voit par cela même que si les Ismaïliens 
-connaissaient cette interprétation ésotérique du nom de Moham- 
med, c'est qu'ils connaissaient également les théories cabalis- 
tiques que Ton retrouve, avec quelques additions, dans le Sou- 
fisme persan. 

(a) itit ilah signiiie « dieu b en général, ^1 allah est pour J^t 
elrilah litt. : a le Dieu par excellence. » C'est une faute de traduire 
la formule bien connue ^1 ilî jJl il a 11 n'y a pas d'autre Dieu que 
DieuD, il faut comprendre :ail n'y.a pas d'autre Divinité qu'Allah», 
ce qui a un tout autre sens. 



— i34 — 

bable que la Kabbale juive est allée chercher sa théorie 
dès nombres dans rancienne Perse. 

C'est une conception plus visiblement encore iranienne 
que Ton trouve dans Torganisation interne de la théologie 
et de la théocratie des Ismaïliens. Chaque élément hu- 
main de la secte répond à un élément matériel du monde, 
autrement dit, la secte est un microcosme, tandis que le 
monde extérieur est un macrocosme. Chacun des sept 
itnams est accompagné de douze hodjdja ; les sept imams 
correspondent aux sept cieux, aux sept terres, aux sept 
planètes, aux sept vertèbres cervicales (i) qui sont éle- 
vées au-dessus de tous les autres, des sept ouvertures du 
visage, les deux yeux, les deux oreilles, les deux narines 
et la bouche. Les hojdjas correspondent aux douze mois, 
aux douze phalanges des quatre doigts de la main, sauf le 
pouce qui, lui, n'a qu'une seule division, les deux phalan- 
ges du pouce sont le Prophète et le sous (2). Cela rap- 
pelle de très près, comme on le voit, la théorie du micro- 
cosme, que l'on trouve dans le Grand Bundehesh 
pehlvi (3). 

La théorie suivante est encore plus iranienne si cela est 
possible : il y a deux Êtres qui gouvernent l'Univers, l'un 
est préexistant à l'autre et le second est créé par le 
Préexistant ; le premier a été créé par un Être qui n'a pas 
d'attributs et qui ne porte point de nom ; sa création a 
été involontaire, et elle est due simplement à une pensée ; 
le second a été produit également par une pensée du Pré- 
existant (4). Nowaïri lui-même, qui nous fournit ces pré- 

(i) Cf. Sourate 65, verset 12. « II a créé 7 cieux et autant de 
terres. » 
(a) De Sacy, Exposé de la Religion des Druses, Introd., p. GKIV. 

(3) Voir Textes pehlvis relatifs à la religion mazdéenne dans la 
Revue de VHistoire des Religions de l'année 1895. 

(4) De Sacy, Exposé de la Religion des Dru^ïes, Introd., p. GXXU. 
On retrouve dans le Soulisme une théorie très compliquée du 
n^icrocosme et du macrocosme, ou des relations qui existent entre 
le K6a\kOi et le corps de Thomme ; cette théorie, qui ne diffère pas 
sensiblement de celle des Ismaïliens, est le développement de celle 
du Mazdéisme. 



— i35 — 

oieux renseignements sur les doctrines des Ismaïliens, 
si'était aperça que cette théorie était purement iranienne: 

« Cette opinion, dit-il, est conforme à celle de quel- 
ques-uns des Mages qui, expliquant de quelle manière 
Ahriman, qui est Satan, a été produit par le Préexistant, 
disent que cela arriva par une mauvaise pensée qui lui 
fiurvint et qui engendra Ahriman. » 

En disant que ces différents points des théories Ismaï- 
liennes reflètent le dogme iranien, je n'entends point pré- 
tendre qu'ils sont empruntés directement au Mazdéisme 
de FAvesta, mais bien au contraire aux doctrines d'une 
secte hétérodoxe du Mazdéisme, probablement le Mani- 
chéisme, peut-être même le Mandéïsme. Il est bon de 
remarquer que d'après les termes de Nowaïri, ces opi- 
nions sont conformes à celles de quelques-uns des Mages 
et nullement que ce sont celles de tous les Mages. 

On sent très bien dans cette théorie sur les deux êtres 
surnaturels qui gouvernent le monde, l'opposition dé la 
Pensée (minishn) et de l'Action (kûnishn) qui se trouve à 
chaque page de l'Avesta. On sait que d'après la doc- 
trine avestique, il a suffi à Ahura-Mazda de « penser le 
monde » pour que le monde existât immédiatement, de 
même qu'il suffit à Anra-Mainyu de «penser le mal )> pour 
que le mal désole l'univers. La théorie de la création 
telle quelle se trouve dans l'Avesta et dans les livres 
pehlvis n'est évidemment que l'une de celles qui avaient 
cours dans les différentes sectes de l'Iranisme (i). 

L'Être qui n'a point d'attribut et point de nom, qui 
a créé le Préexistant, c'est-à-dire Auhrmazd, daprès 
Nowaïri, est selon toutes les vraisemblances le « Temps 
sans bornes » du Mazdéisme, qui n'a ni fin, ni com- 

(i) On ne saurait nier, malgré l'unité apparente du Mazdéisme 
sassanide, qu'il n'y eut à cette époque de très nombreuses sectes 
•en Perse. Une tradition attribuée à Mahomet dit : a Les Mages se 
divisent en 70 sectes, les Juifs en 71, les Chrétiens en 7a; les 
Musulmans en auront 78 ». On a vu plus haut, p. i3â, n. 3 que 
l'auteur d'un traité contenu dans le Grand Rivayet d'Anquetil, 
parle des différentes sectes du Parsisme, 



— i36 — 

mencement et dont Texistence est indéfinie plutôt 
qu'infinie. La doctrine suivant laquelle Ahura Mazda 
aurait, involontairement d'ailleurs, créé le démon Aîira- 
Mainyu ne se trouve ni dans VAçesta, ni dans ïOula-' 
maï-Islam, mais ce n'est évidemment pas Nowaïri qui 
l'a inventée; il n'y a pas de doute qu'elle soit iranienne 
et qu'elle ne forme une extension du principe de l'émis- 
sion spirituelle, qui est l'acte par lequel Ahura Mazda 
créa le Monde. 

Le passage suivant de Nowaïri, qui ne fait que copier le 
shérif alide Akhou-Mohsin, montre mieux encore que les 
Ismaïliens avaient pleinement conscience de la parenté 
de leurs dogmes avec ceux du Mazdéîsme (i). 

« Si vous avez (à convertir) un Mage (c'est-à-dire un 
Mazdéen), dit cet auteur, comme au fond ses opinions 
s'accordent avec les vôtres, commencez par le qua- 
trième degré (de l'initiation), par la vénération du feu, 
de la lumière et du soleil; dites-lui ce qui concerne le 
Préexistant, car c'est lui qu'ils nomment Auhrmazd (2) ; 
son suivant qui est caché est, selon leur opinion, le Bon 

(I) 

Manuscrit arabe 1576, fol. 56 verso. 

(a) Le manuscrit porte ^y^y^ qui n'a point de sens et qui est 
évidemment une faute pour J^y^^ ou j^y^ M. de Sacy a corrigé 
ce mot du texte de Nowaïri d'une façon toute différente. 

a On lit dans le manuscrit de Nowaïri. dit-il, j^y^^ mais il est 
« évident qu'il faut lire {^y^^ ^t et il traduit en conséquence : a car 
« c'est lui que ces gens- là connaissent sous le nom d'Ahriman ». 
c II est singulier, dit-il un peu plus bas que cet auteur surbor- 
donne le bon principe à Ahriman et qu'il distigue les ténèbres, 
c'est-à-dire le mauvais principe du même Ahriman. Je ne sais si 
c'est par ignorance de sa part ou si le texte a été altéré par les 
copistes ». (Exposé de la religion des Druzes, Introd,, p. CLy. En 
réalité j^y^ n'est pas une corruption de {^y^^ Ahriman, mais 
bien de j^^a' Au/irma«,.pour Auhrmazd, forme habituelle du 



- i37 - 

Principe, et les Ténèbres cachées sont dans leur esprit le 
Mauvais Principe (Ahriman). Ces gens (les Mages) sont 
avec les Sabéens les plus proches de nous comme con- 
ception religieuse. » 

On voit que si Nowaïri rapporte d'une façon peu exacte 
d'ailleurs Tun des principaux dogmes du Mazdéisme, 
peut-être par la faute de ceux qui ont transcrit son 
texte, il n'en est pas moins certain que les mission- 
naires ismaïliens se rendaient parfaitement compte qu'il 
n'y avait pas, en fait, une grande distancfe entre leur doc- 
trine et celle des Mazdéens (i). 

D'ailleurs les Ismaïliens shiites étaient loin d'être les 
seuls à reconnaître que la plus grande partie de leurs doc- 
trines, au moins les plus importantes, étaient empruntées 
au Mazdéisme ; la parenté du Shïisme et des doctrines reli- 
gieuses de l'ancien Iran n'a pas échappé aux historiens 
qui nous ont conservé l'histoire et les dogmes de cette 
secte. 

C'est ainsi que l'un des plus anciens, Nizam-el-Moulk, 
vizir du Sultan SeldjoukideAlp-Arslan, fait très nettement 
des Ismaïliens ou Bathéniens les descendants de la secte de 
Mazdak (2). 

Il dit également (3) que Boii-Tahir, le chef de l'insurrec- 
tion des Karmathes dans le Bahreïn « professa publique- 
ment les doctrines de Mazdak », Un historien un peu 
plus moderne^ Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouvéïni, rap- 
porte dans son excellente histoire des Mongols, connue 
sous le nom de Târîkh-UDjihânkushâi (4), que dans les 

pehlvi ; ce qui, comme on le voit aisément, donne un sens tout 
différent à ce passage de Nowaïri et autrement satisfaisant que 
celui qui avait été adopté par S. de Sacy. 

(i) Exposé de la Religion des Driizes, Introd., page GIV et seq. 

(a» Siasset-Ndmèh, publié et traduit par M. Ch. Schefer, 1891, 
1893, chapitres XLV et suivants de la traduction et page 2198 du 
texte. 

(3) Ibid., p. 288 de la traduction. 

(4) Manuscrit de Ducaurroy, Supplément Persan ao5, fol. i56 
recto. 



- i38 — 

premiers temps de Tlslam, après Tépoque des khalifes 
orthodoxes (i), naquit une secte dont les dogmes étaient 
contraires à ceux de la Loi musulmane et dans laquelle 
prédominaient les descendants des Mages. Ces hétéro- 
doxes répandirent dans le monde la théorie qu'au sens 
exotérique du texte du Koran correspond un sens caché, 
ésotérique, que le vulgaire ne peut arriver à connaître. 
Ala-ed-Din dit que ces gens firent servir ce qu'ils connais- 
saient des philosophes grecs à étayer cette fausse doc- 
trine. On ne peut pas dire plus clairement et d'une façon 
plus catégorique que le Shïisme et le Soufisme sont les 
héritiers et les continuateurs historiques du Mazdéisme 
de l'ancien Iran. 

L'historien persan Hafiz-Abrou (12) dit plus formelle- 
ment encore que les Ismaïliens sont une secte de Guè- 
bres (j^jîS 4^1:;: qui, sous le règne du khalife abbasside 
Mamoun voulurent proclamer leurs croyances, mais qui 
ne tardèrent pas à reconnaître qu'ils n'étaient pas en état 
de renverser l'orthodoxie musulmane. Hafiz-Abrou va 
évidemment trop loin en disant que les Ismaïliens sont 
des Guèbres et l'expression dont il se sert dépasse sans 
doute sa pensée, mais il n'en est pas moins vrai que 
pour cet historien, les Ismaïliens se rattachent directe- 
ment aux Mazdéens de l'ancienne Perse sassanide; 
Nowairi est plus dans la vérité histoiique en se bornant 
à affirmer que les dogmes de l'Ismaïlisme sont très voisins 
de ceux du Mazdéisme, et que ces deux formes religieuses 

(i) On troave quelquefois chez les historiens sunnites et chrétiens 
le nom de khalifes orthodoxes el-khulafa el-rashidin appliqué 
en dehors de son acception habituelle pour désigner les Abbass|^es 
par opposition aux Fatimites hérétiques. On lit en effet dans 
V Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. arabe Soa, page 4^7 : 
a On reçut (au Kaire) la nouvelle que le khalife el-Mostansir-billah 
était mort à Bagdad; il était (qu* Allah lui fasse miséricorde) du 
nombre des khalifes orthodoxes qui étaient comme les flambeaux 
de la Foi b. 

(2) Le texte de ce passage de Hafiz-Abrou a été publié par M. de 
Goêje dans son Mémoire sur les CarnuUheSf p. «07, diaprés un 
manuscrit de Saint-Pétersbourg. 



— i39 — 

sont apparentées; ce qu'il y a de curieux, c'est que Hafiz- 
Âbrou et Nowaïri, qui sonl deux écrivains également 
consciencieux, s'accordent pour affirmer que l'adoration du 
feu et du soleil était une pratique courante chez les Ismaï- 
liens. Si étrange que ce fait puisse nous paraître à pre- 
mière vue, il n'a rien que de très vraisemblable quand 
l'on songe à l'influence du Mazdéisme sur ces sectes aux- 
quelles il fallait une certaine audace pour se prétendre 
musulmanes. Beîbars-el-Mansouri (i) dit également que 
les Karmathes qui n'étaient, comme on le sait, que l'une 
des sectes de l'Ismaîlisme, s'étaient égarés vers les doc- 
trines des infidèles, comme Zoroastre et ses pareils, qui 
ont permis des choses défendues par les autres religions, 
et qu'ils avaient adopté les croyances des Perses et des 
Mages. Cet historien se montre même plus affirmatif 
encore quand il écrit que les partisans d'une autre secte 
ismaîlienne, les Khourrémis suivaient les mêmes règles 
qu'une des sectes des Mages sous le règne de Kobad, 
où l'on pouvait se livrer sans aucune retenue aux actes 
les plus illicites (2). On ne peut pas faire une allusion 
plus transparente aux doctrines anarchistes de Mazdak, 
et l'on a vu qu'en effet le Karmathisme était une anarchie 
religieuse et politique aussi complète que celle de Mazdak. 
11 est à remarquer d'ailleurs, qu'en parlant des Ismaïliens, 
les auteurs musulmans se servent ordinairement du mot 
zéndik (3), ^JjOô^ ; qui est généralement appliqué à 
Mazdak et à ses partisans. 

(i) Tarikh-el'hidjret, ms. ar. 1672, folio 97 recto. 

Aj^^vi^^adJi^ fj»yi-i^ fa^^Jw* \y,y*^^ c:>i^yta.i^l 

(a) Ibid., folio 96 verso 

(3) Par exemple, Mirkhond, dit dans son Rauzet-^Lsefa (dans 
les Notices et Extraits, tome IX, p. 3117). 

« Une secte d'hérétiques qui dans le Roûdbâr et le Kouhistan, 
avaient arboré Fétendard de Timpiété, de Tathéisme et du Zendi- 



— i4o — 

Les fragments de Nowaïri et dlbn-el-Djauzi qui ont été 
cités plus haut sont une preuve de plus que les Musulmans 
avaient pleinement conscience de l'origine étrangère de 
la doctrine ismaîlienne et en général de toutes les doctrines 
shîites. 

kisme ». Le mot zendik a été emprunté par Tarabe aux langues 
iraniennes à Tépoque sassanide ou immédiatement après; c'est 
Tadjectif peblvi régulièrement formé avec le suifixe-îA du mot 
zend qui désigne le commentaire de l'Àvesta écrit en pehlvi ; le 
zendik est celui qui se base sur Tinterprétation de TAvesta et 
non sur le texte lui-même, celui qui oppose le sens ésotérique 
au sens intrinsèque, ce qui était comme on Ta vu, le fond de la 
doctrine karmathe, la méthode et en général de toutes les sectes 
ismafliennes et celle du Soufisme. 



XVIII 



Le dogme fondamental de l'hétérodoxie shïite, qui fait 
que ceux qui la professent n'ont en réalité aucun droit 
à se prétendre des Musulmans, est la croyance qu'une 
mission prophétique peut exister après celle de Moham- 
med. 

L'enseignement de la secte shïite lapins scientifique qui 
ait existé dans le monde, celle des Ismaïliens, consistait à 
détruire successivement dans chaque degré d'initiation les 
dogmes qu'on avait appris à l'initié dans les précédents ; 
il faut bien reconnaître que ce n'est là qu'un souvenir des 
théories de Mohammed, ou plutôt l'application très logique 
du principe le plus important de l'Islamisme. 

Mahomet reconnaissait parfaitement la mission pro- 
phétique de Jésus-Christ et avant lui, celles de Moïse, 
d'Abraham, de Noë et d'Adam, mais dans sa conception 
religieuse, chacune de ces missions abrogeait la précé- 
dente, en faisant immédiatement cesser l'équilibre reli- 
gieux et politique qui en était né, elle abrogeait égale- 
ment les livres sacrés qui avaient servi de guide aux 
hommes durant le temps qui s'était écoulé entre la venue 
de deux prophètes successifs (i). 

C'est ainsi que le Koran abrogeait l'Evangile, qui lui- 
même avait abrogé la Bible; mais Mohammed est le 
dernier des envoyés d'Allah, il est le Sceau des Pro- 
phètes, le *U^^I ^•Lk. (2), et il ne s'est pas fait faute de 

(i) II ne serait d'ailleurs pas impossible qu'il y ait là une 
influence du Mazdéisme. A la lin des temps chacun des trois Mes- 
sies, ûls à venir de Zoroastre, apportera un livre nouveau de 
l'Avesta; mais cela ne suffit pas pour faire un rapprochement 
sérieux à ce sujet entre le Mazdéisme et l'Islamisme. 

(a) Toutefois il convient de remarquer que la formule qui résume 
tout l'islamisme et qu'il suffit de réciter avec conviction pour avoir 



— l42 — 

répéter à satiété, comme s'il avait peur de ne pas arriver 
à en persuader les hommes, qu'après lui, il n'y aurait 
pas, et qu'il ne pouvait pas y avoir de nouvelle mission 
prophétique (i). La doctrine des Shïites, d'après laquelle 
il peut exister un ou plusieurs autres prophètes après 
Maliomet, implique cette idée que sa mission sera 
abrogée par celle de nouveaux envoyés divins et que le 

le droit de se prétendre Musulmaii, ne dit pas que Mohammed est 
le dernier Prophète, elle se borne à dire que Mohammed est 
l'Envoyé d'Allah. 

(i) Les Soufis sont allés beaucoup plus loin dans cette voie que 
les sectes les plus hétérodoxes du Shiisme, avec leur théorie des 
Pôles aktâb, dont le Pôle Suprême, le Kotb-el-aktàb, chef de toute 
la hiérarchie mystique, commande à TEtre unique. Toutes les 
sectes shïites admettent après Mahomet la venue d'un nouveau 
Prophète, le Mahdi, mais elles s'accordent toutes pour affirmer 
qu'il n'y aura qu'un Mahdi seul et unique, et que la série prophé- 
tique sera définitivement close avec- lui. Cela n'a pas paru suffisant 
aux Souiis, qui n'ont pas voulu se raUier aux doctrines imamistes 
évidemment beaucoup trop restrictives pour eux, si avancées 
fussent-elles. Les sectes shïites ont toujours admis que le Mahdi 
ne pouvait être qu'un descendant de Mahomet par sa fiUe Patine ; 
c'est-à-dire, en définitive que le Mahdi continuera la Prophétie 
dans la famille du fils d'Abd-Allah. Les Soufis au contraire, ont 
toujours proclamé qu'un mystique quelconque pouvait être le Pôle 
(Kotb), et ce Pôle est dans leur théorie, identique au Sceau de la 
Prophétie (Khatem); il s'en suit donc, comme on le voit, que la 
série prophétique, bien loin d'être limitée aux grands Prophètes 
de l'Islamisme et à Mahomet, est indéfinie dans les deux sens et 
qu'elle ne se terminera que le jour où Allah mettra fin à l'exis- 
tence matérielle du monde. Dans cette théorie, la place du Sceau 
(khatem)^ qui fut celle de Mahomet, n'a jamais été vacante un seul 
instant et ne le sera jamais ; non seulement le Sceau ou Pôle 
suprême peut être un homme quelconque, n'ayant aucune parenté, 
si lointaine fût-elle avec Mahomet, mais encore cet homme com- 
mande à Allah, qui n« peut diriger le monde que d'après ses 
ordres. C'est là, comme on le voit, une théorie autrement auda- 
cieuse que celle des Ismaïliens, et cependant ces Soufis prétendent 
être les soutiens les plus fermes de l'Islamisme ! Il ne faudrait pas 
croire cependant qeulle est le résultat d'élucubrations mystiques 
sans rime ni raison ; .cette doctrine extraordinaire, n'est comme 
j'espère le montrer dans le travail dont j'ai parlé dans la Préface, 
que le développement normal et parfaitement logique de la théo- 
rie métaphysique de l'Unité qui est la grande base de l'Esotérisme. 



-^ i43 — 

Koran sera lui aussi abrogé par d'autres livres. C'est ce 
qui ne manqua pas d'arriver et le Koran d'Ahmed, fils 
de Mohammed, fils de la Hanéfite, celui du khalife 
fatimite el-Hakem et celui du Bâb n'ont pas été écrits 
dans un autre but que à^ abroger le Koran de Mohammed, 
fils d'Abd-Allah. 

La période qui s'étend depuis l'avènement des Séfévîs 
jusqu'au milieu du xix« siècle, ne vit pas s'accomplir en 
Perse de grands mouvements religieux. Cette longue 
accalmie est plus apparente que réelle et l'idée messiani- 
que est restée aussi vivante dans l'Iran qu'à l'époque des 
révolutions Ismaïliennes. Bien qu'elle ne soit pas immé- 
diatement visible à travers les bouleversements au milieu 
desquels s'effondra la dynastie Sofie et dans le chaos d'où 
sortirent les Kadjars, l'agitation messianique ne cessa pas 
un seul instant et elle demeura à l'état latent, jusqu'au jour 
où elle éclata avec une telle violence que le trône du roi 
Nasir-ed-Din Shah Kadjâr faillit être emporté par la tour- 
mente. 

Du moment où la Perse fut gouvernée par des souve- 
rains dont la religion officielle est le Shïisme, on pouvait 
croire impossible et inutile toute nouvelle explosion du 
fanatisme qui avait mené les Karmathes à la Mecque et 
les descendants d'Obéïd- Allah au Kaire. Mais l'Imamisme, 
celui qui admet les douze imams, aussi bien que celui qui 
n'en veut reconnaître que sept, doit fatalement conduire à 
une série de révolutions. 

Le dogme fondamental du Shïisme est la venue future 
d'un Mahdi avec lequel sera close à jamais la série des 
douze imams; il est clair que ce Messianisme doit infailli- 
blement, un jour ou l'autre, amener un Messie, qu'il 
enflamme une conviction religieuse, ou qu'il serve de 
prétexte à une ambition politique. Ce n'est pas à coups 
de fusil, ni même à coups de canon ^ que les Rois des Rois 
viendront à bout de cette révolution; la terrible répres- 
sion de 1849 ^'^ P^^ ^é l^ Bâbisme qui est plus puissant 
que jamais dans l'empire du lion et du soleil, et la Perse 



- i44 - 

est condamnée, par ses croyances mômes, aux révolutions 
religieuses à perpétuité. 

Depuis les temps les plus reculés, Tlran n*a fait que 
bouleverser les religions de Tancien monde. G*est de 
Perse que vient le Messianisme des derniers temps 
d'Israël, la plus douloui'euse nostalgie de Favenir q^u'il 
ait été imposé à Thomme de souflrir ; c'est également en 
Perse que se retrouvent les principaux éléments et l'ori- 
gine des abominables cultes mithriaques qui, sans le 
Christianisme, seraient devenus la religion f officielle de 
l'empire romain, c'est-à-dire de l'Europe tout entière; 
c'est de Perse qu'est parti le signal de la révolution contre 
l'Islam qui a secoue tout le monde musulman et qui, à plu- 
sieurs reprises, a failli amener la ruine déflnitive de la 
religion fondée par Mahomet : elle ne peut échapper à la 
loi commune et ne pas souiïrir à son tour des maux qu'elle 
a déchaînés dans le monde. 

On comprend qu'avant d'étudier la doctrine du Bâb et 
de la comparer à celle des autres sectes hétérodoxes 
de l'Islam, et de rechercher dans quels rapports elle se 
trouve avec l'Esotérisme et le Kabbalisme qui forment 
une partie très importante des dogmes des Souds et des 
Hourouiis (i), il est indispensable d'étudier l'état poli- 
tique de l'Iran après la dislocation et la ruine de l'empire 
timouride, les causes de la décadence si rapide et si désas- 
treuse de la dynastie des Sofis et d'examiner au moins 
brièvement ce que les Kadjars ont fait de la Perse. C'est 
seulement à ces conditions que l'on peut replacer cette 
secte étrange dans le cadre historique au milieu duquel 
elle s'est si rapidement développée, minant peu à peu 

(i) Les Bâbis sont parement des ésotériques, et ils ont adopté 
des théories Kabbalistiques qui se retrouvent chez les Hourouûs 
et dans le Soufisme, mais ils détestent les Soufis qu'ils accusent 
d'être sortis de l'Esotérisme. C'est là un peu une querelle de mots 
et bien que le Bâbisme ail des tendances opposées à celles du 
Soufisme, ses doctrines rappellent les théories métaphysiques et 
kabbalistes des docteurs soufis. 



— i46 — 

l'autorité de la dynastie régnante qu'elle serait sans nul 
doute arrivée à remplacer dans l'avenir, si les tsars n'at- 
tendaient pas l'heure d'annexer le royaume de Djemshid 
et de Kai-Kobad à leur empire asiatique. 

On ne peut pas davantage rattacher directement les 
confréries actuelles de l'Afrique du Nord aux sectes 
hétérodoxes anciennes. La chute du khalifat abbasside a 
marqué la fin d'un régime politique qui avait duré près 
de sept siècles et elle est le point de départ d'une évolu- 
tion qui se continue de nos jours. Les doctrines nouvelles 
sont nées et se sont développées au milieu de civilisations 
qui n'ont rien de commun avec celle qui vit éclore la secte 
Karmathe et le dernier Mahdi entraînait à sa suite des 
populations toutes différentes de celles qui acceptèrent 
la prédication du Fatimite Obéïd-AUah, ou tout au 
moins dont l'existence et Tidéal politique ne sont plus 
les mêmes. 



APPENDICE P' 



Extraits du Kitabi-béyan el-édian sur les seotes 
hétérodoxes de l'Islamisme. 

Cet ouvrage est vraisemblablement le plus ancien des 
traités écrits en persan sur les religions orientales ; il a été 
composé en 1092 de Tère chrétienne par Timam alide 
Aboul Méali Mohammed ibn Obeid Allah, à la cour du 
sultan ghaznévide Ala ed-Daulèh Abou-Saïd Djélal ed-Din 
Masoud, fils d'Ibrahim, qui était monté sur le trône en 
1089. Le texte du KHabi-béyan el-édian a été publié par 
M. Gh. Schefer dans sa Chrestomatie persane , tome I«'*, 
pages 132-171, d'après un manuscrit de sa collection, daté 
de Tannée i494 de J.-C, et qui porte aujourd'hui le n® i356 
dans le supplément du fonds persan de la Bibliothèque 
Nationale. Les extraits que j'en donne ici et qui forment 
la plus grande partie de la section consacrée aux sectes 
musulmanes valent au moins ce que racontent Shehris- 
tani ou l'auteur du Dabistan el-mézakib, non seulement 
parce qu' Aboul Méali Mohammed leur est très anté- 
rieur, mais surtout parce que les renseignements qu'il 
donne, combinés avec d'autres témoignages, permettent 
d'établir ce fait capital, que la doctrine métaphysique des 
sectes hétérodoxes de l'Islamisme n'est, en réalité, pas 
différente de celle des Ikhvan el-Séfa et du Soufisme. Je 
compte revenir plus à loisir sur cette question dont l'im- 
portance est évidente et indiquer, autant que faire se peut, 
les raisons de ce fait dans le travail sur les Mystiques de 
rislam dont j'ai parlé dans ma Préface. 



— i48 — 

« Les Keïsanis (page i58) sont la deuxième subdivision 
des Shïites; ils sont les disciples de Kéïsan, affranchi 
d'Ali, fils d'Abou Talib. Leur doctrine est que Y Imamat 
passa après Hasan et Hoseïn à Mohammed, que l'on nomme 
Ibn-el-Hanifa, parce que sa mère se nommait Hanifa. Ces 
gens disent qu'il vit toujours et qu'il ne mourra jamais; 
ils croient qu'il est caché dans un vallon du mont Ridoua 
et qu'il en sortira quand le moment sera venu pour 
lui de se révéler aux hommes; il conquièrera alors le 
monde et y fera régner la justice. Les Keïsanis se divisent 
en quatre sectes : les Mokhtaris, qui sont les disciples de 
Mokhtar ibn Obeïd el-Thakafi; les Karbis, disciples 
d'Abou Karb el-Zarir ; les Ishakis, disciples d'Ishak ibn 
Omar; les Harbis, disciples d'Abd- Allah ibn Harb. 

« Les Ghalis (p. i58), sont à l'extrême gauche du 
Shïisme, et ce sont de purs infidèles. C'est un homme 
de cette secte qui vint trouver Ali et qui lui dit : « O 
Ali le Sublime (Ali-el-àla), que le salut d'Allah soit sur 
toi ! » Ali donna l'ordre de le brûler vif et dit : « Il y a 
deux sortes de gens qui sont voués .à la perdition : ceux 
" qui aiment d'un amour insensé et ceux qui poussent la 
haine jusqu'à calomnier l'objet de leur ressentiment. » 
Les Ghalis se subdivisent en neuf sectes : les Kamélis, 
disciples d'Abou-Kamel ; les Sabaïs, disciples d'Abd- 
AUah ibn-Saba; les Mansouris, disciples d'Abou Man- 
sour el-Adjéli; les Ghourabis, qui prétendent qu'Ali, fils 
d'Abou-Talib, est resté dans ce monde sous la forme d'un 
corbeau; les Bertaïs, disciples de Bertaa ibn-Younis; 
les Yakoubis, disciples de Mohammed ibn-Yakoub : ce 
sont ces gens qui disent qu'Ali vient constamment dans le 
monde, dissimulé dans un nuage ; les Ismaîlis, disciples 
d'Ismaïl ibn- Ali, et les Azdêris : ces sectaires disent que 
cet Ali, qui fut le père d'Hasan et de Hoseïn, n'est point 
le vrai Ali, mais que c'est un homme qu'ils appellent Ali 
Azdéri. L'Ali véritable, qui est l'Imam, n'eut point d'en- 
fants, et il est le démiurge : que la malédiction soit sur 
ces misérables ! J'ai entendu raconter au sujet de notre 
seigneur Ali, fils d'Abou-Taleb(quela miséricorde d'Allah 



— i49 — 

soit sur lui !), Tauecdote suivante : c'était à l'époque où je 
me trouvais à Koufa. Un vieillard qui appartenait à la 
famille alîde et qui professait ouvertement les doctrines 
de la secte des Azdéris, à ce point qu'il faisait suivre son 
nom de l'épithète « el-Azdéri », était parvenu à une situa- 
tion importante, et sa qualité d'Alide lui avait assuré le 
respect et la considération de tous. On l'enterra sur l'un 
des côtés du meshhed du Commandeur des Croyants, Ali; 
la nuit même, une odeur épouvantable sortit de son tom- 
beau, à tel point que les gens qui habitaient dans le mo- 
nument sortirent tous, hommes et enfants, ouvrirent la 
tombe de l'Alide, transportèrent son cercueil à vingt arish 
de là et l'inhumèrent à iiouveau. Le lendemain, la puan- 
teur avait redoublé ; les gens du meshhed revinrent en 
bande, enlevèrent subrepticement le cercueil et allèrent 
l'enterrer là où il leur convint pendant la nuit suivante. » 

« Les Bathéniens, dit Aboul-Méali Mohammed ibn- 
Obeïd-Allah, dans le Kitabi-beyan el-édian (éd. Schéfer, 
p. i58), forment la quatrième subdivision des Shîites; le 
fondement de leur doctrine repose extérieurement sur le 
Shïisme et sur Tadoration du Commandeur des Croyants, 
Ali, fils d'Abou-Taleb, mais en réalité, c'est l'infidélité 
absolue. Cette secte a pris naissance en Egypte : trois 
hommes nommés Bou Meïmoun Kaddah, Isa Tchahar- 
Lakhtan et Foulan-Dendani, tous les trois infidèles et héré- 
tiques, étaient liés d'une très vive amitié et se réunissaient 
pour festiner et pour boire. Un jour, Bou Meïmoun Kaddah 
dit : « 11 me vient une haine mortelle contre la religion de 
Mohammed, et je n'ai pas une armée avec laquelle je puisse 
faire la guerre aux Musulmans; je n'ai pas davantage de 
fortune, mais j'ai tellement de ruses et de stratagèmes 
que si quelqu'un voulait m'aider, je détruirais complè- 
tement la religion musulmane. » Isa Ï«hahar-Lakhtan lui 
dit : « Je possède une grande fortune, je veux l'employer 
à cette œuvre, et je ne ménagerai rien pour arriver à cette 
fin. » Tous les trois s'accordèrent là-dessus. 

« Bou Meïmoun Kaddah avait un fils d'une physionomie 
très agréable et connu pour sa beauté, tellement que les 



— i5o — 

gens se livraient avec lui à des turpitades. Boa Meimoun 
Kaddah avait des prétentions médicales et il se piquait de 
savoir guérir les maladies ; il coilTa son ûls à la mode des 
Alides (i). 

« Isa Tchahar-Lakhtan donna de largent pour que Ton 
menât grand train autour de cet enfant et ces trois person- 
nages répandirent partout le bruit qu'il descendait d'Ali ; 
ils se conduisaient à son égard comme s'ils eussent été ses 
serviteurs et ils le menèrent en grande pompe au Kaire. Ils 
ne s'asseyaient point devant lui, lui parlaient avec le plus 
grand respect et avec la déférence la plus complète et ne 
laissaient pas pénétrer auprès de lui qui voulait. De telles 
menées firent qu'une légende se forma autour de cet enfant 
et qu'il arriva à une situation considérable ; c'est alors 
qu'ils créèrent leur secte en disant que la loi religieuse a 
un aspect exotérique (zâher) et un aspect ésotérique (bâtin). 
L'aspec); exotérique est celui que connaissent tous les Mu- 
sulmans et dont ils mettent les commandements en pra- 
tique ; chacun des points de la loi religieuse a également 
une valeur ésotérique que le Prophète connaissait et 
qu'il n'a révélée uniquement qu'à Ali ; à son tour, Ali l'a 
révélée à ses enfants, à ses partisans et à ses familiers. 
L'homme qui connaît ce sens ésotérique de la loi est dis- 
pensé par cela même des pratiques fastidieuses de l'obé- 
dience et du culte. Ces sectaires donnent à Mohammed le 
nom de Prophète Exposeur (nâtik) et à Ali celui de 
« Base» (asâs) ; ils emploient un grand nombre d'expres- 
sions détournées de leur sens propre et des mots d'une 
terminologie spéciale ; c'est ainsi qu'ils donnent à l'in- 
tellect (akl) le nom de Préexistant (sabik) et de Primordial 
(appaZ) ; ils disent que c'est le premier élément qui a été 
créé ; ils donnent à l'âme (nefs), le nom de suivant (tâli) 
et de secondaire (tâni) et ils disent que l'âme a été créée 
de l'intellect et qu'elle est la cause eiïiciente de toutes les 
choses qui existent dans le monde. 

Ils expliquent comme il suit le verset du Koran : « Et 

(i) Cette phrase est douteuse et je ne suis point du tout sfKt 
d'en avoir saisi le sens* 



— i5i — 

la figue, et Tolive et le mont Sinaî {Tour Stn) )» : La figue 
(ftn) est rintellect (akt) qui est tout entier impondérable 
et essentiel ; l'âme est Tolive qui est composée d'impondé- 
rabilité (leihâfet) mêlée à de la pondérabilité (kethâfet), 
tout comme Tolive se compose d'une pulpe avec son noyau. 
Quant au mont Sina! {Tour Sîn), c'est le Prophète Expo- 
seur (nâtik), autrement dit le Prophète Mohammed. En 
effet, au point de vue exotérique, il est comme une monta- 
gne colossale et il parlait aux gens à coups de sabre (i), mais 
au point de vue exotérique, il recèle des attributs spéciaux 
qui sont cachés en lui comme les pierres précieuses dans 
les flancs d'une montagne. La ville de sûreté {balad-al- 
amîn) est la « Base » (usas), autrement dit Ali, qui est 
Torig^ne de l'interprétation (mystique) de la loi reli- 
gieuse Ces sectaires donnent une interprétation ana- 
logue des quatre fleuves du Paradis, et en tout cela leur 
intention n'est que de démolir complètement la religion ; 
que la malédiction de Dieu soit sur euxl 

« Ils disent que le Prophète est le père des fidèles et 
qu'Ali est leur mère ; que Mohammed projeta dans Ali 
de sa science et de sa connaissance (comme du sperme) et 
que de leur union naquit la science ésotérique. Ils 
disent également que la première entité qui fut créée 
fut le monde de l'intellect (alam-i akl) ; que le monde 
de l'âme (alam-i nefs) ne fut créé qu'après lui et qu'en- 
suite toutes les autres créatures furent produites à l'exi- 
stence. L'homme vit par l'effet d'une âme partielle (éma- 
née de l'âme universelle) ; quand il vient à mourir, cette 
âme partielle retourne s'unir à l'âme universelle. Si quel- 
qu'un leur demande de quoi a été créé le monde de 
rintellect, ils disent qu'il a été produit du « fait « (amr); 
si on leur demande encore d'où provient le « fait » (amr), 
ils répondent : « Nous n'en savons rien et c'est là une 
chose transcendantale, car nous ne pouvons comprendre 
par notre raison ce qu'est l'Etre Unique (hakk), ni ce qu'est 
le Démiurge (sani). Nous n'affirmons pas quïl existe et 

(I) Oa peut-être ce qui n'a guère plus de sens « et il parla aux 
gens avec le sabre et la parole ». 



— i5a — 

noas ne prétendons pas davantage qu'il n'çxiste pas ; mais 
les docteurs de la théorie de FUnité (mohakkcJzand-tau- 
hid, les Esotéristes) sont de cette dernière opinion. C'est 
de cette façon qu'ils ont égaré les Musulmans en exposant 
toutes leurs interprétations des versets du Koran et de 
l'histoire de Mahomet. Si Ton prête attention à leurs 
paroles, ils vont plus loin et ils nient le miracle de la 
lune, ils disent que tout ce qui arriva au Prophète pro- 
vient de trois choses : la lutte (djedd), la révélation (feth) 
et l'imagination (kheiâl) qui, pour eux, sont Djibraîl, 
Mikhaïl et Asrafil. 

ce Ces sectaires sont d'avis que Mahomet a promulgué 
sa loi religieuse pour les faibles d'esprit et pour les igno- 
rants, de façon à les occuper constamment et à les domi- 
ner, mais qu'elle ne répond à aucune réalité qui existerait 
en dehors d'elle. Ils ont inventé des interprétations mys- 
tiques pour chacun des commandements de cette loi, et 
quand on y regarde de près,!on s'aperçoit que cela aboutit 
à la démolition de l'Islamisme. 

<c C'est ainsi qu'ils interprètent, de la façon suivante la 
parole du Prophète : « Le tombeau est l'un des parterres 
du paradis ou l'un des abîmes de l'enfer » : ils disent que 
par tombeau, le Prophète a voulu parler du corps de 
l'homme, autrement dit que ce tombeau est sa personne 
matérielle, dans l'intérieur de laquelle se trouve renfermée 
l'âme; si cette personne connaît la doctrine ésotérique 
{bathini) et qu'elle sorte de la matérialité, elle ne souffre 
pas des prescriptions de la loi religieuse, de telle sorte 
que sa vie corporelle (ten) est un parterre du paradis. Au 
contraire, si elle ne connaltpas l'interprétation ésotérique 
delà loi, elle s'efforcera, au milieu de souffrances sans 
nombre, de leur obéir et de pratiquer le culte d'Allah 
(ibadei), de telle sorte que sa vie sera un des puits de 
Tenfer. Ils interprètent de la même façon ce que l'on dit 
de l'arbre toubi, dont on raconte qu'il est dans le Paradis 
et qu'il n'y a pas un seul endroit dans lequel il n'étende 
ses branches ; ils disent que cet arbre est le soleil qui, 
tous les jours, embrasse tout l'univers et dont la lumière 



- i53 — 

pénètre dans toutes les localités du monde. Ils ont une 
série d'interprétations analogues pour tout ce qui se 
trouve dans le Koran et dans la Loi religieuse, pour la 
prière, le jeûne, le pèlerinage et la foi (iman), de sorte 
que si nous les voulions toutes rapporter, ce livre n'au- 
rait pas de fin ; on pourra juger de ces interprétations 
par celle» que nous venons de mentionner. » 

« Leur doctrine religieuse est basée sur le nombre sept; 
ils font mine de croire à l'existence de sept prophètes, 
mais en réalité, dans leur for intérieur, ils les renient 
tous. Ils disent qu'il y a sept imams, dont l'un n'est pas 
encore paru dans le monde et dont on attend la \enue 
(montéser) ; ils l'appellent le Maître du Temps (oéli ez- 
zéman). Le jour de la fête du mois de Ramazan, ils prélè- 
vent s»r chaque personne un dirhem et un dank, ce qui 
fait se^i dank. Dans chaque pays, ils ont un individu qui 
cherche à faire des prosélytes parmi les habitants, ils le 
nomment Grand Maître (sâkib-i djérîdèh) ; dans chaque 
ville, ce personnage est représenté par des missionnaires 
{dâyân) ; ils donnent à toute personne à laquelle ils ex* 
posent la doctrine (et qui manifeste l'intention d'entrer 
dans la secte) le nom d'aspirant {moustedjib), A notre 
époque, il y a eu deux personnages qui se sont rendus 
célèbres dans leurs fonctions de Grands Maîtres (sâhib-i 
djérîdèh) : l'un d'eux fut Nâsir-i Khosrau qui habita à 
Yemgân ; il entraîna la population de cette ville hors des 
voies de l'orthodoxie et sa doctrine s'implanta dans ce 
pays ; l'autre fut Hasan-i Sabbah qui se fixa à Ispahan, puis 
qui se rendit à Réi, et qui finit par disparaître. Il détourna 
de l'orthodoxie un nombre incalculable de gens dans le 
Khorasan et dans l'Irak et il les convertit aux doctrines 
de cette secte. Il y en eut également un à Ghaznin qui se 
nommait Mahmoud Ëdib ; il alla ensuite se livrer à la pré- 
dication en Egypte, et il débaucha une quantité infinie de 
gens de cette contrée. Ces sectaires se répartissent en deux 
groupes : les Nâsiris qui sont les adhérents de Nâsir-i 
Khosrau; cet individu, qui fut un grand misérable, a com- 
posé plusieurs ouvrages parmi lesquels le Kitâb vedjh ed- 



— i54 — 

din et le Kitab el-moutéhaurin ; la doctrine qui y est 
enseignée est hétérodoxe et ne peut qu'égarer ceux qui les 
liraient ; beaucoup de gens du Tabaristan se sont laissés 
séduire par lui et ont adopté ces croyances. L'autre groupe 
est formé des Sabbahis ou partisans de Hasan-i Sabbâh, 
qui était un homme de langue arabe et d'origine égyp- 
tienne, ce fut un des grands missionnaires de la secte. » 

« La cinquième division du Shiisme est celle des Imamis 
aux douze imams (page i6i) ; ils ne forment qu'une seule 
secte et elle est de beaucoup la plus importante du Shi- 
isme ; ils sont très nombreux dans l'Irak, dans le Mazen- 
déran et il y en également beaucoup dans le Khorasan... 

«... Ils disent qu'après Mohammed, le Commandeur des 
Croyants fut Ali, et ils sont d'avis qu'il eut plus de qua- 
lités que tous les prophètes qui l'ont précédé ; après Ali, 
ils reconnaissent ses fils comme imams, jusqu'au douzième 
qui disparut, et ils donnent leur nom ainsi que le récit de 
leur vie. Ils ne donnent le titre de Commandeur des 
Croyants qu'à Ali seul, et appellent tous les autres Imams ; 
ils traitent Abou Bekr, Omar et Osman, de brigands, de 
rebelles et d'usurpateurs, disant que tout ce qu'ils ont 
fait est nul et non avenu. Ils considèrent que le village 
de Fadak était l'héritage légitime de Fatima et à ce point 
de vue, ils s'appuient sur le verset du Koran dans lequel 
il est dit : « Soleïman hérita de David. » Ils regardent la 
double résurrection comme un fait certain (i) et ils disent 
qu'il n'y a pas eu un seul peuple qui n'ait eu de résur- 
rection, comme Ouzeïr, les sept Dormants et d'autres 
encore ; ils se fondent pour cela sur le verset du Koran 
qui dit : « Est-ce que tu n'as point vu ces gens qui sont 
sortis de leur pays et qui étaient des milliers : la mort 
les a avertis en leur disant : Allah vous fera mourir, 
puis il vous ressuscitera. » Us estiment d'observance 
stricte de prier pour ses amis et de demander au ciel quïl 
arrive du mal à ses ennemis ; ils nomment croyants (mou- 

(i) Doà radjaat hakk binend. 



— i55 — 

min) les personnes qai appartiennent à leur secte, parce 
qae le croyant est celui qui a la foi (iman) aussi bien au 
point de vue ésotérique qu'au point de vue exotérique; 
quant aux personnes qui possèdent la foi au point de vue 
exotérique, mais non au point de vue ésotérique, ils les 
nomment Musulmans (mouêlim)^ parce qu'elles se sont 
sauvées (selâmetjyaftè end) du sabre, ce qui ne suffit pas 
pour qu*on leur donne le nom de croyants (moumin); et 
en cela; ils se fondent sur ce verset : « Les Arabes ont dit : 
« Nous sommes devenus de vrais croyants ! Dis-leur : 
Non! vous n'avez point la vraie foi! Us disent: «Nous 
sommes parvenus au salut, parce que la foi est entrée 
dans nos cœurs. » 

- « Ils admettent que le mal provient de Dieu et que le 
douzième imam est resté dans le monde, caché aux yeux 
des hommes durant une longue période, par suite d*une 
désignation qui a été faite en sa faveur par llmam qui Ta 
précédé. 

« J'ai vu sur ce sujet un livre composé par le Seyyid 
Mortéza intitulé el-mokanna fiUghéïbet, dans lequel cette 
doctrine se trouvait exposée tout au long... 

« Dans leur théorie, les douze imams sont infaillibles 
(maasoum) et chacun d'eux a accompli des miracles et 
des prodiges (kérâmet), ils se sont tous manifestés durant 
leur vie à leurs fidèles et l'on possède des décisions juridi- 
ques (fetça) et des réponses à des questions de contro- 
verse (djeçab) qu'ils ont données; au moment de sa mort, 
chacun d'eux en a désigné un autre pour lui succéder, et 
cette personne ainsi désignée a reçu le nom d'imam après 
son prédécesseur ; les choses se sont passées ainsi jusqu'à 
Hasan-i Askéri, qui a transféré ses droits à l'Imamat à 
son fils en disant : « Celui-là est le Mahdi et l'Eternel du 
temps (kaîm ez-zéman) ». Il naquit à Samarra en l'année 
a55 ; il y a dans cette localité un souterrain dans lequel 
les Imamis disent qu'il se réfugia dans son enfance, et 
depuis on ne l'a plus revu ; les gens vont en pèlerinage à 
ce souterrain. Depuis l'époque de la naissance du Mahdi 
jusqu'à ces derniers jours, pendant lesquels le présent 



— i56 — 

ouvrage a été composé, il s'est écoulé deux cent trente 
années lunaires. Allah seul connaît la vérité et le droit 
chemin ! » 

« Voici quel est le fondement de la doctrine des Motazal- 
lites(page i55): ils disent qu'Allah est Primordial (/ca^im) 
par son essence, mais non par ses attributs ; ils distin- 
guent formellement les attributs essentiels (ou potentiels) 
de la Divinité, de ses attributs actuels (d'action). Ses attri- 
buts potentiels sont la science, la toute-puissance (/foa- 
dret), car on ne peut dire qu'il y a eu un instant où l'Etre 
Unique fut savant, tout-puissant, et qu'à un autre moment, 
il n'a été ni l'un ni l'autre. La science, la toute-puis- 
sance et leurs analogues, qui forment ses attributs poten- 
tiels, sont primordiaux (kadim). Les attributs actuels 
d'Allah sont la création, la parole et les actes analogues, 
et les Motazallites disent qu'ils ne sont pas primordiaux 
(kadim), mais bien accidentels (mouhaddès) ; on est en effet 
obligé de convenir que l'Etre Unique a parlé à Moïse, tan- 
dis quïln'a pas parlé à Pharaon, et par conséquent, qu'il y 
a eu un temps où il a parlé et un autre où il n'a pas parlé. 
C'est pour cette raison qu'ils disent que le Koran est un 
Etre créé (makhloûk) ; ils nient que l'Etre Unique ait un 
aspect tangible, et ils disent qu'il n'a pas d'attribut tel 
qu'on puisse le percevoir par les sens, et qu'on le puisse 
voir avec la vue matérielle, suivant ce qu'il est dit : 
« Les regards ne Le perçoivent point, mais Lui perçoit 
les regards (des hommes) ». Ils disent qu'il n'y a pas de 
châtiments par delà la tombe et ils traitent de fables ce 
que l'on raconte des questions posées par Mounkir et 
par Nékir; car une question se comprendrait de la part 
de quelqu'un qui aurait besoin de savoir quelle était la 
croyance du mort, mais comme ces deux esprits connais- 
sent les secrets du. monde invisible et les choses cachées, 
ils n'ont pas à les lui faire. Ils disent que le paradis et l'enfer 
n^ont pas encore été créés et qu'ils le seront au jour dont il 
est dit : « Un jour, la terre sera changée en une chose qui 
ne sera point la terre... » Ils croient que Dieu ne punit pas 



— i57 — 

le péché et qu'il n'a créé ni l'adultère, ni l'impiété, ni la 
calomnie, mais que ce sont-là simplement des actes des 
hommes, de telle sorte que le châtiment se trouve com- 
pris dans l'acte ; ils estiment que l'homme a le libre choix 
de ses actes et ils disent qu'en commettant un péché il 
sort de la foi (iman), sans pour cela être un infidèle (kâjîr), 
il n'est encore qu'un pécheur (fâsik) ; ils donnent à cet état 
le nom de « degré intermédiaire entre les deux stades » 
(dérédjet beïn el menzéleïn); s'il vient à résipiscence, il 
redevient fidèle (moumen), sinon il demeure dans l'enfer 
jusqu'à la consommation des siècles. Tout être qui vit 
dans le paradis n'a pas connaissance de l'enfer et les 
damnés qui sont plongés dans l'enfer n'en sortiront jamais, 
mais au contraire y resteront durant toute l'éternité. Toute- 
fois ils ne sont pas d'avis que la félicité et la damnation 
ont existé de toute éternité sans jamais avoir de fin, car 
ils disent que le sort de l'homme (dans l'autre vie) dépend 
complètement de ses actes. Les Motazallites ne font aucun 
cas des amis du Prophète ; toutefois quelques-uns d'entre 
eux donnent à Ali la préférence sur tous les autres ; ils 
se divisent en sept sectes : les Hasanis, disciples d'Ha- 
san-i Basri ; les Hodheïlis, les partisans d'Aboul Hodeïl 
Allaf; les Nizamis, partisans d'el-Nizam; les Moam- 
méris, disciples de Moammer ibn Affân el-Selmi; les Na- 
siris, sectateurs de Nasr ibn Moammer; les Djahizis, dis- 
ciples de Omar ibn Bahr el-Djahiz: les Akabis, disciples 
d'Akabi el-Balkhi ». 



APPENDICE II 



Extraits de Fariki sur les Nizariens. 

An mois de Juillet 1901, M. Amedroz, de Londres, a eu 
Tamabilité de me communiquer la copie de quelques 
extraits d*un historien musulman nommé Ahmed ibn 
Yousouf ibn-Ali-ibn-el-Azrak-el-Fariki, auteur d*une chro- 
nique de la ville de Méyyafarkin écrite en 672 de l'hég., 
dont un exemplaire est entré tout récemment dans les 
collections du British Muséum. J'en donne la traduction 
ici, car bien que Fariki n*ait jamais regardé les Ismaïliens 
d'Alamout que comme des princes à peu près étrangers 
à l'histoire de la ville dont il écrivit Thistoire, on y 
trouve quelques détails qu'il est intéressant de rapprocher 
de ce que racontent Rashid-ed-Din et Mirkhond. 

1. — « On dit que ce fut en l'année 4B9 que mourut au 
Kaire Fimam Abou Témim Maadd el-Mostanser-billah, 
khalife (fatimite) du Kaire ; c'est à partir de là que les 
Ismaïliens ont des avis différents (sur la succession à 
l'Imamat). Un certain nombre d'entre eux pensent que 
Mostanser désigna (nassa) pour lui succéder son fils 
Abou-Mansour Nizar et qu'il le nomma son héritier pré- 
somptif. El-Mostanser avait épousé la fille du générsdis- 
sime (émir el-djqxoush), l'émir Bedr ; il en eut un fils 
nommé Ahmed, à qui il donna le nom d'Aboul-Kasem. Le 
généralissime Bedr mourut en l'année 4^; son fils el- 
Afdal fut nommé à sa charge et il exerça la réalité du pou- 
voir. Quand el-Mostanser mourut^ le généralissime se 
déclara contre Nizar et mit sur le trône son neveu, Aboul- 



1 



— i6o — 

Kasem Ahmed, auquel il donna le surnom d'el-Mostéali ; 
les Egyptiens se divisèrent alors en deux factions : l'une 
qui tint pour Mostéali et l'autre pour Nizar; ce dernier 
resta caché au Kaire; Hasan-ibn-el-Sabbahvintd'Alamout 
auprès de Nizar et il resta avec lui ; Nizar épousa la fille 
d'Hasan-ibn-el-Sabbah et il en eut un fils qu'il nomma 
Mohammed, et auquel il donna le surnom d'el-Moustafa ou 
suivant d'autres, d'Aboul-Kasem (i). Mostéali resta sur le 
trône du Khalifat sous la tutelle de l'émir el-Afdal, le 
généralissime » 

IL — « El-Mostéali resta sur. le trône du Khalifat du 
Kaire depuis le moment où il fut proclamé (par el-Afdal); 
quelques personnes disent qu'il n'avait point d'acte offi- 
ciel (khatt) lui conférant la souveraineté, et cela parce 
qu'el-Mostanser ne l'avait nullement désigné pour lui 
succéder. Cette désignation avait eu lieu en faveur de 
Nizar qui sortit d'Egypte (à l'avènement de son frère) et qui 
se rendit à Alamout où il resta avec Hasan-ibn-el-Sabbah, 
suivant ce que j'ai raconté d'eux plus haut. Il eut un fils 
qu'il nomma Mohammed et auquel il donna les surnoms 
d'Aboul-Kasem et de Moustafa. Ce dernier fut le Khalife 
des Ismaïliens à notre époque ; une partie des Ismaïliens 
disent qu'il réside dans le Khorasan, d'autres dans le 
Maghreb, d'autre en Egypte dont il ne serait jamais sorti 
Ils affirment également que Nizar, fils de Mostanser, 
n'a jamais quitté l'Egypte et qu'il eut son fils Mohammed 
dans ce pays, qu'il lui conféra l'héritage de l'Imamat et 
qu'il mourut caché ; ce Nizar, fils de Mohammed, fils de 
Nizar résiderait actuellement en Egypte. Le dogme fonda- 
mental de la doctrine de ces sectaires est que l'Imam ne 
peut mourir avant d'avoir eu un enfant mâle qui est 
désigné pour hériter du Khalifat. 

« On dit que Mostéali occupa le trône du Khalifat 
jusqu'en l'année 5o3, et qu'il mourut alors au Kaire, après 

(i) L'historien Dhéhébi raconte dans sa chronique que Nizar 
fut assassiné à Alexandrie ; ce récit qui est sans doute le senl 
véritable est également celui que fait Aboul-Mahasen dans la 
el'noudjoum eZ'zahirèh. 



— i6i — 

avoir désigné pour lui succéder, son fils Abou-Mansour 
auquel il donna le titre d'el-Amir (bi-ahkani- Allah); ce 
dernier régna au Kaire et atteignit à une grande puissance. 
Il lui arriva qu'un certain nombre de personnes voulurent 
le faire passer pour une émanation de la Divinité (i) et 
qu'elles racontèrent aux gens qu'il connaissait ce qui est 
caché aux hommes et qu'il prédisait l'avenir. 

III. — « La succession régulière à l'Imamat (nass) fut 
interrompue avant Mostéali (a) ; c'est là ce que disent les 
Ismaïliens qui prétendent que l'Imamat s'est transmis de 
Mostanser à Nizar, jusqu'à maintenant; telle est leur doc- 
trine, mais il n'y a pas un seul individu d'entre eux qui soit 
dans la vérité, car il n'y a pas de Khalifat autre part que 
dans la famille d'Abbas, suivant ce que le Prophète a dit 
en parlant des droits d'Abbas au pouvoir souverain : « Tu 
es le père des dignités royales dans ma famille jusqu'au 
jour de la Résurrection, » Les Egyptiens et les Ismaïliens 
sont donc dans l'erreur et dans l'égarement quand ils 
exposent leur doctrine, car il n'y a pas d'autre khalife 
que le khalife de Bagdad, qui est de la race d'Abbas ». 

On voit par le récit d'Ibn-el-Azrak-el-Fariki, combiné 
avec ce que racontent les autres historiens musulmans 
qu'à la mort du khalife fatimite el-Mostanser-billah, il se 
produisit dans l'Ismaïlisme une rupture identique à celle 
qui avait brisé le Shïisme en deux camps ennemis à la 
mort de l'imam Djaafer el-Sadik; elle eut moins d'im- 
portance, parce que la dynastie des Fatimites du Kaire et 
celle des Ismaïliens d'Alamout ne tardèrent pas à dispa- 
raître toutes les deux, la première devant Salah ed-Din, la 
seconde devant les Mongols d'Houlagou, mais le procédé 
était le même, et ce sont évidemment des causes identi- 
ques qui ont provoqué ces deux ruptures dans l'hétérodo- 
xie musulmane. 

(i) Litt. : firent la da^at en sa favear et en son nom. 
(3) Cela veut simplement dire que Mostéali n^était point Tlmam 
ou le Khalife lég^itime. 



APPENDICE m 



Sur les préludes de ravènement des Séfévis. 

Il ne faudrait pas croire que la révolution religieuse 
plus encore que politique qui porta les Séfévis au trône 
de Perse fut un événement subit provoqué par Firré- 
médiable décadence de l'empire timouride. En réalité, 
cette agitation demeura à l'état latent durant tout le règne 
des princes du second empire Mongol, et il est certain 
qu'elle remonte à une époque très antérieure. 

On s'étonne à juste titre en lisant les histoires des 
Sultans timourides de l'Iran, telles que le Zâfer-Namèh 
de Shéref-ed-Din-Ali-Yezdi. le Matla es-saadeïn wé 
Méét/ma el-bahrein de Kemal-ed-Din-Abd-er-Rezzak-ibn 
Ishak el-Samarkandi, le Rauzet es-séfa de Mirkhond, le 
Habib'es-siyyer de Khondémir, du respect exagéré que 
Timour-Kourkan et ses successeurs, qui étaient tous, au 
moins en apparence des Sunnites parfaitement orthodoxes, 
témoignaient aux Alides et aux Soufis, c'est-à-dire aux 
hétérodoxes. On sait que Tamerlan passant par Ardébil, se 
crut obligé d'aller rendre une visite à un pauvre derviche, 
descendant authentique d'Ali par Fimam Mousa-el-Kazem 
et qui jouissait dans toute la Perse d'une réputation de 
sainteté parfaite ; ce derviche n'était autre que Sheikh 
Séfi, l'ancêtre des princes Séfévis qui devaient plus tard 
remplacer les fils de Timour dans la souveraineté de la 
terre d'Iran ; c'est pour obéir à un vœu formé par le der- 
viche que l'empereur mongol accorda la vie à tous les pri- 
sonniers qu'il avait faits en Asie-Mineure pendant la cam- 



— i64 — 

pagne contre le sultan des Osmanlis, Bajazet rEclair. Cette 
clémence, qui n'était guère dans les habitudes du conqué- 
rant de rinde, montre assez en quelle estime il tenait le 
descendant du septième imam des Shiites. Il suffît de 
feuilleter la traduction du commencement du Matla es- 
saadéin qu'E. Quatremère a fait paraître dans le 
tome XIV® des Extraits des manuscrits de la Bibliothèque 
du Roi, pour se rendre compte que 1' « Empereur For- 
tuné » Shah-Rokh-Mirza se conforma à la même tradi- 
tion, et qu'il ne manqua jamais Toccasion d'aller visiter les 
tombeaux des Saints du Soufisme. En toutes les occasions, 
on voit, toujours par le récit d'Abd-er-Rezzak el-Samar- 
kandi, les Alides et les Soufis jouer un rôle des plus 
importants à la cour des sultans descendants de l'émir 
Timour ; il serait facile d'en citer un nombre considéra- 
ble d'exemples, mais je me bornerai à en mettre quelques- 
uns sous les yeux du lecteur, pour lui montrer que la poli- 
tique religieuse des derniers Timourides fut la môme que 
celle de leur ancêtre. 

Abd-er-Rezzak raconte^ dans le Matla es-saadeïn (ms. 
Supp. Pers. 221, fol. 255 recto), qu'en Tannée 858 de 
l'hég. ( — 1454 de J.-G), le sultan Mirza Aboul-Kasem 
Baber, étant à Asterabad, y reçut des envoyés de toutes 
les contrées du nord de la Perse qui venaient l'assurer de 
leur respect et de leur soumission. Le plus important 
de ces personnages fut un certain Nizam-ed-Din-Seyyid 
Abd-el-Kérim, chef des Alides et prince des deux villes 
d'AmoI et de Sari. Mirza Aboul-Kasem Baber le reçut 
avec les plus grandes marques d'honneur, et lui témoigna 
la plus vive amitié. En même temps, il combla de bien- 
faits les Alides du Mazendéran qui étaient venus lui faire 
leur cour et quand ils prirent congé de lui, il leur fit 
cadeau de splendides robes d'honneur brochées d'or et de 
chevaux de race du plus grand prix. 

Un peu plus loin (fol. 269 verso), Abd-er-Rezzak Samar- 
kandi nous apprend qu'un célèbre derviche, nommé Baba 
Ali Khosh-Merdan, étant arrivé à Meshhed, le même 
Aboul-Kasem Baber, non seulement lui accorda une 



— i65 — 

audience, ce qui est déjà assez surprenant, mais encore 
qu'il le traita d'une façon magnifique et qu'il lui accorda 
incontinent plusieurs grâces qu'il lui demanda, tout comme 
l'émir Timour avait accordé à Slieîkh Séfi d'Ardébil la 
vie des sujets d'Ildérim Bayézid. Plusieurs des Alides 
qui demeuraient dans les environs de Meshhed furent 
accueillis par Aboul-Kasem-Baber avec la môme bonté, en 
particulier, un Soufi nommé Sheîkh Sadr ed-Din Moham* 
med, avec lequel il eut des entretiens particuliers. Il en 
usa de même avec un autre dei*viche qui jouissait d'une 
grande réputation, Ouzoun Soufi, originaire de Khva- 
rezm ; le sultan lui témoigna même plus de confiance qu'à 
aucun autre derviche après un long entretien qu'il eut 
avec lui et qui dura toute une nuit. 

Abd-er-Rezzak ne laisse pas de s'étonner de cet engoue- 
ment des princes timourides pour les Alides, les Soufis et 
les derviches. Il semble, dit-il, que tous les derviches 
extatiques s'étaient entendus pour venir de tous les 
coins du monde à la cour du sultan Mirza Aboul- 
ICasem Baber. Sheîkh Zadèh Pir Kavvam^ qui était très 
estimé du sultan timouride, fut chargé de leur donner 
quelques notions de civilité de façon que l'on pût les 
produire à la cour, mais ce fut peine perdue, car, comme 
le dit fort justement Abd-er-Rezzak, « ces derviches font 
état de ne pas avoir plus d'égards pour un roi, les princes 
et les riches que pour les derniers des hommes ». 

Il serait facile de multiplier les exemples de cette poli- 
tique favorable à l'hétérodoxie musulmane, car ils se 
trouvent à presque toutes les pages du Matla^es-saadeïn: 
il fallait que l'importance du Shïisme fût bien grande en 
Perse au xv« siècle pour que Timour et ses successeurs aient 
pris un tel soin de rechercher l'amitié de gens perdus pour 
la plupart dans des rêveries philosophiques et dans des 
spéculations métaphysiques qui tendaient simplement 
à détruire l'Islamisme, et dont beaucoup se condui- 
saient à leur égard comme des malappris. C'était beau- 
coup plus pour se concilier leurs sujets qui ne cherchaient 
pas à cacher leurs tendances alides et shïites que par 



— i66 — 

goût que les Timourides avaient adopté cette politiqae. Il 
ne fant pas oublier que lorsque le sultan mongol Euld- 
jaîtou Ghyas ed-Din Mohammed Eharbendèh, frère de 
Mahmoud Ghazan se convertit à Tlslamisme, ce fut Tlsla- 
misme sous sa forme shîite qu'il choisit. Rashid ed-Din 
nous apprend en effet dans la Djami et-tewârikh que ce 
prince avait le plus grand attachement pour la secte des 
« Duodécimains » ou partisans des douze imams et qu'il ne 
manquait jamais l'occasion de le témoigner aux chefs reli- 
gieux de cette secte, ainsi qu'aux descendants d'Ali. Cefut 
le premier sultan qui agit ainsi en Perse, et l'on sait qu'il 
fit graver le nom des douze imams shiites sur les mon- 
naies qui furent émises ^ous son règne. 

Il n'est pas niable que le mouvement politique et reli- 
gieux qui porta les Séfévis au trône de Perse ne remonte 
à une très haute époque ou pour mieux dire, il est certain 
qu'il se rattache directement aux tentatives révolution- 
naires dont l'Iran fut le théâtre depuis une époque très 
voisine de l'hégire, et qui avaient pour but avoué d'anéan- 
tir le Khalifat abbasside, représentant et dépositaire de 
l'orthodoxie ofôcielle de l'Islam. 

Cette politique tolérante des sultans de la dynastie 
timouride n'allait pas sans présenter des dangers sérieux, 
et il n'était pas très prudent de favoriser aussi ouverte- 
ment, quoique d'une façon encore officieuse, les tendances 
alides de la population persane ; en tout cas, il fallut aux 
Timourides, ou à leurs conseillers si l'on veut, une habi- 
leté etun tact remarquablespour garder le Sunnismecomme 
leur religion d'état, tout en faisant à leurs sujets shiites des 
concessions assez larges pour se les attacher. Malgré tout, 
les derniers princes descendants de Timour qui régnèrent 
dans l'Iran finirent par s'apercevoir qu'il avait été dan- 
gereux de flatter et d'encourager ces tendances anti-ortho- 
doxes, car rinsurrection shîite qui était latente depuis le 
règne de Timour, faillit éclater dans le Khorasan à l'avè- 
nement de Mirza-Aboulghazi Sultan Hoseîn, en l'année 
8^3 de l'hégire, soit en 1468 de l'ère chrétienne. Abd-er- 
Rezzak Samarkandi rapporte, en effet, dans le Maila es- 



— 167 — 

S€Uideln (ms. snpp. per. nm, fol. 344 ^)* ^® ^^^ Shîites 
de la Tille d'Hérat qui était alors la capitale du Khorasan, 
se fip^rèrent qu'en montant sur le trône, Sultan Hosein 
allait s'empresser de proclamer le Shîisme religion 
d'état (I). 

Il semble même que ce fut cet espoir et cette confiance 
qui lui permirent de s'emparer de la souveraineté de cette 
vaste contrée. Abd-er-Rezzak s'étonne et s'indigne presque 
que les gens du Khorasan aient pu se forger de telles chi- 
mères, mais cette opinion des Shîites est infiniment moins 
déraisonnable qu'on ne serait porté à le croire à première 
vue ; les tendances shîites du sultan Kémal ed-Din-Sultan 
Hoseîn ibn-Sultan Mansour ibn-Baîkara ne sont pas 
niables et, si l'on conservait quelque doute à cet égard, 
il sufiirait de parcourir l'ouvrage qu'il a composé sous le 
titre de Medjalis-el-oushhak et qui, comme le Tezkérèhi 
eçlia de Férid ed-Din Attar, est la glorification des pires 
hétérodoxes, au point de vue strictement sunnite, qui aient 
vécu dans l'Islamisme, tels que Zoul-Noun Misri, Ibrahim 
Edhem, Bayézid el-Bistami et Mansour-i Halladj, qui 
poussant à ses extrêmes limites la doctrine ésotérique, 
proclama qu'il était unehypostasede la Divinité. Si encore 
on ne trouvait dans cet ouvrage que les notices biogra* 

(i)~Khondéniir rapporte dans son Héhih-cUSijryer un trait qui 
montre combien les Tlmourides encourageaient follement les ten- 
dances alides de leurs sujets. Il raconte qu'en Tannée 885 de Thég. 
Mirza Baikara gouvernait la ville de Balkh au nom de son frère 
Sultan Hoseîn Mirza. Un individu nommé Shems ed-Din Moham- 
med qui prétendait appartenir à la famille du célèbre Soufi 
Bayézid-i-Bistami, vint de Kaboul apportant une chronique compo- 
sée à répoque du sultan Sindjar, dans un passage de laquelle il 
était dit que le tombeau d'Ali se trouvait à trois farsakhs de Balkh, 
dans un village nommé Khvadjèh-Kheîran. 'Mirza Baîkara s'étant 
rendu dans cette localité avec ses officiers, trouva en effet une cou- 
pole sous laquelle était une tombe recouverte d'une dalle portant 
une inscription arabe ainsi conçue : « Ce tombeau est celui du 
lion de Dieu, Ali, le Saint de Dieu, frère du Prophète. » Le prince 
timouride manda immédiatement Sultan Hoseîn Mirza, qui fit 
élever en cet endroit un monument superbe auquel les Persans 
se rendirent en foule en pèlerinage. 



— i68 — 

phiques des grands docteurs du Soufisme, ou pourrait, à 
la grande rigueur, penser que les louanges hyperboliques 
qui leur sont adressées ne sont que des exercices de rhé- 
torique ; mais le sultan Kémal ed-Din Hoseïn, a pris soin 
de faire précéder son MedJalis-el'OUskhak d'une intro- 
duction qui dissipe tous les doutes que l'on pourrait con- 
server à cet égard, car elle contient un exposé de la doctrine 
de ïlshrak et du Nirvana ésotérique que n'eussent point 
désavoué Djami, Djélal ed-Din-Roumi ou Mohyi-ed-Din 
Mohammed-ibn-Ali Ibn-el-Arabi. En fait, Sultan Hoseïn 
n'était qu'un hérétique tout comme Attar et bien d'autres 
auteurs, tant persans qu'arabes, que l'on prend pour des 
Sunnites, tandis qu'ils étaient, comme toute l'élite intel- 
lectuelle du monde musulman, les adeptes les plus fer- 
vents du Soufisme. 11 n'y a rien que de très naturel dans 
ces conditions, à ce que les habitants du Khorasan aient 
fondé sur ce prince, des espérances qui malheureusement 
pour eux ne devaient pas se réaliser. L'auteur du M alla 
es-saadeïn nous apprend que les Shîites se croyant sur le 
point de renverser enfin et définitivement le Sunnisme, 
firent proclamer sur les menbers de toutes les mosquées 
les noms des douze Imams dans la prière du Vendredi, au 
lieu et place de ceux des Khalifes, successeurs de Mahomet, 
dont ils voulaient abolir la mémoire. Gomme la plupart 
des princes musulmans dont le Sunnisme ne déguisait 
qu'à peine les tendances hétérodoxes, Kémal ed-Din Sul- 
tan Hoseïn, qui avait tout fait ainsi que ses glorieux 
ancêtres pour proToquer cette explosion, fut terrifié de 
ce qui se passait et il n'osa point prendre la direction 
d'un mouvement que ses tendances avaient encouragées 
si elles ne l'avaient pas provoqué. 

Le sultan timouride défendit que l'on continuât à agir 
de la sorte et il ordonna de remettre les choses dans leur 
état antérieur. Malgré cet édit qui fut respecté à Hérat, 
le Sejryid Ali \ahid ed-Din, qui était de la ville de Kaîn, 
dans le Kohistan, où il exerçait les fonctions de prédica- 
teur, ne voulut pas tout d'abord iteaoncer à faire mention 
dans la prière des noms des douze Imams, et il fallut 



— 109 — 

rintervention de la force année pour le faire renoncer à 
cette innovation. 

Il est fort probable que Kémal ed-Din Sultan Hoseïn 
agit d'une façon peu adroite en réprimant le mouvement 
shiite qui s'était produit dans le Khorasan au début de 
son règne, et qui n'avait pas été sans l'aider à gravir les 
degrés du trône. Au lieu de résister à la poussée de tout 
un peuple, Sultan Hoseïn eût mieux fait d'y céder et de se 
laisser porter tout naturellement au Shïisme ; un homme 
qui avait écrit le Medjalis el oushhak ne pouvait raison- 
nablement se considérer comme un orthodoxe et ce n'était 
point la peine d'avoir donné de tels gages au Shïisme pour 
se renfermer dans les formes d'un Sunnisme rigoureux et 
officiel, et attirer sur soi la colère de tout un peuple. C'était 
faire le jeu des Séfévis d'Ardébil que de provoquer dans 
riran de tels mouvements et d'essayer ensuite de les en- 
traver brutalement ; il est probable que si Sultan Hoseïn 
lavait suivi, au lieu de chercher à l'enrayer, il n'eût pas 
été le dernier prince de la famille de l'émir TimourKour- 
kan qui régna sur la terre de Perse, et les Séfévis ne fus- 
sent jamais sans doute montés sur le trône de l'Iran. 



APPENDICE IV 



Sur la secte des Nosafris ou Ansaris 

Oa a vu plus haut (pages loi et ssq), qu'eu parlant des 
Nosaîris, je les ai rattachés à la secte des Keïsanis, qui, au 
dire des principaux historiens de Tlslamisme, prit nais- 
sance à une époque très rapprochée de l'hégire et dont les 
membres étaient partisans de l'imamat de Mohammed, 
fils de la Hanéfite. Je n'ai pas insisté davantage sur ce fait 
dans ce passage, parce que c'était incidemment que j'avais 
à dire quelques mots de ces sectaires et que c'est à peine 
si les historiens des sectes musulmanes font mention d'eux 
dans leurs chroniques. 

Depuis que j'ai terminé la rédaction du présent ouvrage, 
plusieurs travaux ont paru, traitant de la religion et des dog- 
mes des Nosaîris ; l'un de leurs auteurs, le Père Lemmens 
reprenant une théorie qui n'a point le mérite de la nou- 
veauté, a soutenu que les Nosaîris sont une secte chré- 
tienne qui dut adopter l'Islamisme et chez laquelle per- 
cent encore des souvenirs de sa foi primitive. Dans un 
livre publié en 1900 (i), M. Dussaud a soutenu la théorie 
complètement opposée d'après laquelle les Nosaîris se- 
raient bien antérieurs à l'Islam, puisqu'il serait question 
d'eux dans Pline : leur religion représenterait le culte de 
l'antique Phénicie, et la triade nosaîrie Ali, Mohammed, 
Selman représenterait la trinité phénicienne : Ciel, Soleil 
et Lune. 

(i) I39* fascicule de la Bibliothèqae de TEcole pratique des 
Hautes-Etndes. 



— l'JI — 

Il est certain que dans toutes les religions, on trouve 
des réminiscences de celles qui les ont précédées sur le 
même terroir ; c'est un fait établi depuis longtemps que 
l'Islam syrien, sur beaucoup de points secondaires, est la 
continuation historique des cultes de la Phénicie et de 
Judée de même que l'arabe parlé en Syrie est plein d'hé- 
braîsmes, et celui d'Egypte de mots coptes. 

Tous les makâm de Syrie existent aux mêmes places et 
souvent avec les mêmes noms que les makôm du Deaté- 
ronôme ; mais il est bon d'insister sur ce point, que ces 
réminiscences qui sont évidentes portent beaucoup plus 
sur des faits de second ordre que sur les dogmes essentiels 
et sur les légendes primordiales ; le souvenir de la civi- 
lisation syrienne et de ses cultes a été infiniment moins 
puissant que celui du Mazdéisme en Perse et sauf pour 
quelques points très secondaires, l'influence étrangère 
que l'on remarque dans les sectes hétérodoxes de l'Isla- 
misme provient uniquement de l'Iran. 

Dans cette identification, dans ce syncrétisme des en- 
tités des cultes de la Syrie antique avec celles de l'Islam, 
la mythologie optique et acoustique a évidemment joué 
un rôle des plus importants ; il y a longtemps que M. 
Clermont-Ganneau l'a signalé, et en particulier dans son 
remarquable mémoire sur Horus et Saint-Georges dans 
lequel il a montré que dans le Ali syrien se retrouvent 
quelques attributs du dieu sémitique El Elioun, le Zàuç 
{|<j;içjTo;; mais il faut également remarquer que l'influence 
de la mythologie optique et acoustique ne s'est exercée 
que sur les personnages secondaires, et sur les points 
secondaires de la légende des personnages primordiaux 
de l'Islamisme, comme Ali, et encore Ali, pour l'Islam 
syrien, n est-il qu'une personnalité très secondaire. 

Cette théorie, suivant laquelle le Nosaïrisme représen- 
terait la presque intégralité des cultes syriens d'avant 
l'ère chrétienne, recouverts en partie par une onomastique 
et une terminologie musulmanes, est née de la généralisa- 
tion d'un fait qui évidemment, a son importance, mais 
qu'il n'est pas besoin, je crois, d'invoquer pour essayer 



- 173 - 

d'expliquer les dogmes des Nosairis. D'ailleurs, si jamais 
la théorie des mythes solaires a été mal venue à s'appli- 
quer, c'est bien à des personnages aussi matériellement 
réels que Mahomet, Ali et Selman-i Farisi dont aucune 
école n'a jusqu'à ce jour osé nier l'existence et qui, bien 
loin de représenter des divinités solaires d'une théogonie 
lointaine et mal connue, représentent des hommes qui ont 
agi et pensé de la façon la plus matérielle. 

Ces quelques considérations m'ont amené à relire une 
partie des textes nosaïris qui sont conservés à la Biblio- 
thèque Nationale et à chercher dans les historiens des 
sectes musulmanes quelques renseignements sur les gens 
qui les ont écrits; c'est le résultat de ces recherches 
étendues à la secte des Yézidis, qu'il est difficile de 
séparer de celle des Nosaïris, que je vais exposer briè- 
vement ici. 

La lecture des livres des Nosaïris, comme d'ailleurs 
plus d'un épisode de leur histoire, montrs d'une façon pé- 
remptoire qu'ils ne sont autre chose qu'une secte de 
l'Ësotérisme musulman et que leur doctrine n'est pas au 
fond différente de celle du Soufisme et des théories mah- 
distes. Ce point, qui est établi d'une façon indiscutable, a 
une très grande importance et il aurait dû mettre en 
garde contre les théories qui veulent faire de la religion 
nosaïrie une déformation, soit du christianisme, soit des 
cultes syro-phéniciens de l'antiquité. Une forme religieuse 
dans laquelle on trouve la théorie des imams et du mahdi 
fatimite que les Nosaïris nomment el-Kaïm, la Preuve de 
tous les Ages, celui qui anéantit les Géants (i) ne peut 
être que post-islamique. 

Si la théorie imamiste a été empruntée à l'Iran, il ne i 

peut être question d'un contact direct entre Iran et Nosaï- I 

ris. Les Nosaïris ne sont donc qu'une secte du Shïisme, 
au même titre que les Ismaïliens ou les Karmathes. 

Dans son traité sur les sectes issues de l'Islamisme que 
je n'avais pas suffisamment consulté à l'époque déjà loin- 
Ci) Ms. arabe 1449» f'o^* 82 verso. 



I 



- 174 - 

taine à laquelle Je rédigeai ce livre, Shehristani dit for- 
mellement qae les Nosaîris (i) sont une subdivision de la 
secte shïite à laquelle il donne le nom de Ghula ou Ghalis : 
les dogmes fondamentaux de leur doctrine sont en effet 
Fadocskloa d'Ali et la croyance au houloul ou hypostase 
des esprits eélestes ou démoniaques dans le corps de 
rhomme et Thypostase d'Allah dans le corps de certains 
êtres humains, ce qui esfc» comme Ton sait, le fond de la 
doctrine Ismaïlienne et Soufie» 

C'est ainsi que les Nosaîris admettent que Ton voit quel- 
quefois Fange Gabriel sous la forme d'un arabe et qu'Allah 
se manifeste sous les traits d'un homme; le khalife 
ismailien el-Hakem bi-amr-AUah disait dans le mftme 
sens, ou plutôt faisait dire, qu'il était une incarnation â» 
la Divinité et le sheïkh Soufî Mansour ibn el-Halladj fut 
mis à mort à Bagdad pour avoir crié dans les rues du 
Karkh : « Je suis l'Etre Unique ! » L'opinion des Nosaî- 
ris, toujours d'après Shehristani était qu'après le Pro- 
phète, il ne s'était point trouvé d'êtres meilleurs qu'Ali et 
ses enfants et que c'est pour cette raison que l'hypostase 
de la Divinité s'est produite en eux et qu elle a parlé aux 
hommes par leur bouche ; aussi les Nosaîris donnent-ils à 
tous les Alides le nom de Divinité. 

C'est également cette doctrine du houloul et de la divi- 
nité des imams qui était, toujours d'après Shehristani, 
l'essence de la doctrine des Ghalis. « Les Ghalis, dit-il, se 
font une telle idée de leurs imams qu'ils les font sortir de 
la nature humaine et qu'ils affirment que les décrets di- 
vins leur appartiennent. Tantôt ils assimilent un de leurs 
imams à la Divinité, tantôt au contraire, ils assimilent la 
Divinité à la créature, de sorte que, d'un côté, ils donnent 
une extension exagérée aux attributs de leurs in^ams, 
tandis que de l'autre, ils les diminuent dans la même pro- 
portion. Ces assimilations ont pris naissance dans la doc- 
trine de l'hypostase (houloul), dans celles des juifs et des 
chrétiens ; en effet, les juifs assimilent le créateur à la 

(i) Ms. arabe i4o6, fol. 57 verso. 



— ij5 •=- 

créature, tandis que les chrétiens assimilent la cré^taïe à 
son créateur. Ces sectaires ont un nom spécial dans cha- 
cun des pays qu'ils habitent : à Isfahan, ils étaient appe- 
lés Khourrémis et el-Koudiyyèh ; à Reï, Mazdakis et Sind- 
badis; dans l'Azerbeïdjan, Zekoulis et Mouhammaris ; 
dans la Transoxiane, Moubayyidis. » 

Cette divinisation à outrance d'Ali, et la doctrine sui- 
vant laquelle les esprits du monde intangible peuvent 
descendre dans les êtres du monde matériel, sont les 
caractéristiques des croyances delà secte des Keïsanîs et, 
bien que Shehristani ne mette pas les Ghalis et les Keï- 
sanis en rapport intime, il n'y a guère à douter que ces 
sectes avaient des doctrines très voisines ou plutôt iden- 
tiques. 

L'opinion suivant laquelle la secte des Nosaïris daterait 
seulement de l'époque du fatimite el-Hakem n'est donc 
pas recevable, mais il s'en faut qu'il faille par cela seul 
proclamer que le Catéchisme des Druzes ait inventé de 
toutes pièces un grossier mensonge. 

Aboul-Mahasen dit en effet, dans son Histoire d'Egypte, 
que les khalifes fatimites du Kaire envoyèrent dans les 
montagnes de Syrie des missionnaires qui corrompirent 
d'une façon absolue les gens qui y vivaient et qui for- 
mèrent les sectes hétérodoxes (i) des Druzes et des Nosaïris. 
Telle qu'elle se trouve énoncée par Ibn-Tagribardi, cette 
assertion, si elle était exacte, infirmerait d'une façon 
absolue, ce que j'ai dit plus haut, aussi bien d'ailleurs 
que les théories contre lesquelles j'ai cru devoir mettre 
le lecteur en garde, mais il convient d'interpréter ce pas- 
sage, si l'on en veut tirer non une absurdité, mais bien 
un fait historique réel. 

On sait, de source certaine, que le fait dont parle 
Aboul-Mahasen est parfaitement exact pour les Druzes; 
il y a donc des chances pour qu'il en soit de même pour 
ce qui concerne les Nosaïris, mais il va de soi qu'il faut 
comprendre que les missionnaires des Fatimites, tels 

(i) Edition de Leyde, 1807, t. II, partie II, p. 44^. 



-^ 176 — 

que Darazi ou Hamza, ont introduit dans le dogme nosaïri 
des points de doctrine qui l'ont contaminé ; réduite à cela, 
laffirmation d'Aboul-Mahasen n'a rien que de très vrai- 
semblable au point de vue historique. 

Si l'on venait à objecter qu'il n'a jamais pu exister 
de contact entre les Fatimites qui ne reconnaissaient que 
sept imams et les Nosaïris qui en admettent douze comme 
les Shïites de Perse, il serait facile de répondre qu'il y 
avait au Maghreb des partisans mahdistes des khalifes 
fatimites, tels que l'auteur de V Histoire de la cille de 
Kairawan, qui ne reconnaissaient point Ismaïl, pour le 
successeur de l'imam Djater et Sadik, mais bien l'imam 
ordinaire des Shïites, Mousa el-Kazem. Ces Maghrébins 
étaient justement dans le même cas que les Nosaïris et cela 
ne les empêchait pas, comme on le sait, d'avoir accepté les 
théories et les revendications des Fatimites. 

Un fait digne de remarque et qui n'est pas sans avoir 
quelque importance, c'est que les auteurs musulmans 
n'ont jamais accusé les Nosaïris d'être d'ex-chrétiens, mal 
convertis à l'Islamisme, mais qu'ils les ont toujours consi- 
dérés comme étant des Ali-élahyan, des « divinisateurs 
d'Ali » et des Ësotéristes, et cependant l'on peut dire 
qu'ils ont recherché tous les griefs possibles à invoquer 
<;ontre ces pauvres gens. 

L'accusation qui consiste à leur reprocher la divini- 
sation du khalife Ali est générale. 

Sur l'un des feuillets laissés en blanc par le copiste 
du manuscrit arabe i45o, plusieurs lecteurs modernes ont 
inscrit des malédictions (fol. 38 r° et v°, 89 r°, 4^ v<>) dans 
le genre de celle-ci : « Qu'Allah maudisse la secte des 
Nosaïris, gens d'impiété, de scandale et d'infamie, parce 
qu'ils prétendent qu'Ali est Allah quand il n'est que l'un 
des serviteurs d'Allah. » 

C'est également la principale accusation que porte contre 
ces sectaires, le célèbre historien Taki ed-Din Ahmed 
«1-Makrizi, dans son Solouk, et un juriste nommé el-Kébir 
Obéïd-Allah-ibn-Abd el-Fani, qui était Mufti à Laodicée 
lors des troubles provoqués par les Nosaïris en l'année 



— 177 — 

I2a3 de Thégire. La condamnation de la secte, prononcée 
sans recours par Obeïd- Allah, porte le titre de el-séhanv- 
el'ka^iyrèh fi kouloub eUNosairiyjyèh; elle est conservée 
dans le manuscrit 49^9 du fonds arabe de la Bibliothèque 
Nationale; on admettra, je pense, que ce Mufti était eu 
situation {d*avoir quelques renseignements précis sur 
les Nosairis ou quelques documents exacts sur leur 
compte. 

Les Nosaïris, dit-il, nient la résurrection, le paradis et 
l'enfer, ils croient au retour des morts dans ce monde et à 
la transmigration de l'esprit (rouh) d'un corps à l'autre 
pendant toute l'éternité, c'est-à-dire à la métempsychose. 
D'après eux (i), l'ange Gabriel s'est trompé en apportant la 
révélation à Mahomet, car c'est à Ali que Dieu l'avait chargé 
de la faire ; c'est pour cette raison qu'ils donnent à Ali à la 
fois le nom de Divinité et celui de Prophète. Ils commen- 
tent les versets du Koran d'une façon contraire à toutes 
les règles de la langue arabe (2), d'après des théories absolu- 
mentfausses. Malgré cela, dit-il, ces gens ont l'audace de se 
prétendre Musulmans, tandis qu'en réalité, ils sont com- 
plètement en dehors de la confession de l'Islam (3); aussi, 
est-ce avec raison qu'il leur donne les noms de secte d'hé- 
rétiques croyant à la doctrine de l'hypostase et de 
Zendiks (4); il les accuse formellement de croire « à 
l'hypostase de l'esprit et de la Divinité dans les 
imams » (5), à la disparition (du monde) de Fimam 
exposeur et à l'évanouissement de l'impératif et de la 
défense jusqu'à ce qu'il se manifeste de nouveau, ce qui 
est une allusion bien nette à la théorie du Mahdi. 

Tout cela est parfaitement exact, mais Obeïd- Allah-ibn- 

(i) Fol. 2, r% 3 p' et V. 

(2) Gela est rigoureusement exact; les livres des Nosaïris sont 
écrits dans une langue impossible et le mufti de Laodicée n'a pas 
tort de se plaindre de leur ignorance de la langue arabe. 

(3) Fol. 2 r» et v». 
iÂ)El'taîfèh'el'mulhidèh^l-houlouliyyéh'el-zanadikèhf fol. 2 v», 

3 r*. 
(6) Fol. 3 V». 

12 



— ijS — 

Abd-el-Fani est moins bien renseigné (i) quand il affirme 
que les Nosaïris n^ont pas de Livre, ni rien qui ressemble 
à un Livre; cette erreur s'explique d'ailleurs aisément 
quand Ton pense avec quel soin jaloux ces pauvres sec- 
taires cachent leurs livres religieux et avec quelle peine 
on s'est procuré quelques feuillets de ceux des Yézidis. 

Ce qui prouve aussi bien que le silence de Taki-ed-Din- 
Ahmed-el-Makrizi et du mufti Obeïd- Allah de Laodicée, 
combien les souvenirs chrétiens sont lointains chez les 
Nosaïris, c'est que la formule bien connue : « Au nom 
du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (2) Bism-el-ab-wél- 
Ibn-wé-rouh-el-kouds est comprise ainsi qu'il suit par les 
Nosaïris; le père (ab) est le Sens ésotérique, autrement 
dit Ali ; la Sainteté (kouds) est le Nom ; l'esprit est 
Selman-i Farisi, et le fils Ibn est l'Espace mikdar (3). 

Jamais une secte qui aurait été chrétienne n'aurait 
oublié à ce point les éléments essentiels de son antique 
religion. 

Le dogme de l'unité absolue du Principe Suprême étant 
le fondement de l'Islamisme, toutes les fois que l'on 
trouve dans les doctrines d'une secte plus ou moins hété- 
rodoxe une forme ternaire d'Existences supérieures, on est 
généralement tenté d'en aller chercher l'origine dans le 
Christianisme ou dans l'une des religions qui ont précédé 
l'Islam. 

Les Nosaïris admettent, comme on vient de le voir, une 
triade composée de Mahomet, d'Ali et de Selman-i Farisi 
qui n'est évidemment que la réplique, l'aspect exotérique 

(i) Fol. -2 v». 

(2) Ms. arabe 145o, fol. 92 v». 

(3) On ne sait, dans les manuscrits, s'il faut lire Mikdar ou Mik' 
dad. Mikdad est, comme Ton sait, le nom d'un compagnon de 
Mahomet. Cette traduction d' « espace » est conjecturale et je ne 
sais quelle est la signification absolument précise de mikdar dans 
la théologie nosaïrie; ce mot signifie « mesure », mais je croirais 
assez qu'il s'agit d'une mesure ésotérique de l'espace, de quelque 
chose dans le genre de maanay mais sans pouvoir pour Tinstant 
en donner une traduction plus précise. 



— 179 — 

de la triade ésotérique : « sens ésotérique » maana ; 
« nom » ism ; « espace » mikdar. 

Cette triade, ou cette trinité, comme on voudra l'appe- 
ler, ne forme pas plus une réplique de la Trinité chré- 
tienne que de la Trimourti du Brahmanisme, et encore 
moins de la triade phénicienne, Ciel, Soleil et Lune. 

Les Nosaïris admettent la théorie cabbalistique d'une 
trinité dans l'unité et d'une unité dans la trinité qui se 
retrouve dans d'autres sectes musulmanes et dont l'origine 
est facile à déterminer. C'est dans la doctrine ésotérique 
du Soufisme qu'il faut aller chercher le principe de ces 
trinités mystiques, qu'évidemment, à première vue, on 
est porté à expliquer par un emprunt au Christianisme. 
C'est là une question sur laquelle je m'étendrai tout à loi. 
sir dans l'ouvrage sur les Mystiques de l'Islam dont j'ai 
parlé dans la préface. Je me contenterai pour l'instant de 
dire que les Esotéristes divisent l'Unité en trois aspects 
auxquels je donnerai par convention, car il faut bien 
s'entendre, même quand on parle d'Esotérisme, les 
noms d'Unitisme wahdet^ Uneïté wahidijyèh et Moneïté 
ahadiyyèh. 

Les auteurs qui ont traité de la théorie ésotérique de 
l'Unité, considèrent le nombre comme étant le multiple 
par lui-même de cette unité trine, somme des trois aspects 
de l'Unité, laquelle Unité à son tour a deux aspects, l'un 
réel, l'autre imaginaire, correspondant dans l'interpréta- 
tion géométrique à deux cercles conjugués. 

Le premier de ces cercles est divisé en deux secteurs 
égaux par son diamètre qui est le Discriminant (berzekh) 
entre la Moneïté, l'Uneïté et l'Unitisme, autrement dit qui, 
à la fois, sépare et réunit les trois aspects ésotériques de 
l'Unité trine. 

Le cercle conjugué du premier cercle, est également 
divisé par le diamètre conjugué du premier diamètre, en 
deux secteurs, celui du nécessaire wodjoub et celui du 
contingent imkân. Ce diamètre est un discriminant {ber- 
zekh) qui est la « vérité ésotérique, le sens réel de l'Etre 



— i8o — 

homme » el-hahiket-el-insani^yèh et la « révélation pro- 
ductrice du xd(7(io; » tédjelli. 

Ces mêmes auteurs nous apprennent qu'avant l'appari- 
tion du diamètre du premier cercle, fait qui a été la discri- 
mination (hukm) entre TËxotérisme et TÉsotérisme, ainsi 
qu'entre rUneïté et la Moneïté, TUneité étant alors com- 
prise dans la Moneïté, FUneité et la Moneïté se trouvaient 
toutes lesdeux sous la domination de l'Unitisme, c'est-à-dire 
en termes moins volontairement cabbalis tiques, qu'avant 
l'apparition du premier discriminant, ces trois aspects de 
l'unité se trouvaient confondus dans l'Unité et que les 
aspects réel et imaginaire de l'Unité ne s'étaient pas 
encore trouvés discriminés. 

La première révélation produite par l'Etre Unique fut 
sous la forme de l'Unitisme et la première existence fut 
créée de l'absence de l'Ipséïté, ou en d'autres termes de 
la Présence (hazret) de l'Absence. 

A un autre point de vue, le premier cercle est divisé par 
son diamètre en deux secteurs, celui de l'Uneïté et celui de 
la Moneïté, et sous cet aspect, ce diamètre est la célèbre 
(i distance des deux arcs » kab el-kousein ou la « vérité éso- 
térique mohammédienne « el-hakiket el-mohammédiyèh, 

A son tour, le secteur de l'Uneïté est divisé par trois 
rayons et son diamètre en quatre secteurs qui correspon- 
dent à l'Existence woudjoud, à la Science, à la Lumière 
et au « témoignage » shouhoud. 

Ces quatre secteurs se trouvent compris dans le secteur 
de l'Uneïté et non dans celui de la Moneïté, parce que, 
par la révélation primordiale el'taaïin-el-apçal qui est 
l'Unitisme, l'Etre Unique s'est révélé à lui-même, par 
lui-même, en lui-même. 

Cette révélation primordiale comprend à la fois la 
Moneïté, TUneité et la Discrimination {herzékhiyyèh) ; la 
révélation seconde compi'end l'Unitisme, la Multiplicité 
et la Discrimination qui à la fois, sépare et réunit l'Uni- 
tisme, c'est-à-dire ici, l'Unité considérée absolument et 
avant la séparation de ses aspects, et la Multiplicité. 



— i8i — 

L'Unitisme'est Taspect exotérique de l'Existence, tandis 
que la Multiplicité est Taspect exotérique de la Science. 

Le Discriminant qui sépare Taspect exotérique de Texis- 
tence de l'aspect exotérique de la science est la Multipli- 
cité (kesret), ou ce qui revient au même dans TEsotérisme 
la « valeur ésotérique de l'Etre humain » el-hakiket el- 
insaniyyèh, l'homme étant, en effet, tant au point de vue 
physique qu'au point de vue moral, le complexe le plus 
parfait qui se puisse imaginer, puisqu'il résume l'ensem- 
ble de l'univers et qu'il est le microcosme. 

Le secteur de l'aspect exotérique de l'existence est la 
multiplicité contingente, origine des noms divins; il com- 
prend vingt-huit noms divins universaux ; le secteur de 
l'aspect exotérique de la science représente la multiplicité 
nécessaire et réelle, origine des « vérités ésotériques exis- 
tentielles » el'hakaik-el-kounVyyèh; dans ce segment se 
trouvent vingt-huit noms « existentiels » kounijyèh uni- 
versaux qui correspondent aux vingt-huit lettres de l'al- 
phabet arabe. Le diamètre ou berzekh qui, à la fois, sépare 
et unit ces deux secteurs est le « lieu où se manifeste la 
puissance » mazhar du nom total de l'Etre Unique qui, à 
lui seul, contient en potentiel, tous les noms. 

Ce n'est pas pour sa valeur intrinsèque que j'ai donné 
ici cet aperça, d'ailleurs bien trop sommaire, de la théorie 
de rUnité-trine. Elle est presque incompréhensible si on 
ne la fait pas rentrer dans une théorie cabalistique autre- 
ment compliquée, celle de l'Emanation et des cinq pré- 
sences qui est la base et le fondement essentiel de l'Eso- 
térisme musulman; j'en ai dit juste assez pour montrer 
que cette théorie de la tripartité de ce qui nous semble 
l'Unité par excellence, l'unité mathématique, est emprun- 
tée aux doctrines néo-platoniciennes. 



A 





Sbctbur a. — Sectear de la Monéité. 
Secteur B, C, D, E. — Secteur de l'Uneïtô. 

Secteur B. — Secteur du Témoignage, shouhoud. 

Secteur C. — Secteur de la [.uinière. 

Secteur D. — Secteur de la Science. 

Secteur B. — Secteur de l'Existence, woudjoud. 

Diamètre a b. — La Révélation on Emanation Primordiale, forman la grande Discrimi- 
nation et étant a l'Uni té-Totaliiô n ahadlyyet-el'djem et la vérité ésotérique roohammè- 
dienne el- kaki/cet -el-mohammé iiyyèh. 

Secteur A'. — Secteu. ae l'aspect exotérique de l'Existence. 

Sbctbur B*. — Secteur de l'aspect exotérique de la Science. 

DuMèxRB a' b\ — « Vérité ésotérique de l'Etre iiomme w, el'kakiket-el-insaniyyéh. 



— i83 — 

La théorie mathémathîque de FUnité telle qu'on la trouve 
chez les maîtres de TEsotérisme musulman est le dévelop- 
pement algébrique de la théorie des hypostases, telle que 
Plotin l'expose dans sa cinquième Ennéade. On sait que 
les trois hypostases principales, ou mieux qui jouent 
le rôle de Principes al u7ro(XTà(xet; àp^ixat sont l'Ame Univer- 
selle y\ ^Myr^ toO Tcavro;, Tlntelligence voO; et l'Unité tb êv, qui 
est également nommée le Bien t6 àya^o^» le Primordial xo 

itpôTov (l), l'Absolu y\ aOtapxv 

L'Ame Universelle est l'Acte et le Verbe de Tlntelligence 
qui elle-m^me est le Verbe et l'Acte de l'Unité Primor- 
diale. 

Dans la doctrine de Plotin, la première hypostase, la 
seule qui importe ici, l'Unité, to 8v, consiste en ceci que 
l'Etre Unique s'est manifesté en lui-même, pour lui-même 
dans son Ipseïté, se donnant l'existence à lui-même, parce 
qu'il est un acte immanent Evépyeia (/.évouda. C'est exactement, 
en termes rigoureusement identiques, la définition que les 
Esotéristes donnent de la première émanation, du el-tanïm- 
el-ai^çal. 

Le Un est rigoureusement unique, mais il est infini ; il 
est lé nombre i, la raison unique qui embrasse tout. Si le 
Un qui est Tlntelligence Suprême est formellement sim- 
ple, l'hypostase qui est émanée de lui est multiple : autre- 
ment dit l'Intelligence est l'Unité multiple en l'Unité- 
Totalité, ce que les esotéristes musulmans ont traduit par 
ahadiyyet-el'djem et chaque Intelligence est une Unité 
multiple. 

On voit ici apparaître dans la doctrine de l'école 
d'Alexandrie le principe de la pluralité de l'Unité qui est 
la base de l'Esolérisme musulman et qui, à première vue, 
si l'on s'en tient à l'arithmétique archimédienne, paraît le 
renversement complet de toute vérité mathématique. 

Chaque chose, pour Plotin, a pour principe une unité- 
multiple d'un ordre plus ou moins élevé ; en remontant 

(i) G^est cette expression que les métaphysiciens musulmans 
ont traduit par kadim ou Préexistant. 



— i84 — 

d'unité en unité, on arrive à l'Unité monade au delà de 
laquelle il est impossible de passer sans tomber dans 
la série imagfinaire qui a été plus inconnue des Alexan- 
drins que des Musulmans. 

Cette Unité monade qui est la source de tout, est la 
mesure de toute chose sans être elle-même mesurable, 
car il n'existe pas de commune mesure entre quoique ce 
soit et elle ; elle est le principe des nombres sans être 
elle-même un élément numéral. 

On a vu dans l'exposé de la doctrine de l'Unité-trine 
qu'avant l'émanation primordiale eUtaain el-awal qui 
correspond d'une façon parfaite à la première hypostase 
de Plotin et qui a produit subitement le discriminant 
(bersekh), qui a séparé les monades dont se composait 
l'Unité arithmétique, l'Uneïté était comprise dans la 
M oneïté et que toutes les deux se trouvaient confondues 
dans rUnitisme. 

C'est seulement l'apparition du premier discriminant 
(berzekh) qui a dissocié les deux composantes absolues de 
l'unité : l'Unitisme ou Unité absolue d'un côté, l'Uneïté et 
la Moneïté de l'autre. 

Le groupe Uneïté-Moneïté des cabbalistes musulmans 
n'est autre chose que la seconde hypostase de Plotin, 
l'Unité-multiple ou Intelligence qui est émanée de la 
première hypostase, du Un absolu et transcendantal, qui, 
dans la réalité se trouve en dehors de la série numérale, 
dans l'aspect ésotérique et peut-être même imaginaire du 
monde, et dont le Un arithmétique est le multiple par 
lui-même ou le premier carré. 

L'école Platonicienne enseignait déjà que de la Dyade 
indéfinie et de l'Un absolu sont émanés les Idées et les 

Nombres : 6ià xa\ erpritai ex tt|ç aopiorou 8uâf oc xx\ toO èvb; Ta si'ôtj 

xat oî apieiAoï. Cette expression de « Dyade indéfinie » que 
Plotin reproduit dans sa cinquième Ënnéade sans pré- 
ciser davantage ce qu'elle signifie, est évidemment la 
seconde hypostase de la théorie alexandrine, l'Unité Mul- 
tiple, rUnéité-Monéité des Esotéristes musulmans. 
Cette théorie suivant laquelle les idées et les nombres. 



— i85 — 

c'est-à-dire tout le cosmos sont émanés de la dyade et de 
rUnité, en fin de compte de l'Unité, puisque la dyade elle- 
même est une émanation de l'Unité, revient à dire, comme 
le faitPlotin dans sa cinquième Ënnéade, que le Un absolu, 
l'entité nombre qui n'existe qu'en dehors et au-dessus de 
la série numérale contient en potentiel tout le cosmos ; 
c'est justement là le fondement de toute la métaphysique 
musulmane suivant laquelle tous les éléments du cosmos 
dérivent des nombres et des lettres qui en sont les idées. 

En résumé, l'Unitisme, compris dans son sens d'Unité 
absolue est le to l^ de Plotin, l'Unéité et la Monéité qui 
en furent discriminées par l'Emanation première et qui 
forment la première hypostase représentent la dyade in- 
définie i\ àopiffxoç Sua; de l'Alexandrinismft ; c'est ce que les 
métaphysiciens de l'Islam expriment en disant que tout 
ce qui existe émane de l'attribut de l'Unéité (premier élé- 
ment de la dyade), qui fait émaner la Monéité (second 
élément de la dyade), tous les deux émanant de l'essence 
suprême qui est l'Unité absolue, le xb Ev de Plotin. 

On voit donc que la théorie métaphysique de l'Unité- 
trine est tout entière empruntée aux doctrines du néo-pla- 
tonicisme de l'école d'Alexandrie . Les personnes qui aiment 
par dessus tout la complication et que ne satisfont point 
les solutions simples, objecteront sans doute qu'il se pour- 
rait que l'Alexandrinisme soit lui-même allé chercher sa 
théorie des hypostases dans une secte gnostique de 
l'Orient sémitique auquel l'Islam aurait plus tard em- 
prunté sa théorie des Présences (hazrât). Comme jusqu'à 
présent, on ne connaît rien et que, suivant toutes 
les vraisemblances on ne connaîtra jamais grand chose 
du gnosticisme oriental, cette hypothèse n'aurait pas 
d'autre valeur que d'être une fantaisie indémontrable; 
c'est pourquoi, comme l'on trouve dans les théories de 
l'école Egyptienne, une doctrine qui est évidemment la 
même que celle des Esotéristes musulmans, et que de 
plus, on sait historiquement que les sectateurs de l'Islam 
sont allés chercher leur philosophie à Alexandrie, il est 
tout naturel d'admettre que la théorie musulmane des 



— i86 — 

Présences et de l'Unité-trine dérive tout naturellement de 
la théorie des hypostases de Plotin. 

Si malgré tout, Ton se veut obstinera regarder la trinité 
nosaïrie comme étant la réplique certaine de la trinité 
pliénicienne, Ciel, Soleil, Lune, comme il est bien évi- 
dent que cette trinité du « Sens, » du « Nom », et de 
« l'Espace » est identique à la théorie de TUnité-trine de 
FEsotérisme musulman, on sera tout naturellement 
amené à admettre que cette théorie de l'unité trine dérive 
elle aussi de la susdite triade phénicienne, ainsi que la 
théorie de TAlexandrinisme. Il n'est pas besoin d'être 
grand clerc pour voir l'absurdité et le ridicule du résultat 
auquel conduit cette hypothèse. 

Le fait très important que les théories des Nosaïris ne 
diffèrent pas dans leur essence des doctrines de l'Eso- 
térisme et du Soufisme, se trouve pleinement confirmé 
par la lecture des quelques traités de théologie nosairie 
qui sont arrivés jusqu'en Europe. C'est une question qui 
serait beaucoup trop longue à étudier dans son ensemble 
et qui mériterait de faire l'objet d'un livre spécial, aussi 
n'ai-je indiqué ici que les principaux résultats de ces lec- 
tures : je ne doute pas que les personnes au courant des 
dogmes de l'Esotérisme qui viendraient à parcourir les 
traités nosaïris, ne soient frappés de l'identité absolue de 
leur doctrine avec celle du Soufisme et plus généralement 
avec les théories de l'Esotérisme. 

Deux faits suffiraient à établir cette identité; d'abord 
que la doctrine nosaïrie repose, comme celle de toutes les 
sectes hétérodoxes de l'Islamisme, sur l'opposition du 
sens exotérique (zaher) et du sens ésotérique {batin) et 
ensuite que tout comme les Soufis, les Nosaïris connais- 
sent les stades (makam) de la hiérarchie mystique. 

Le kitab-el-asafir qui fut écrit par Abou-Abd-AUah- 
Mohammed-ibn-Shaaba-el-Harrani, à une époque certai- 
nement antérieure à l'année 685 de l'hégire et qui se 
trouve conservé au fol. 2-3 7 du manuscrit arabe i45o, 
contient un exposé de la philosophie nosaïrie qui est 
identique à la philosophie néo-platonicienne du Soufisme ; 



— iSj — 

l'auteur de ce traité, qui a pour but d'établir la divinité 
d'Ali, cite Platoa tout comme le mohtésib Shems ed-Din 
d'Eberkouh cite.Solon dans son Medjma el-bahreïn. 

On retrouve dans le sixième traité contenu dans le 
manuscrit arabe i45o, les mêmes procédés de cabbale 
littérale qui font fureur dans l'Esotérisme, et dont les 
règles ont été formulées par Mohyi ed-Din Mohammed 
Ali Ibn Arabi et par Aboul Abbas Ahmed el-Bouni. 
Les doctrines nosaïries sont encore plus compliquées, 
s'il est possible, que celles du Soufisme, mais il n'y a pas 
à douter qu'elles ne leur soient primordialement iden- 
tiques. 

On trouve ce même cachet d'Esotérisme et les mêmes 
rêveries cosmologiques des Soufis dans le kitab-eUou- 
sous, qui est une sorte d'exposé de la sagesse du roi- 
prophète Salomon, avec la façon d'arriver à la connais- 
sance de l'Etre unique, de son ipséïté, de sa puissance, 
de ses attributs, et des deux aspects du monde ; cet ouvrage 
a certainement été composé avant l'année 685 de l'hég. 

Ce qui est non moins important, c'est que le traité de 
l'Unité tavhid composé par Ali ibn Isa el-Djisri (man. arabe 
i45o) contient une théorie de l'Unification identique à celle 
du Soufisme avec une terminologie presque identique. 

Quant au dernier traité nosaîri qui se trouve aux fol. 176 
v° ssq. de ce même manuscrit arabe i45o, il constitue 
presque exclusivement un commentaire du passage bien 
connu du Koran : <i Louanges soient rendues à Celui qui 
a transporté pendant la nuit son serviteur de la Mosquée 
Sainte à la Mosquée Lointaine », rédigé dans un esprit 
ésotérique qui rappelle, à s'y tromper, le commentaire 
de la Sourate de Joseph par le Bâb, et également le frag- 
ment de la Sourate du Koran d'Ahmed, fils de Moham- 
med, fils de la Hanéfite qui est traduit à la page 38. 

On retrouvera ces mêmes particularités dans les Sou- 
rates du Kitab el-medjmoua qui ont été publiées et tra- 
duites par M. Dussaud (i) et dans ce fait que les Nosaïris 

(i) Histoire et religion des Nosaïris y pagres 161 et ss. 



— i88 — 

croieat à sept révélations qu'ils appellent portes dont la 
dernière est Thypo stase d'Allah sous la forme d'Ali. 
Cette même tournure babie se trouve déjà dans la 
théorie qui fait d'Ali la Divinité, de Mohammed le voile, 
et de Selman-i-Farisi, la Porte. 

Ce qui montre peut-être aussi bien que l'examen de 
leurs doctrines théologiqnes, combien l€s Nosaïris ont 
eut d'accointances avec les Soufîs est le fait suivant qui 
est rapporté par Taki ed-Din Ahmed el-Makrizi dans 
son Solouk li méarifet douçel el moulouk : cet historien 
raconte qu'en l'année 717 de l'hégire, un individu qui se 
disait investi d'une mission céleste annonça aux Nosaïris 
que la seule Divinité est Ali et que Mahomet en est le 
Voile qui la cache à la vue exotérique des hommes ; de 
plus cet imposteur se vantait d'avoir ressuscité le célèbre 
sheïkh Soufi Ibrahim Ëdhem. 

Je n'insisterai oas sur le fait que la théorie des voiles, 
autrement dit celle du monde nouménal opposé au monde 
phénoménal, appartient exclusivement aux doctrines de 
l'Esotérisme et qu'elle ne peut se comprendre en dehors 
de l'Esotérisme : le fait qu'Ibrahim Edhem est cité par 
un Nosaïri a encore plus d'importance; il ne faut pas 
oublier en effet que ce personnage dont la vie fut signalée 
par des particularités extraordinaires appartient essentiel 
lement au Soufisme, au même titre que Bayézid-i-Bistami, 
Mansour ibn-el-Halladj ou Zoul-noun Misri et qu'il n'est 
connu uniquement et absolument que dans le Soufisme 
dont il est l'un des plus grands saints evlia, comme l'on 
peut s'en convaincre aisément par la lecture des bio- 
graphies qui lui ont été consacrées par Djami dans la 
JVéfahat el-ouns, par Férid ed-din-Attar dans le Tezkéret- 
el-eçlia et par Kémal ed-Din Sultan Hoseïn ibn Sultan 
Mansour ibn Baïkara dans le Médjalis el-oushshak. 



APPENDICE V 



On rencoatre parfois sous la plume d'historiens qui 
passent pour avoir été de parfaits Sunnites, des expres- 
sions qui montrent bien à quel point les orthodoxes les 
plus sévères en apparence frisaient de près l'hérésie 
shîite. Abou Shama, l'auteur du Kitab-el-raudateiriy qui 
est, comme l'on sait, l'une des meilleures sources de l'his- 
toire de Saladin, nous a conservé un passage d'une lettre 
adressée par le Kadi el-Fâdil au khalife abbasside el- 
Nasir li-din Allah. Avec Imad ed Din el-Isfahani, le Kadi 
el-Fadil fut l'un des principaux secrétaires de Saladin, 
celui que le Sultan chargeait de la correspondance élé- 
gante avec les souverains de l'Islamisme; en fait, son 
style compliqué et maniéré à l'excès, au point de rendre 
jaloux Vassaf el-Hazret, fait que ces pièces diplomatiques 
sont à peu près inintelligibles. 

Dans cette lettre qui se trouve à la page 167 de l'édition 
imprimée à Boulak, le Kadi el-Fadil donne au khalife 
quelques détails sur le siège de Saint-Jean d'Acre et il le 
prie d'excuser Saladin de n'être pas allé lui-même à Bag- 
dad pour implorer son intervention spirituelle. « Et, dit-il, 
si toutes les difficultés qui l'ont assailli avaient pu s'écar- 
ter de lui, certes il serait allé supplier le médecin de 
l'Islam, que dis-je, son Messie (Mésih). » 

On peut se demander comment le pontife de Bagdad, 
héritier et gardien de la tradition orthodoxe, reçut cette 
épithète malencontreuse. Au point de vue musulman. 
Messie et Mahdi sont deux synonymes ou plutôt Mahdi 
est la traduction arabe de l'hébreu Mésih (Messie). Appli- 
quer cette qualification au khalife abbasside, c'était im- 



— igo — 

plicitement admettre qu'après Mahomet, il peut exister 
un ou plusieurs autres prophètes; à cela, el-Nasir-li-din 
Allah ne pouvait faire qu'une réponse, condamner comjne 
hétérodoxe l'homme qui s'était permis de traiter de Mahdi 
le khalife ahbasside. 

Il ne faut pas oublier que cette missive a été écrite par 
ordre de Saladin et que, suivant toutes les vraisemblances, 
elle ne fut pas confiée au courrier qui la porta au seuil du 
« Divan Auguste » sans que le conquérant l'ait relue et sans 
qu'il y ait apposé son chiffre (alama) ; mais il convient 
également de se rappeler que Saladin, qui fit rentrer 
l'Egypte et la Syrie sous la domination de l'Orthodoxie, 
qui purgea la ville sainte de la souillure des Infidèles, est 
le premier qui osa fonder en plein Kaire un collège où 
l'on enseignait la doctrine des Bathéniens, c'est-à-dire 
celle de Tlsmaïlisme, ou tout au moins le Soufisme qui à 
cette époque, n'était pas bien distinct de 1 Ismaïlisme et 
qui, aux yeux de la cour de Bagdad, ne valait pas beaucoup 
mieux. Les successeurs de Saladin qui se proclamèrent tou- 
jours les plus fermes protecteurs du Khalifat, n'agirent pas 
autrement. Le sultan el-Mélik-el-Kamel offrit au célèbre 
soufi Ibn el-Farid (i234), dont les poésies mystiques sont 
tout ce qui se peut imaginer de plus hétérodoxe une somme 
de i.ooo dinars s'il consentait à accepter la charge de Kadi 
suprême de toute l'Egypte. On se demande si les Fatimites 
du Kaire eussent agi d'une façon différente. 



ADDITIONS 



Page 44' — « U se tenait avec le Mahdi et Mazdek... 
dans une forteresse de cuivre {rouyin dis)... » Telle est la 
traduction donnée par M. Schefer dans le Siasset-Namèh. 
En réalité Rouyin-diz est le nom d'une forteresse bien 
connue des géographes orientaux, qui est également appe- 
lée Behmen-diz ou « forteresse de Behmen ». Elle s'élevait 
près d'Ardébil sur l'un des versants du mont Silân ; Fir- 
dousi rapporte dans le Livre des Rois que quand Keî- 
Khosrau et Féribourz se disputèrent la couronne de Perse, 
il fut convenu qu'elle appartiendrait à celui qui s'empare- 
rait de Rouyin-diz. Ce fut Kai-Khosrau qui l'enleva. Il faut 
donc traduire : « il se tenait avec le Mahdi et Mazdek... 
dans la forteresse de Rouyindiz... » 

Page 5 y. — Le fait que les Ismaïliens admettaient que 
les imams interprètent les livres sacrés, tandis que les 
Prophètes se bornent à les recevoir du ciel, que Yimam 
Khidr apprit la Science infuse bm prophète Moïse, montre 
suffisamment que ces sectaires admettaient que la mission 
de l'imam est supérieure à celle des Prophètes; ils recon- 
naissaient donc dans le fonds qu'Ali est au-dessus de 
Mahomet. C'est en fin de compte, la théorie des Pôles et 
surtout des « Solitaires » telle qu'elle se trouve exposée 
dans les livres de l'Esotérisme le plus radical. Gela montre 
que les Ismaïliens n'étaient pas très éloignés des Ghalis et 
des Ali-Elahyan qui admettaient franchement la supério- 
rité d'Ali sur Mahomet. 

Page i33. — Cette comparaison de la relation des 
diverses positions que peut prendre le corps de l'homme 
avec les lettres de l'alphabet arabe se retrouve assez 



souvent dans les vers des poètes mystiques. Dans une 
lettre en vers qu'il écrivit au célèbre poète persan Noup 
ed-din Abd er-Rahman Djami, Mir Ali Shir Névaî s'ex- 
prime de la façon suivante : a Dans mes génuflexions, ma 
personne agenouillée, retraçait sous la forme d'un ya^ 
celle des soupirs que mon cœur exhalait en attendant 
l'heure de vous revoir. En me relevant, debout, j'offrais 
comme l'e/i/" l'image de cette fidélité inébranlable comme 
celle du cyprès sur son pied; enfin, incliné comme le za^ 
je demandais à Allah d'éclairer la nuit ténébreuse de 
mon chagrin par l'apparition de la lune couronnée de sa 
brillante étoile. » 1 

1 G 

\ 

\ 
\ 



Arcis-sur-Aube. — Imprimerie Léon Fréhost, 



Dozy (R. P. A.). — Essai sur l'Histoire de l'Islamisme, traduit du 
hollandais par V, Chauvin, professeur à l'Université de Liège. 
Leyde et Paris, 1879, in-80 br., vn-3a6 pp 7 fr. 5o 

Dugat (G.). -^ Histoire des philosophes et théologiens musul- 
mans de 633 à ia58 de J.-G. Scènes de la vie religieuse en Orient. 
Parts, 1878, in-8"» br., de xliii-385 pp 7 fr. 5o 

Férazd&k. — Le Divan, publié sur le manuscrit de Sainte-Sophie 
de Constantinople, avec une traduction française par R. Boughbr. 
Paris, 1870^4» 4 fasc, in-4'' br. (Tout ce qui a paru.).... i5 fr^ 

Gantin (Julbs). — TARiimè Gozidè. Quatrième chapitre de cet ou- 
vrage, comprenant les dynasties persanes pendant la période 
musulmane depuis les Saffârldes jusques et y compris les Mo- 
gols de la Perse eh i33o de notre ère. — Texte persan complet 
imprimé pour la première fois avec une traduction française en 
regard, suivi de notes, de tableaux dynastiques, généalogiques 
et synchroniques. fSoxis presse,) 

Garoin de Tassy. — Science des religions, L'Islamisme, d'après 
le Coran, l'enseignement doctrinal et la pratique. Paris, 1874» 
in-8» br 7 fr. 5o 

Oarcin de Tassy, Membre de VInstitut. — Mantic Uttaïr, ou le 
langage des oiseaux, par Farid Uddin Attar, publié en per- 
san. Paris, 1867, in-8» br., 76 pp 10 fr. 

— Le même ouvrage, traduction française. Paris, i863, in-S» br., 
200 pp 10 fr. 

— La poésie philosophique et religieuse chez les Persans, d'après 
le Mantic Uttaïr, Complément de l'ouvrage précédent. Qua- 
trième édition. Paris, 1864, in-8* br., 76 pp.. a fr. 5o 

— Mémoires sur les noms propres et les titres musulmans. 
Deuxième édition suivie d'une notice sur les vêtements avec 
inscriptions arabes, persanes et hisdoustanies. Paris, 1878, 
in-8» br., de ia8 pp., papier de Hollande, fig 5 fr* 

Ouyard (Stanislas). ^ Manuel de la langue persane vulgaire. 
Vocabulaire français, anglais et persan, avec la prononciation 
figurée en lettres latines, précédé d'un abrégé de grammaire et 
suivi de dialogues avec le mot à mot. Paris, 1880, in-ia toile, 
xxxi-266 pp 5 fr« 

Hovelaoque (Abbl). ^ L'Avesta, Zoroastre et le Mazdéisme. 
. Paris, 1880, in-8» br, de Bai pp 10 fr. 

Cet important travail est divisé comme sait : Introduction. Découverte et 
interprétatioa de l'Avesta (Auquetil-Daperron et ses contemporains; Eagène 
Barnouf et eon œavre). — Livre I. L'Avesta et Zoroastre. — Livre IL Les dieax 
de l'Avesta. — Livre IIL La conception dn monde dans l'Avesta. — Livre IV. 
La loi mazdéenne. — Livre V. Morale de l'Avesta. 



Kay»iinirgki (A. de Biberstbin). — Dictionnaire Arabe-Français, 
contenant toutes les racines, leurs dérivés dans les idiomes 
vulgaire et littéral, ainsi que les dialectes d'Alger et du Maroc. 
Paria, 1860, a vol. gr. in-8» br., 3,o3o pp., à 2 col. ........ io5 fr. 

Lamairesse (E.) et Di:^arrio' (Gaston).— Vie de Mahomet d'après 
la tradition. Paris, 1897-98, a vol. in-ia br. de 40a et 887 pp. 

10 fr 
Tome. I. Des origines de Mahomet jntqu'à la bataille d'Ohod. — Tome II. 
Depuis 1a bataille d'Ohod jusqu'à l'élection d'Abou Bekr. 

Landberg (Carlo). —Proverbes et dictons du peuple arabe. Ma- 
tériaux pour servir à la connaissance des dialectes vulgaires, 
recueillis, traduits et annotés. Lejrde et Paris, i883, in-8« br., 
1.111-464 pp i5 fr . 

Nàbiga Dhobyani. — Le Divan, texte arabe, publié pour la pre- 
mière fois, suivi d'une traduction française, et précède d'une 
introduction historique par Dbrenbouro. Paris, Imp, Imp. 1869, 
I beau vol. in-8° br. de a7a pp 9 fr . 

^ Le Diwân de Nâbiga Dhobyani. Complément du Nâbiga Dho- 
byani inédit d'après le manuscrit arabe 65 de la collection Sche- 
fer, par M* Hartwig-Dbrbnbourg. Paris, 1899, ^-S** ^i* > && PP- 

5 fr. 

Nicolas (J.-B). — Dictionnaire Français*Pbrsan (avec la pro- 
nonciation iigurée), Paris, 1885-87, a vol. in-ia toile de xiv-190 
et 9^4 PP • 3o fr . 

Querry (A.). — Droit Musttlman. Recueil des lois concernant les 
musulmans chiites. Paris, Imp. Nat., 1871-72, a vol. gr. in-8° 
br., V111-1467 pp 3o fr. 

Reinaud. — Monuments arabes, persans et turcs du cabinet du 
duc de Blacas et d'autres cabinets ; considérés et décrits d'après 
leurs rapports avec les croyances, les mœurs et l'histoire des 
nations musulmanes. Paris, i8a8, a vol. in-8« br., 888 pp. et 18 
planches a5 fr . 

Savant ouvrage d'épigraphie orientale. 

Sacy (Sylvestre de). — Exposé de la religion des Druzes, tiré 
des livres religieux de cette secte et précédé d'une introduction 
et de la vie du khalife Hakem-Biamr-Allah. Paris, Imp royale, 
1828, a vol. in-8« br., Dxvii-a34 et 749 pp i5 £t. 

Siouffi (M. N.). — Etudes sur la religion des Soubbas ou Sa- 
béens; leurs dogmes, leurs mœurs. Paris, 1880, in-8° br., xi- 
aii pp 7 fr. 5o 

Tabari (Abou Djafar Mohammed bèn Djarir bèn Yâzid. — 
Chronique, traduite sur la version persane de Abou Ali Mo- 
hammed Belami, d'après les manuscrits par H. Zotenbebo. Paris, 
1867-74, 4 vol., in-8« br., vni-a568 pp 3o fr. 

Areis-sur-Aube. — Imprimerie Léon Frémont. 



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87 pp. 
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p. 1869. 
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